
par Alon Arad
En subordonnant la valeur scientifique à l'expansion coloniale, les archéologues israéliens n'opposent aucune résistance alors que l'État israélien s'apprête à exproprier des pans entiers de Sebastia.
Alors que les habitants de Sebastia, un village palestinien situé au nord de Naplouse, en Cisjordanie occupée, se réunissaient en urgence pour discuter d'un nouveau plan israélien visant à s'emparer de vastes parties de leur village sous le prétexte de «développer» son site archéologique, des archéologues israéliens se retrouvaient à Boston à l'occasion de la 125ème conférence annuelle de l'American Society of Overseas Research (ASOR).
Anciennement connue sous le nom de American School of Oriental Research, ASOR a modifié en 2021 la signification de la lettre «O» dans son nom, changement censé indiquer une prise de distance vis-à-vis de l'héritage colonial de l'archéologie, et une nouvelle orientation dans le travail de recherche, fondé sur des partenariats égalitaires avec les populations locales. Pour les archéologues israéliens, cependant, ce changement semble largement cosmétique : tandis qu'ils et elles assistaient à cette conférence prestigieuse - leur principal espace pour tisser des liens avec la communauté universitaire à l'international -, leur gouvernement utilisait de nouveau l'archéologie comme outil de domination coloniale sur les Palestiniennes et Palestiniens.
Le 19 novembre, l'Administration civile israélienne a annoncé le projet d'exproprier les propriétaires de 550 parcelles privées de Sebastia - soit environ 1800 dunams (450 acres) de terres qui représentent à la fois des moyens de subsistance, le patrimoine culturel et l'identité du village depuis des siècles. Les habitants affirment que le projet dévastera l'agriculture locale, notamment en détruisant quelque 3000 oliviers, dont certains sont âgés de plusieurs centaines d'années.
Sebastia est, indéniablement, un site archéologique à strates multiples d'une valeur exceptionnelle. Ancienne ville de Samarie à l'âge de Fer et capitale du royaume d'Israël, elle renferme les vestiges du palais du roi Achab, mis au jour dans les années 1930. Au Ier siècle avant notre ère, Hérode, roi du royaume de Judée, a reconstruit la ville, y laissant notamment un temple dédié à son ami, l'empereur romain Auguste, à proximité des ruines plus anciennes. Un théâtre romain remarquablement bien conservé, une église byzantine et d'autres antiquités ont également été découverts dans la région.
L'importance archéologique de Sebastia ne fait toutefois qu'accentuer la contradiction politique suivante : si le site mérite une étude attentive, le fossé entre les engagements éthiques revendiqués par les archéologues israéliens et la violence d'État exercée au nom de l'archéologie pour justifier des mesures allant vers l'annexion de la Cisjordanie n'a jamais été aussi profond.
La prise de contrôle de Sebastia par Israël, la plus vaste expropriation de terres jamais réalisée à des fins archéologiques, a commencé en mai 2023, lorsque le gouvernement a alloué 32 millions de shekels (NIS) à la «restauration et au développement» du site. La campagne s'est intensifiée en juillet 2024, lorsque l'armée a saisi le sommet de Tel Sebastia (le point culminant du village, qui abrite les vestiges archéologiques les plus importants), invoquant de vagues «préoccupations sécuritaires». Peu après, le gouvernement a laissé entendre qu'il comptait s'emparer d'une partie plus étendue encore du village.
Les habitantes et habitants palestiniens, conjointement avec Emek Shaveh, l'organisation que je dirige, ont déposé une objection formelle auprès de l'Administration civile, au nom du droit international qui interdit l'utilisation des biens culturels à des fins militaires. Ce recours a finalement été rejeté.
Le ministre du Patrimoine, Amichaï Eliyahu, a exprimé en ligne sa satisfaction concernant l'expropriation. «Nous ne remettrons plus notre héritage à des meurtriers», a-t-il écrit le mois dernier sur X. Eliyahu, fervent partisan de l'annexion de la Cisjordanie et de la réinstallation juive à Gaza, a ajouté : «Il s'agit de notre patrie historique ; nous ne quitterons jamais cet endroit».
Bien que la zone actuellement visée par les fouilles se situe techniquement en zone C (sous contrôle israélien total) et que la majeure partie du village bâti de Sebastia relève de la zone B (sous administration civile palestinienne et contrôle sécuritaire israélien), dans la pratique, ces deux zones forment un paysage unique et continu. Les antiquités appartenant au village sont historiquement et culturellement indissociables de celles situées en zone C.
Le nouveau plan d'expropriation menace de rompre entièrement ce lien. Il prévoit de faire dévier le trajet des visiteurs israéliens par une route que les colons entendent construire afin de contourner complètement le village palestinien, et comprend la construction d'un centre d'accueil, la mise en clôture de la zone archéologique ainsi que l'instauration de droits d'entrée. Si elles étaient mises en œuvre, ces mesures isoleraient de fait les habitants de Sebastia de leurs terres et de leur patrimoine.
L'archéologie au service de l'annexion
Le recours israélien à l'archéologie pour faciliter la prise de contrôle de terres palestiniennes, une pratique que l'on peut à juste titre qualifier de «nettoyage archéologique», est bien antérieur au cas de Sebastia. Depuis des décennies, l'État déploie cette stratégie aussi bien à l'intérieur des frontières de 1948 qu'à travers la Cisjordanie : dans le parc de la Cité de David à Jérusalem-Est, dans le village de Susya, dans les collines du sud d'Hébron, dans le parc national de Nabi Samwil, à Shiloh, et sur de nombreux autres sites.
Une grande partie de la communauté archéologique israélienne a abandonné les principes professionnels fondamentaux ainsi que les normes éthiques érigées par le droit international protégeant le patrimoine culturel. De nombreuses et nombreux archéologues collaborent ouvertement avec les dirigeants des colonies et les autorités israéliennes, offrant à la fois une couverture idéologique et une infrastructure matérielle à l'expansion des colonies. L'année dernière encore, plusieurs archéologues locaux ont participé à une conférence à Jérusalem organisée par le ministre du Patrimoine Eliyahu, certains acceptant même des hébergements financés par le gouvernement.
La communauté archéologique israélienne refuse obstinément l'introspection sur les implications éthiques de son travail. Pendant des années, ses chercheurs ont ignoré les débats fondamentaux concernant les lieux où les fouilles pouvaient être menées de manière légitime et les conditions dans lesquelles elles devraient l'être, malgré des avertissements à répétition, des rapports de politiques publiques et des résolutions émanant de grandes instances internationales - notamment l'UNESCO, la Commission d'enquête indépendante des Nations unies et la Cour internationale de Justice - appelant Israël à mettre un terme aux activités archéologiques dans les territoires occupés.
Dans ce contexte, l'archéologie à Jérusalem-Est et en Cisjordanie a depuis longtemps perdu toute valeur scientifique objective. L'engagement de la discipline à étudier le passé afin d'approfondir la compréhension des sociétés humaines a été subordonné à un projet politique de suprématie juive, utilisant l'archéologie comme un outil de contrôle territorial. Au lieu de préserver l'intégrité de leur discipline, de nombreux archéologues israéliens sont devenus de facto une extension de l'appareil politique de l'État.
À l'approche de la conférence de l'ASOR, au vu de ces pratiques, certains participants internationaux ont appelé à restreindre la participation des archéologues israéliens. Des débats similaires ont émergé en Europe, notamment au sein de l'Association européenne des archéologues (EAA), dont certains membres ont proposé de conditionner la participation de chercheurs israéliens au fait de renoncer à leurs affiliations institutionnelles.
Plutôt que de répondre à ces critiques de fond, de nombreux archéologues israéliens se replient sur l'accusation d'antisémitisme et se présentent comme d'éternelles victimes. Cette posture empêche toute discussion sérieuse sur les enjeux éthiques qui sont fondamentaux : la légitimité de fouilles menées en territoire occupé contre la volonté des communautés locales et en violation du droit international ; la collaboration avec des organisations de colons ; et les conditions dans lesquelles une recherche éthique en Israël pourrait encore être possible.
Tout en participant à l'appropriation de Sebastia, les archéologues israéliens présentent leurs travaux à Boston, suscitant ainsi chez leurs collègues internationaux une prise de distance croissante. En méprisant les normes internationales et en s'alignant sur des acteurs qui instrumentalisent l'archéologie au service du déplacement et de la dépossession, ils et elles sapent leur propre crédibilité scientifique.
La Cisjordanie compte plus de 6000 sites archéologiques recensés. Ailleurs, une telle richesse serait considérée comme un trésor culturel. Mais pour les Palestiniennes et Palestiniens, elle est devenue une malédiction : chaque site, dont la majorité n'a aucun lien avec l'histoire juive de la région, est traité comme un outil potentiel d'affirmation de la domination territoriale. Des sites porteurs de siècles d'histoire palestinienne sont détruits soit par négligence systématique, soit par leur appropriation, puis intégrés à un projet idéologique qui menace l'existence future des Palestiniens.
L'archéologie est devenue un mécanisme d'oppression supplémentaire, au même titre que la violence des colons et de l'armée, les restrictions de mouvement et les spoliations quotidiennes. Et tandis que les communautés palestiniennes résistent avec les maigres moyens dont elles disposent, les archéologues israéliens continuent de légitimer et de promouvoir ces forces.
Si les archéologues israéliens souhaitent conserver leur légitimité académique - et, plus important encore, cesser de participer à un projet colonialiste immoral -, ils doivent tenir compte des avertissements de leurs pairs à l'international et rejeter l'exploitation cynique de leur profession par l'État.
source : Agence Média Palestine via France-I r ak Actualité