18/12/2025 ssofidelis.substack.com  14min #299347

Révisionnisme, néoconservatisme, profits et corruption, ou l'héritage mortifère de Benjamin Netanyahu

Jérusalem, le 17 février 2025. (AP Photo © Ohad Zwigenberg

Par  Dan Steinbock, le 15 décembre 2025

Depuis début 2023, des centaines de milliers d'Israéliens manifestent contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son cabinet, en raison des réformes judiciaires proposées, de la gestion des otages israéliens et du génocide à Gaza. Alors, pourquoi est-il toujours au pouvoir ?

New York - Récemment, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a redoublé d'efforts pour obtenir du président Isaac Herzog d'être gracié dans le cadre de son procès pénal en cours, affirmant qu'"il n'y a rien  dans le dossier".

Netanyahu est toujours très présent dans la politique israélienne, comme il l'était début 2023, lorsque d'énormes manifestations de masse ont éclaté en Israël contre les " réformes judiciaires" proposées par son cabinet d'extrême droite destinées à transformer la démocratie laïque en une autocratie juive, et contre les  atrocités génocidaires commises à Gaza, et l'intensification du nettoyage ethnique en Cisjordanie.

Les manifestations ont rassemblé des centaines de milliers de manifestants, mais n'ont pas réussi à faire échouer les réformes. Petit à petit, la démocratie israélienne s'effrite.

Pour éviter d'être poursuivi pour corruption, Netanyahu doit s'accrocher au pouvoir et poursuivre ses activités guerrières. Comment ce statu quo est-il possible  ? La réponse est simple : grâce au sionisme révisionniste, au néoconservatisme à l'américaine, à la politique d'extrême droite, aux grandes fortunes, aux donateurs obscurs et, bien sûr, à la corruption.

Le sionisme révisionniste

Né en Israël mais ayant grandi à Philadelphie, Benjamin Netanyahu, alias "Bibi" (1949-) est le Premier ministre aussi longtemps en poste dans l'histoire d'Israël. Il se considère comme un activiste de Sion, à l'instar de son grand-père, Nathan Mileikowsky. Alors que le grand-père et le père de Netanyahu ont joué un rôle dans le sionisme révisionniste, lui s'est placé au centre du mouvement.

Mileikowsky, rabbin d'origine russe et pionnier du sionisme, était connu pour son opposition au sionisme socialiste et aux antisionistes. Après avoir émigré en Israël, il a collecté des fonds à l'étranger pour le Yishuv, ou l'Israël pré-étatique, et a coopéré avec le rabbin Abraham Isaac Kook, père fondateur du sionisme religieux. Le fils du rabbin, le rabbin Zvi Yehuda Kook, est le père spirituel vénéré des colons violents d'Israël et de l'extrême droite messianique.

L'un des fils de Mileikowsky était Benzion Mileikowsky (qui a plus tard adopté le pseudonyme de son père), historien médiéviste et ancien assistant adjoint de Ze'ev Jabotinsky, pionnier du sionisme révisionniste.

Benzion ("fils de Sion" en hébreu) s'est lié avec des révisionnistes extrémistes tels qu'Abba Ahimeir, qui voulait créer un État fasciste en Palestine, promouvait les saluts "Il Duce" et était l'un des assassins présumés du leader travailliste sioniste Haim Arlosoroff.

Mais au lieu d'une révolution sioniste révisionniste, Benzion a finalement opté pour une carrière universitaire en Amérique, ne revenant en Israël que dans les années 70.

Le réseau du sionisme révisionniste de Netanyahu

S'appuyant sur son étude, Origins of the Inquisition in Fifteenth Century Spain, Benzion considérait l'histoire juive comme une série d'holocaustes. Il ignorait toutefois la longue période de l'histoire espagnole appelée la Convivencia (littéralement "vivre ensemble" en espagnol), qui s'étend de la conquête musulmane omeyyade de l'Hispanie au début du VIIIè siècle jusqu'à l'expulsion des Juifs en 1492. En effet, dans les royaumes maures d'Ibérie, musulmans, chrétiens et juifs vivaient en paix.

Cette période de diversité religieuse et de tolérance, admirablement décrite par Maria Rosa Menocal dans  The Ornament of the World: How Muslims, Jews and Christians Created a Culture of Tolerance in Medieval Spain (2002), contrastait fortement avec l'histoire espagnole et portugaise ultérieure, marquée par l'instauration du catholicisme comme religion unique, au prix d'expulsions et de conversions forcées.

Benzion Netanyahu partageait pleinement l'insistance de Jabotinsky en faveur de la création d'un "mur de fer" entre Israël et ses voisins arabes. Selon le père vieillissant de Netanyahu, les accords d'Oslo ont marqué "le début de la fin de l'État juif". Ainsi, après le retrait d'Israël de Gaza, il a soutenu la ré-invasion, "même si cela nous vaut des années de guerre". Et jusqu'à la fin de sa longue vie, il est resté fidèle au préjugé orientaliste européen :

"La propension au conflit est l'essence même de l'Arabe. Il est un ennemi né. Son existence n'est que guerre perpétuelle".

Son fils, Benjamin Netanyahu, est à la fois le produit de l'univers américain et de la culture juive. Mais, contrairement à son père, il ne s'est guère intéressé aux études universitaires. Il se considérait comme un révolutionnaire, et voulait renverser les sionistes travaillistes pour réaliser son rêve d'un Grand Israël.

Israël devait se passer des socialistes au cœur tendre, et Eretz Israël avait besoin de Juifs coriaces comme lui.

L'extrême droite

Benjamin Netanyahu, alias "Bibi", est un homme déterminé, quoique fortement influencé par son père. À l'instar de son frère aîné Yonatan, mort en 1976 lors du raid d'Entebbe pour libérer des otages juifs, Bibi s'est distingué au sein du Sayeret Matkal, une unité de reconnaissance d'élite de l'armée israélienne.

Après des études au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et un poste de consultant pour le Boston Consulting Group (BCG), sa carrière politique a pris son essor à la fin des années 1980, lorsqu'il a occupé le poste de représentant permanent d'Israël à l'ONU. C'est à cette époque que je l'ai rencontré dans le centre de Manhattan.

Ce furent les années formatrices du mouvement néoconservateur américain dont il partageait bon nombre d'idées. Moshe Arens, ambassadeur d'Israël aux États-Unis, un scientifique et homme politique influent du Likoud et ancien membre de l'Irgoun, a été le mentor de Netanyahu, el'initiant aux arcanes du pouvoir à Washington.

D'apparence modeste, rusé, vif et bien préparé à la communication à l'américaine, Netanyahu était tout désigné pour succéder à la vieille garde du Likoud, composée de Menahem Begin, ancien chef du groupe terroriste Irgoun, et de Yitzhak Shamir, ancien chef du groupe terroriste Stern.

Avec son ego démesuré et son penchant pour l'autoglorification, il savait que son heure était venue, même s'il devait d'abord vaincre les "dinosaures" du Likoud, comme Shamir, et les "princes" du parti :

"Les dinosaures sont en voie d'extinction et les princes ne se battront pas pour la couronne. Moi, j'y arriverai".

Le leadership de Netanyahu au sein du Likoud a commencé le lendemain de l'assassinat du leader du Parti travailliste, Yitzhak Rabin, en partie grâce au climat politique explosif que sa campagne avait instauré en 1995. Critiques virulents des accords d'Oslo, lui et son parti ont participé à des manifestations où des effigies de Rabin vêtues d'uniformes nazis étaient exposées et brûlées.

Lors des funérailles de Rabin, sa veuve, Leah, s'est réjouie de rencontrer Yasser Arafat, le leader de l'OLP, mais est restée sur ses gardes vis à vis de Netanyahu. Elle accusait en effet le jeune et ambitieux chef de l'opposition et son parti, le Likoud, d'avoir créé un climat d'incitation à la violence.

Au-delà du climat politique extrême, une autre raison a contribué à la victoire électorale de Netanyahu. Il avait en effet engagé Arthur Finkelstein pour diriger sa campagne. Ce stratège républicain légendaire avait vendu les présidents Nixon et Reagan à l'Amérique, connu pour ses campagnes à la fois intenses et agressives, mettant en valeur ses candidats tout en dénigrant leurs adversaires.

Comme aux États-Unis, cette stratégie alarmiste a très bien fonctionné en Israël.

Les grandes fortunes et le néoconservatisme américano-israélien

En Israël, Irving Moskowitz figurait parmi les principaux milliardaires américains investissant dans les colonies juives des territoires occupés, les écoles et universités religieuses messianiques, les groupes d'extrême droite juifs et les activités paramilitaires.

Moskowitz n'était pas seulement un donateur de Netanyahu et l'un des nombreux membres de sa "liste de millionnaires". Il était également associé au Ariel Center for Policy Research, un groupe de pression de droite défendant la ligne du Likoud en matière de sécurité israélienne. Aux États-Unis, il figurait parmi les bailleurs de fonds des principaux think tanks néoconservateurs promouvant la guerre contre le terrorisme et les politiques intransigeantes centrées sur Israël au Moyen-Orient, notamment le Hudson Institute, l'American Enterprise Institute (AEI) néoconservateur et le Jewish Institute for National Security Affairs (JINSA).

Avec d'autres financiers influents, Moskowitz a contribué à l'essor du néoconservatisme en Amérique et à l'émergence de nombreux leaders juifs partageant les idées du sionisme révisionniste, notamment Paul Wolfowitz, Richard Perle, Robert Kagan, William Kristol, et d'autres.

Sous la houlette de Kristol et Kagan, les néoconservateurs ont fondé leur think tank, le Project for the New American Century (PNAC), dans le but de consacrer la position unipolaire des États-Unis pendant les décennies à venir. Selon le Likoud de Netanyahu, tout ce qui était dans l'intérêt d'Israël l'était aussi pour les États-Unis.

D'autres donateurs ont suivi, notamment le magnat des casinos Sheldon Adelson. Pendant près de deux décennies, jusqu'à sa mort en 2021, alors que Forbes estimait sa fortune à 35 milliards de dollars, Adelson a été l'un des principaux sponsors de Netanyahu et l'un des faiseurs de rois parmi les Républicains qui ont contribué à financer la campagne de Trump pour la Maison Blanche.

Le néoconservatisme à la sauce israélienne

Les néoconservateurs américains et le parti israélien d'extrême droite du Likoud ont collaboré à la rédaction d'un document politique intitulé A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm [Une rupture nette : une nouvelle stratégie pour sécuriser le royaume] et décrit comme "une sorte de manifeste néoconservateur américano-israélien".

Publié en 1996, ce rapport appelait à une politique américaine musclée au Moyen-Orient pour défendre les intérêts israéliens, notamment le renversement de Saddam Hussein en Irak (en 2003), une guerre par procuration en Syrie (en 2011), le rejet de toute solution israélo-palestinienne incluant un État palestinien (l'une des motivations de l'administration Trump pour conclure les accords d'Abraham en 2020), etc.

Être membre du club néoconservateur avait ses avantages, notamment pour Netanyahu. Malgré ses coûteuses procédures judiciaires, sa fortune était estimée à quelque 50 millions de dollars il y a déjà dix ans. Mais l'absence de sources précises et fiables est notamment due à sa fonction politique, ses donateurs obscurs et la transparence quasi inexistante de ses déclarations patrimoniales.

C'est précisément ce passé controversé qui est venu le hanter au cours de la dernière décennie.

Corruption, fraude et abus de confiance

La carrière de Netanyahu a été entachée dès le début par des controverses liées à des fonds occultes. Les premières accusations de corruption ont été portées en 1997, lorsque la police a recommandé de l'inculper pour trafic d'influence. Les enquêtes sur ces transactions troubles ont débuté en 2016, après une douzaine d'échecs, l'intervention de trois procureurs généraux et de deux contrôleurs de l'État.

Après trois années d'enquête, il a été mis en accusation. En 2020, le procès a débuté avec 333 témoins à charge. Cette longue liste exclut toutefois les nombreux scandales impliquant son épouse, Sara, tristement célèbre pour son tempérament colérique et son penchant pour le luxe, ainsi que son fils, Yair, un populiste d'extrême droite très actif et influent sur les réseaux sociaux.

Entre 2009 et 2016, alors qu'il était Premier ministre, Netanyahu a été accusé d'avoir pris des décisions ayant des implications importantes pour la sécurité nationale, sans toutefois suivre le processus décisionnel approprié. Ces décisions lui auraient permis de s'enrichir, notamment d'avoir favorisé l'achat de sous-marins et de navires au constructeur naval allemand Thyssenkrupp pour un montant de 2 milliards de dollars.

Mais ses problèmes ne s'arrêtent pas là. Depuis le début de sa carrière, Netanyahu n'a retenu que des collaborateurs approuvés par sa femme Sara, en fonction de leur loyauté plutôt que de leur expertise. Cette pratique très controversée a ensuite été étendue à certaines nominations, impliquant même les autorités militaires et les services du renseignement.

Dans l'univers de Netanyahu, si la méritocratie compte, la loyauté reste primordiale.

La procédure judiciaire a repris en décembre 2024 et est toujours en cours. Il fait l'objet de poursuites dans trois affaires distinctes, notamment pour corruption, fraude et abus de confiance. Il a toujours nié toute malversation, qualifiant les poursuites judiciaires de "chasse aux sorcières".

Et maintenant ?

Le 30 novembre 2025, Netanyahu a officiellement adressé une demande de grâce au président Isaac Herzog, sollicitant la suspension du procès afin de préserver "l'unité nationale". Une telle requête est exceptionnelle, car les grâces sont généralement accordées après condamnation et aveu de culpabilité.

Le président Herzog pourrait accorder une grâce conditionnelle, exigeant toutefois un aveu de la part de Netanyahu et son engagement à se retirer de la vie politique. Mais Netanyahu a refusé de quitter la scène politique. Si une grâce est accordée, il est très probable que des recours seront déposés devant la Haute Cour contre cette décision. Compte tenu des étapes du procès et des éventuels appels, la procédure devrait se poursuivre pendant plusieurs années si la grâce n'est pas accordée.

Fin 2025, la cote de popularité de Netanyahu stagne entre 40 et 45 %, tandis qu'une majorité d'Israéliens se disent insatisfaits de sa gouvernance. La plupart des Israéliens ne font pas confiance à leur gouvernement.

Cela signifie-t-il pour autant que la carrière politique du Premier ministre est terminée  ? Pas nécessairement.

Les scénarios potentiels

Malgré de nombreuses controverses, certains sondages placent Netanyahu devant ses rivaux, comme Yair Lapid, chef de l'opposition centriste, et Benny Gantz, ancien membre du cabinet de guerre et ancien chef militaire conservateur de centre-droit. Mais au-delà de ses rivaux réels ou supposés, plusieurs scénarios sont possibles pour l'avenir politique de Netanyahu.

  • Un déjà-vu. Netanyahu poursuit son mandat à la tête d'une nouvelle coalition, tirant parti de ses prétendus succès militaires ou diplomatiques, comme les nouveaux accords de normalisation avec les États arabes.
  • L'opposition frappe un grand coup. Netanyahu est évincé alors que l'opposition forme un gouvernement majoritaire unifié, sans lui ni son parti d'extrême droite, le Likoud.
  • La paralysie politique. Si aucune des deux factions, celle de Netanyahu ou de l'opposition, ne parvient à former une majorité gouvernementale, Israël pourrait connaître une période de paralysie politique. Des élections à répétition se traduiraient par un maintien de Netanyahu au poste de Premier ministre par intérim.
  • Un départ volontaire à la retraite. Compte tenu de son âge (76 ans) au moment des élections de 2026, de ses problèmes de santé récurrents, de la pression immense exercée par les procédures judiciaires pour corruption en cours, des vives protestations publiques et des retombées politiques des attentats du 7 octobre, sa santé pourrait finir par le contraindre à prendre sa retraite.

Quelle est l'explication du long règne de Netanyahu ?

À terme, le virage à droite de l'État d'Israël depuis la fin des années 1970, les doctrines messianiques justifiant l'occupation, la radicalisation des divisions politiques après l'assassinat de Rabin et l'effondrement subséquent du processus de paix, la cooptation de longue date par le Likoud des Juifs d'origine moyen-orientale et des Juifs religieux, ainsi que la collaboration de longue date de Netanyahu avec les principaux néoconservateurs américains et ses sponsors politiques ultra-riches aux États-Unis (le défunt magnat des casinos de Las Vegas Sheldon Adelson, la famille Falic, propriétaire d'une chaîne de 180 magasins Duty Free Americas, Irving Moskowitz, et une longue liste de millionnaires) sont autant de facteurs expliquant sa longévité politique.

Ceux qui s'imaginent que Netanyahu est sur le point de disparaître de la scène politique israélienne se bercent d'illusions. Il est déterminé à transformer Israël. Et il y est presque parvenu.

Traduit par  Spirit of Free Speech

*  Dan Steinbock est l'auteur de  The Obliteration Doctrine et  The Fall of Israel. Il est le fondateur du Difference Group et a travaillé à l'India, China and America Institute (États-Unis), au Shanghai Institute for International Studies (Chine) et à l'EU Center (Singapour). Pour en savoir plus, consultez  differencegroup.net

 juancole.com

 ssofidelis.substack.com