
Le Roi et l'Âme
Le char de l'âme selon Platon, comme image métaphysique de l'empire et de la politique sacrée
Alexander Douguine
Alexander Douguine explique l'image platonicienne de l'âme et sa signification politique.
Platon part du principe fondamental d'une homologie directe entre le cosmos, l'État et la structure de l'âme.
Dans le dialogue Phèdre, il décrit cette structure tripartite de l'âme à travers les images suivantes:
- Comparons l'âme à la force combinée d'un couple de chevaux ailés et d'un conducteur de chars. Chez les dieux, les chevaux et les conducteurs sont tous nobles et issus des castes nobles, tandis que chez d'autres, ils ont une origine mixte.
- D'abord, notre souverain conduit l'attelage, et parmi les chevaux l'un est beau, noble et issu d'une race noble, tandis que l'autre est son opposé, avec des ancêtres d'une autre nature. Inévitablement, la tâche de gouverner est difficile et laborieuse.
Il est important ici que Platon compare la structure de l'âme humaine à celle des âmes des dieux: elles ne diffèrent l'une de l'autre que par la qualité et la noblesse de leurs parties.
Platon poursuit sa description :
- Au début de cette narration, nous avons divisé chaque âme en trois parties: deux parties que nous avons comparées, du point de vue de la forme, à des chevaux, et la troisième à un conducteur de chars. Que cette division demeure en vigueur également maintenant.
- Parmi les chevaux, nous disons que l'un est bon et l'autre mauvais. Nous n'avons pas encore expliqué en quoi consiste la bonté de l'un ou la méchanceté de l'autre, et cela doit maintenant être dit.
- L'un d'eux, alors, adopte une posture plus noble: droit et bien proportionné en forme, à haute tête, avec une courbure légèrement aquiline au niveau des naseaux, blanc, aux yeux noirs, aimant l'honneur associé à la modération et à la révérence; un compagnon de la vraie opinion, qui n'a pas besoin de fouet, guidé uniquement par l'ordre et la parole. L'autre est tordu, lourd, maladroit, au cou épais et court, aux naseaux retroussés, noir, aux yeux clairs, de sang chaud, compagnon de l'insolence et de la vantardise; hirsute autour des oreilles, sourd et à peine soumis au fouet et aux rênes.
Comme le souligne Platon, les deux chevaux sont inégaux: l'un est meilleur, l'autre pire; l'un est blanc (mais avec un œil noir — melanomatos), l'autre noir (avec un œil clair — glaukómmatos). Ainsi, une hiérarchie s'établit dans l'âme:
- le conducteur de chars (hēnióchos);
- le cheval blanc (to leukón — le bon);
- le cheval noir (to mélanon — le non-bon, le mauvais).
Dans le quatrième livre de La République, Platon approfondit ce thème en définissant les trois composantes de l'âme ainsi:
- le conducteur de chars représente l'intellect (noûs, lógos);
- le cheval blanc incarne le principe spiritualisé (thúmos);
- le cheval noir représente le désir (epithymía).
Platon relie directement ces trois éléments aux trois classes de sa cité:
- la partie supérieure de l'âme correspond aux philosophes-rois (les gardiens);
- le principe spiritualisé correspond aux guerriers (les auxiliaires des gardiens);
- le désir est la force dominante parmi les travailleurs et les paysans (la population de base).


Dans Phèdre, Platon décrit la cause de la chute de l'âme dans le corps comme une conséquence de la révolte du cheval noir. Alors que le cheval blanc obéit à la voix du conducteur, le cheval noir ne le fait pas, et cherche constamment à aller dans une direction opposée à celle de l'intellect. L'âme tombe dans le corps et perd ses ailes précisément à cause d'une impulsion centrifuge intrinsèque en elle-même, incarnée dans le cheval noir, dans la propriété du désir. Il n'y a pas de ligne de démarcation stricte entre le désir et le corps; le corps lui-même est le désir devenu pierre.
Mais d'un autre point de vue, le cheval noir est relié au blanc: tous deux sont des chevaux, bien que d'origine différente, comme le souligne Platon. Les deux qualités — thymos (θυμός) et éthymie (ἐπιθυμία) — dérivent d'une seule fondation, du mot thymos, qui pour les Grecs servait aussi de synonyme de l'âme. La racine indo-européenne de ce mot, dʰuh₂mós, signifiait à l'origine «fumée», une signification associée au feu et à l'air. Le désir, donc, est avant tout esprit; mais si la virilité (thymos), la plus haute vertu martiale, est le désir dans sa forme pure, alors le désir (epithymía) est le désir chargé, durci et condensé. La pure virilité mène à la destruction (vers la corporéité); d'où la vocation des guerriers à supporter la mort. La virilité chargée, ou le désir, mène à la création; d'où la vocation des paysans et des artisans à créer des produits et des choses, ainsi qu'à engendrer des enfants.
Le roi-philosophe est celui chez qui le conducteur de chars est pleinement capable de subordonner les deux chevaux et de diriger la course du char vers le haut, verticalement. C'est dans cette direction même que l'État est construit — le long de l'axe entre le Ciel et la Terre, vers le Ciel. L'Empire est une échelle menant vers le Ciel.
Selon Platon, la politique est une structure d'ascension anthropologique, correspondant à l'élévation de l'âme et à la purification de ses propriétés. C'est précisément cette connexion immédiate entre l'être et la politique qui rend la cité, dans la compréhension platonicienne, sacrée.