
Julius Evola sur la guerre, l'héroïsme et « l'ascèse de l'action »
par Ralf Van den Haute
Introduction : histoire du texte et contexte

La réflexion qui suit résume l'essai de Julius Evola La doctrine indo-européenne de la lutte et de la victoire et harmonise le ton avec votre traduction. Le texte s'articule autour d'une distinction centrale entre une vision moderne et sécularisée de la guerre et une vision indo-européenne traditionnelle dans laquelle la lutte revêt une importance rituelle, initiatique et métaphysique. Historiquement, l'ouvrage a été publié en italien chez Edizioni del Ar (1970) ; une édition française a suivi chez Pardès (1996). Le matériel s'appuie sur des conférences et des notes développées par Evola dès les années 1940. Dans ce qui suit, l'accent est mis sur le fondement symbolique, religieux et métaphysique de l'action, avec quatre sous-titres thématiques.
Tradition contre modernité : la lutte comme rituel
Evola commence par critiquer deux extrêmes modernes: le patriarcat romantique et vitaliste d'une part, et le pacifisme humanitaire d'autre part. Bien que contraires, ils partagent selon lui un même préjugé: la guerre serait dépourvue de toute signification spirituelle supérieure. Ainsi, tant l'apologiste nationaliste que le défaitiste réduisent le combat à un fait purement matériel et bestial.
Face à ce schéma moderne, la vision indo-européenne traditionnelle présente la lutte comme un symbole et un rituel: un épisode terrestre dans le cadre d'une confrontation surnaturelle entre les forces du Cosmos (Κόσμος), de la Forme et de la Lumière, et celles du Chaos (Χάος), de la nature et des ténèbres. L'héroïsme n'est alors pas l'ivresse de la recherche du danger, mais un chemin (via la gloire et la victoire) vers la transcendance et le dépassement de la condition humaine. Dans cette optique, la guerre, la lutte et le divin peuvent coïncider.
Action et contemplation dans l'héritage indo-européen
Dans la lignée du diagnostic de Guénon sur le déclin occidental, Evola nuance l'opposition entre activisme et connaissance intérieure. Par «connaissance», il n'entend pas le rationalisme, et par «contemplation», il n'entend pas la fuite du monde. Dans l'horizon indo-européen originel, l'action et la contemplation sont deux voies vers la même réalisation. La décadence survient lorsque l'action est sécularisée et matérialisée — «faire pour faire» de manière fébrile — tandis que les valeurs ascétiques et contemplatives véritables s'estompent pour devenir des conventions. Une renaissance nécessite donc un retour au sens originel de l'action: l'acte comme transfiguration, comme discipline qui élève l'individu au-dessus de la contingence.

Le combat sacré et la «double âme»: résonances nordiques, indo-iraniennes, islamiques et chrétiennes
Des variantes de la guerre sainte reviennent dans tout le monde indo-européen.
- Monde nordique: le Valhalla comme siège de l'immortalité céleste pour ceux qui sont tombés au combat ; Odin/Wotan comme souverain qui montre la voie à Yggdrasil par le sacrifice de soi; les Walkyries qui choisissent et guident les guerriers; le motif eschatologique du ragnarök comme aboutissement de la lutte métaphysique.
- Monde indo-iranien: Mithra, le «guerrier insomniaque», à la tête des fravaši/fravashi, à la fois force intime de chaque être humain, force tribale/populaire et déesse guerrière qui apporte bonheur et victoire.
- Monde islamique: distinction entre le petit jihād (extérieur) et le grand jihād (intérieur). Le premier est le moyen et le chemin vers le second: la victoire sur les ennemis intérieurs (le désir, le chaos, la passivité) est la condition préalable à la libération; celui qui combat «sur le chemin de Dieu» peut réaliser la mors triumphalis, la mort victorieuse comme percée spirituelle.
- Christianisme/croisades: sous un nouveau masque, le même enseignement résonne. Les prédicateurs qualifient la croisade de purification; Bernard de Clairvaux promet au guerrier «une couronne immortelle» et «une gloire absolue». La «Jérusalem sacrée» a une double fonction (ville terrestre et céleste): ce qui est déterminant, c'est l'intention et la consécration intérieure de l'acte, et non son déroulement extérieur.

Ces exemples trouvent leur aboutissement dans la Bhagavad Gītā: Kṛṣṇa réprimande l'hésitation sentimentale d'Arjuna et lui ordonne de combattre sans attachement: «que chaque acte me renvoie... libre de tout espoir et de tout intérêt». L'acte doit être pur — au-dessus du gain/de la perte, du plaisir/de la souffrance, de la victoire/de la défaite — permettant ainsi au moi d'accéder à la force supra-personnelle qui libère. Dans cette optique, les images classiques du daimōn (δαίμων), du fylgja/Walküre et du fravashi éclairent la notion de «double âme»: la conscience ordinaire et conditionnée contre une force individualisante et supra-individuelle qui transcende la naissance et la mort et se manifeste dans les moments de crise et de combat.
Victoire, gloire et mission de l'homme moderne
Lorsque l'acte guerrier éveille et ordonne cette force supra-individuelle, les plans intérieur et extérieur coïncident : la victoire matérielle est alors le signe et le sceau d'une consécration. D'où le statut sacré du triomphe dans l'Antiquité, le motif de la gloire comme feu céleste (hvarenah), la couronne comme symbole solaire, et Nikè (Νίκη) qui couronne le héros: images d'un état lumineux et impérissable qui scelle le combat.

Dans la conclusion, Evola relie cet enseignement à la crise actuelle : une époque touche à sa fin, et l'alternative à la violence matérialiste et à l'humanitarisme mou est «l'ascèse de l'action» — la lutte comprise comme une catharsis, comme un travail intérieur qui donne forme et sens à l'ordre après la victoire. La paix n'est alors pas un retour à la torpeur bourgeoise, mais l'aboutissement de cette tension. L'ancien credo selon lequel «le sang des héros est plus sacré que l'encre des sages et les prières des pieux» est ici lu comme une métaphore: dans une guerre sainte, ce sont les forces primitives qui agissent — et non les caprices des individus — et ce n'est que lorsque l'acte est spirituel qu'il devient légitime.
Note finale (style et terminologie)
- Pour les concepts clés issus du grec (Kosmos, Chaos, Ouranos, daimōn), l'orthographe grecque a été ajoutée.
- Lorsque la réception originale parle de registres « nationalistes », cela est systématiquement traduit par discours nationaliste d'État lorsque cela est pertinent.
- Le ton est resté essayistique et historique; les images de batailles et de mythologie fonctionnent comme des symboles de transformation intérieure, et non comme des prescriptions littérales.