Jonathan Cook
Un monde où les entreprises dirigent les politiciens, promeuvent une guerre sans fin et manipulent secrètement l'opinion publique par le biais des médias. Heureusement, ces sombres visions n'ont jamais vu le jour
Essayez d'imaginer ce futur totalement intolérable et dystopique :
1. Nous atteignons un point où les entreprises deviennent si grandes et si fabuleusement riches que les hommes politiques ne peuvent plus se permettre de les contrarier en légiférant pour limiter leur pouvoir. Les entreprises sont tout simplement trop grandes pour faire faillite.
2. Les hommes politiques ne font que feindre être en charge de la politique. Comme d'autres secteurs de la société, leurs services ont en fait été achetés par les entreprises. Secrètement, les politiciens donnent la priorité aux intérêts de ces entreprises et des milliardaires qui les soutiennent, au détriment des intérêts des citoyens qu'ils sont censés représenter. La démocratie sert de façade derrière laquelle règne une classe kleptocratique.
3. Les entreprises utilisent leur pouvoir pour faire adopter des lois qui leur permet de concentrer encore davantage leurs richesses. Elles monopolisent des pans entiers de l'économie, comme un parasite qui se nourrit du sang de son hôte. Lorsqu'elles gèrent mal ces monopoles, comme c'est le cas par intermittence, elles s'appuient sur la classe politique - leurs serviteurs - pour les renflouer avec de l'argent public.
4. Les plus gros profits sont réalisés grâce à la guerre, qui est omniprésente. Les entreprises utilisent leurs serviteurs politiques pour fabriquer des ennemis dont le public a besoin d'être protégé. C'est un grand succès. Dans une société guidée par la peur, le public est plus enclin à tolérer l'austérité - le démantèlement progressif des services publics, que les entreprises peuvent s'approprier et gérer comme des entreprises lucratives.
Le public est persuadé que le flux d'argent de sa poche vers les coffres des entreprises - pour développer la machine de guerre - est nécessaire à la sécurité nationale. On lui explique que ses libertés les plus chères doivent être sacrifiées pour éviter que la société ne devienne faible et vulnérable. Et les entreprises vilipendent tous ceux qui remettent en cause leur pouvoir, les qualifiant d'ennemis intérieurs, alliés à l'ennemi extérieur.
5. Cette grande tromperie ne fonctionne que parce que les milliardaires contrôlent également les médias, qui servent leurs intérêts. Les médias tolèrent une dissidence limitée pour donner au public le sentiment qu'il existe une pleine pluralité de voix. Mais quiconque exprime une véritable dissidence - qui remet en question le pouvoir des entreprises - est dénoncée par ces mêmes médias comme étant un illuminé, un socialiste, un antisémite ou un terroriste [ou 'une 5e colonne']. Rares sont ceux qui entendent leurs arguments, soit parce que ces étiquettes suffisent à justifier qu'on leur refuse une tribune, soit parce que les entreprises médiatiques utilisent leur contrôle sur la base algorithmique des communications modernes pour s'assurer que la dissidence est secrètement enfermée dans les culs-de-sac des médias sociaux.
6. Le rôle des médias s'accroît au fur et à mesure que le règne des entreprises se dégrade de manière de plus en plus catastrophique - les ressources nécessaires à une croissance sans fin s'épuisent ; les coûts externalisés du viol de la planète par les entreprises créent de plus en plus de déchets toxiques et perturbent l'équilibre fragile du climat.
Leur tâche consiste à distraire le public avec un régime sans fin de petites crises qui peuvent être imputées à des « ennemis », à la nature ou au hasard, mais jamais aux entreprises elles-mêmes. L'énergie du public est investie dans l'inquiétude et les débats sur la menace de l'Eurasie et de l'Estasie, les dangers du terrorisme, la menace posée par les immigrants, l'épidémie de stupéfiants, les urgences sanitaires, les événements météorologiques inattendus, l'apocalypse de l'IA, les dangers de la liberté d'expression, et ainsi de suite.

Et pendant que le public se préoccupe de ces questions, les entreprises extraient encore plus d'argent de l'économie, affirmant que cet argent est nécessaire pour protéger tout le monde de l'Estasie d'aujourd'hui, et de l'Eurasie de demain. Que de nouvelles technologies doivent être développées pour éradiquer le terrorisme et stopper l'arrivée des bateaux. Qu'une guerre sophistiquée est menée chez nous et à l'étranger contre les barons de la drogue. Qu'un nouveau monde de percées médicales est en cours d'élaboration. Que l'on investit dans des technologies « vertes » vitales qui sauveront la situation. On imagine des garde-fous pour l'IA. On cherche à concevoir des méthodes plus responsables pour encadrer la parole.
Tout cela n'était qu'une vision sombre d'un avenir possible. Ce scénario ne se réalisera pas. Nos sociétés sont trop solides, nos libertés trop sûres, les entreprises trop contrôlées pour que ce monde sombre puisse voir le jour.
Source : Jonathan Cook blog

