18/12/2025 elcorreo.eu.org  7min #299345

Argentine Insurrection

Rocco Carbone analyse les scénarios possibles d'insurrection, l'outil dont dispose la classe des travailleurs pour transformer les rapports sociaux qui l'oppriment.

Le pouvoir fasciste local [Argentine], drapé du drapeau national, transcende les limites de l'Humanité par ses atrocités et la férocité propre à la classe privilégiée des grands propriétaires terriens, soudée à la bourgeoisie déclassée (qui renie le travail et son éthique). Lutter contre ce thanatisme absolu est un impératif éthique vitaliste pour toute organisation populaire démocratique, sans distinction d'idéologie ou de tradition politique. Ces organisations, et notamment les organisations politiques, doivent s'engager à orienter l'action émancipatrice, en conduisant la classe ouvrière vers la libération et une vie en paix.

Marx affirme que l'histoire est l'œuvre des générations qui nous ont précédées. Je me souviens de cette idée car les grandes masses populaires, fortes de leur histoire de lutte, possèdent l'expérience et la sagesse nécessaires pour interrompre le flux libidinal d'un pouvoir ultra-réactionnaire, alourdi par un lourd passé de crimes. Ce flux peut être enrayé par l'insurrection, outil propre à la classe ouvrière pour transformer les rapports sociaux. Dans une insurrection, l'existence sociale devient capacité de mobilisation, et cette capacité permet de prendre l'initiative dans les luttes.

Modalités

Il existe différentes formes historiques d'insurrection. L'une d'elles est la mobilisation populaire à grande échelle, qui suppose la présence d'une avant-garde, c'est-à-dire l'idée et l'action d'une minorité au sein du mouvement de masse. Les masses utilisent la barricade comme tactique, le barrage routier comme outil, et le piquet de grève - qui promoteur de la lutte puis organise le dialogue et la négociation. Ce type d'insurrection implique la matérialisation d'une force morale contenue dans une force sociale de confrontation. Cette forme entrave l'action des forces répressives de l'État, les empêchant d'exercer une violence contre les masses grâce à la mobilisation populaire. Dans ce cas, les forces de police se retirent, et ce vide créé dans le camp adverse permet l'établissement d'une zone de résistance au sein même du nôtre.

Une autre forme d'insurrection réside dans le vote. Pour que le vote populaire puisse freiner le pouvoir réactionnaire, il est nécessaire de rééduquer l'esprit de classe, ce qui implique une pédagogie qui oriente, guide la compréhension et éveille les consciences. Cette pédagogie incombe aux forces agissant dans le champ de l'émancipation (mouvement et direction), c'est-à-dire le champ du travail, la force sociale majoritaire. L'une des tâches centrales de cette pédagogie est d'inculquer à la vaste majorité - opprimée, sans défense et, pour l'instant, séduite (ou désorientée) par l'intellect général de la vie techno-capitaliste - une conscience claire de la réalité de la lutte des classes et des moyens de surmonter la réaction du pouvoir en place.

L'insurrection comme outil de transformation des relations sociales : il suffit de regarder autour de nous pour trouver au moins trois exemples pertinents.

Scènes

La première manifestation a été organisée en Allemagne il y a quelques semaines, fin novembre. L'Alternative pour l'Allemagne (AfD), parti allemand d'extrême droite, prévoyait d'organiser sa branche jeunesse sous le nom de Génération Allemagne. La réaction émancipatrice fut immédiate : un bloc social composé d'étudiants et de travailleurs a réagi par des blocages massifs à travers le pays. Ils ont bloqué des rues, des autoroutes et des routes nationales et régionales - la vieille tactique des piquets de grève si vilipendée ici par Bullrich et ses acolytes.

Deuxième scène : Il y a quelques jours, à Budapest, la capitale hongroise, une importante manifestation a exigé la démission du Premier ministre ultra-réactionnaire, Viktor Orbán. Le mécontentement populaire a éclaté après la révélation de plusieurs cas de maltraitance d'enfants dans des foyers. Des vidéos ont été diffusées montrant des employés de l'un de ces centres agressant physiquement les enfants dont ils étaient censés avoir la charge. Le slogan principal de la manifestation était : « Ça suffit  ! Manifestation pour la défense des enfants. »

Un phénomène similaire se produit parmi nous, avec un groupe social aussi vulnérable que les enfants : des retraités sont agressés et gazés chaque mercredi sur la Plaza Congreso. Trop c'est trop  ! devrions-nous dire, et organiser une manifestation pour défendre nos aînés.

Troisième scène. Le 11 décembre au Portugal, la classe laborieuse a paralysé le pays. Trois millions de travailleurs se sont mobilisés, appelés par la Confédération générale des travailleurs portugais et l'Union générale des travailleurs, pour s'opposer au « Paquet travail » du gouvernement ultra-réactionnaire de Luís Montenegro. Il s'agissait d'une action directe contre une « réforme » facilitant les licenciements, déréglementant le temps de travail - notamment grâce à l'infâme idée de « banque d'heures » chère à Bullrich -, privilégiant les accords d'entreprise individuels aux conventions collectives ou sectorielles, limitant le droit à l'allaitement maternel et restreignant les horaires de travail flexibles pour les parents d'enfants handicapés. Des secteurs clés de l'emploi ont participé à cette grève massive, dont l'aviation, les chemins de fer, le métro, la santé et l'éducation. L'idée d'une grève générale commence également à germer aux États-Unis, sous l'impulsion du major Brandon Johnson, ancien dirigeant et organisateur du syndicat des enseignants de Chicago, car dans ce pays aussi, Trump veut supprimer les droits de négociation collective d'un million de fonctionnaires fédéraux, entre autres (attaques contre la démocratie, les immigrants, l'état de droit).

Ces scènes nous rappellent que la forme centrale de toute insurrection demeure la grève générale, qui implique une action économique massive : l'arrêt complet et durable des activités productives d'un pays. C'est là que réside l'étincelle de l'émancipation radicale, qui lutte pour l'affirmation de toutes les libertés, hormis la « liberté » pour un être humain d'en exploiter un autre.

Brutalisation

La brutalité du recours à la force physique contre la classe des travailleurs cédera la place à la lâcheté, à la pusillanimité et à l'incapacité de lutter pour préserver leur liberté au sein de l'État. Cela se produira car il s'agit d'un pouvoir dualiste et d'opposition. Lorsqu'ils s'effondreront, ce sera leur fin.

Notre société est brutalisée et semble avoir régressé au-delà de tout consensus démocratique. Il nous faut commencer par créer le point de départ révolutionnaire : la situation, les relations, les conditions, les clivages qui se manifestent souvent lors d'une grève générale. Lors d'une grève politique de masse, organisée par les travailleurs du secteur formel et informel, les cartoneros, les indépendants, les pigistes, les travailleurs des plateformes, les chômeurs, les ouvriers du tabac, les pétroliers, les mineurs, les ouvriers du bâtiment, les employés de maison, etc., ces fractions sociales se rassemblent autour d'une idée commune : la force, le potentiel, le pouvoir, l'imagination et la capacité : la classe capable de renverser cette expérience monstrueuse qui ignore jusqu'au sens du respect de la vie.

Dans l'histoire des mouvements politiques nationaux populaires, les mouvements ouvriers constituent l'impulsion essentielle et la direction vers la justice et l'égalité. Notre classe, cependant, se heurte à d'immenses difficultés orchestrées par de puissants adversaires capables de nous désorganiser et de nous désorienter, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du champ de l'émancipation.

Rocco Carbone* pour  La tecl@ eñe

 La tecl@ eñe. Buenos Aires, le 17 décembre de 2025.

Traduit de l'espagnol depuis  El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.

 El Correo de la Diaspora. Paris, 18 décembre 2025.

 elcorreo.eu.org