Par Larry Johnson, le 23 décembre 2025
Quand je me suis lancé dans la rédaction de cet article, c'est la chanson No Woman, No Cry de Bob Marley qui me trottait dans la tête. D'où le titre.
En Occident, et en particulier parmi les politiciens américains et les grands médias américains, nombreux sont ceux qui fantasment sur un règlement négocié de la guerre en Ukraine conforme au plan en 28 points divulgué à la presse il y a plus d'un mois. Supposons, rien que pour le plaisir de débattre, que Donald Trump soit sérieux dans son intention de conclure un accord avec la Russie qui réponde aux exigences énoncées vendredi dernier par le président Poutine lors de sa conférence de presse de fin d'année (cf. Poutine est limpide sur les conditions russes pour la paix en Ukraine. Trump & Witkoff ont-ils bien entendu ?).
J'ai toutefois le sentiment que Poutine n'a pas mentionné une exigence qui, à ma connaissance, n'a pas été exprimée publiquement. Pour que l'accord avec les États-Unis soit légalement contraignant, il doit prendre la forme d'un traité ratifié par le Sénat américain. Sinon, toute promesse de Donald Trump expirera à la fin de son mandat et sera ignorée ou écartée par les politiciens américains et l'État profond.
Pourquoi cette précision ? Revenons sur les propos tenus dimanche par le sénateur Lindsey Graham dans l'émission Meet the Press de la chaîne NBC, au cours de laquelle il a évoqué les pourparlers en cours entre la Russie et l'Ukraine pour parvenir à un accord de paix. Il a exprimé son soutien à un tel accord, mais a souligné les exigences strictes et les conséquences si la Russie devait le rejeter. Il a déclaré souhaiter un accord de paix "qui dissuaderait la Russie d'envahir à nouveau l'Ukraine" (allusion à l'annexion de la Crimée en 2014 et à l'invasion de 2022) et a ajouté : "Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher une troisième invasion". Il a même admis que les territoires actuellement sous contrôle russe ne seraient pas tous restitués : "Nous n'allons pas non plus expulser tous les Russes d'Ukraine, c'est une évidence".
Il a toutefois appelé à des garanties de sécurité solides pour l'Ukraine, notamment la présence potentielle de troupes européennes sur le terrain et l'engagement des États-Unis. Or, c'est un principe de non-négociation pour les Russes. Il a affirmé que le président russe, Vladimir Poutine, ne souhaite pas négocier et pourrait continuer à annexer des territoires, comme le Donbass, à moins que la pression ne s'intensifie. Il a déclaré que les États-Unis risquent de "surestimer" la volonté de Poutine de faire la paix. C'était le message peu subtil envoyé par Graham à son partenaire de golf, Donald Trump.
Graham a ensuite précisé que si Poutine refuse la proposition actuelle, le président Trump doit "radicalement revoir sa stratégie" en intensifiant son soutien à l'Ukraine, notamment en fournissant des missiles de croisière Tomahawk pour frapper les usines de drones et de missiles russes situées en Russie. Il a ajouté qu'il "miserait tout" sur un tel scénario.
Graham part du principe que le plan viable est celui de 28 points, ou son adaptation, mais d'après les déclarations du président Poutine vendredi, ce plan est voué à l'échec. Le général quatre étoiles à la retraite Jack Keane, analyste stratégique principal chez Fox News, a réitéré ces propos dans l'émission Sunday Morning Futures with Maria Bartiromo sur NBC. Keane a souligné que la position du président russe Vladimir Poutine dans les négociations est difficile à cerner. Il a exprimé des réserves quant à la volonté de Poutine de faire des concessions significatives ou de s'engager dans un accord de paix durable.
L'insistance de Graham et de Keane sur la nécessité de garantir la sécurité de l'Ukraine n'est rien d'autre qu'un euphémisme pour gagner du temps, et permettre à l'Ukraine de se réarmer et de poursuivre la guerre contre la Russie. Leur conception des garanties de sécurité repose sur six points :
- Engagement de sécurité mutuelle similaire à l'article 5 de l'OTAN : c'est la mesure centrale proposée par les États-Unis lors des récentes négociations. Il s'agit d'engagements inspirés de l'article 5 de l'OTAN, selon lequel une attaque contre l'Ukraine est considérée comme une attaque contre les garants, déclenchant une riposte militaire. Les responsables américains ont décrit cet engagement comme "similaire à l'article 5", avec une implication explicite des États-Unis, mesure qui pourrait dissuader la Russie d'envisager une nouvelle invasion. Cet engagement serait ratifié par le Congrès pour plus de durabilité.
- Déploiement de troupes multinationales (principalement européennes) en Ukraine : une "force multinationale" dirigée par l'Europe (comme la Coalition des volontaires) opérant sur le territoire ukrainien après un cessez-le-feu, notamment pour maintenir la paix, surveiller les frontières et dissuader toute agression. Cette force serait soutenue par les services du renseignement et la logistique américains, mais sans troupes terrestres américaines permanentes (option ouverte pour des déploiements temporaires). Le sénateur Lindsey Graham a explicitement appelé à l'envoi de "troupes européennes sur le terrain" pour prévenir une "troisième invasion".
- Aide militaire à long terme et réorganisation des forces ukrainiennes : approvisionnement continu en armes, formation et développement de l'armée ukrainienne (notamment une armée de 800 000 hommes en temps de paix). Cela inclut la reconstruction des industries de défense et la fourniture de systèmes avancés, comme des systèmes de défense aérienne et antimissile, pour se protéger des frappes russes.
- Renforcement du partage de renseignements et du soutien à la défense aérienne : accès renforcé des services du renseignement américain et déploiement de défenses aériennes efficaces (terrestres ou aériennes) à l'intérieur de l'Ukraine. Il est notamment question de mettre en place des patrouilles aériennes alliées tournantes (similaires à la police aérienne de l'OTAN dans la Baltique) afin de sécuriser l'espace aérien et de dissuader les violations.
- Traités multilatéraux ou bilatéraux juridiquement contraignants : des traités prévoyant des mesures automatiques (aide militaire, rétablissement des sanctions) en cas d'agression. Contrairement aux mémorandums vagues, ceux-ci seraient ratifiés et applicables, et pourraient inclure des mécanismes de surveillance et de résolution des conflits.
- Mesures économiques et sanctions dissuasives : réimposition automatique de sanctions mondiales et annulation de toute reconnaissance territoriale ou d'autres avantages si la Russie viole l'accord. Ces mesures seraient liées à des mécanismes de surveillance du respect du cessez-le-feu.
La Russie serait favorable au point 5, mais uniquement selon les conditions énoncées vendredi dernier par le président Poutine. Le reste des garanties de sécurité souhaitées par les dirigeants politiques occidentaux a été complètement rejeté par la Russie, ou le sera. En résumé, mon argument est le suivant : si Trump conclut un accord avec Poutine qui cède aux exigences de ce dernier, présentées pour la première fois le 14 juin 2024, il se heurtera à une opposition acharnée aux États-Unis et en Europe. Quelles que soient les promesses faites par Trump à Poutine, l'accord n'aura aucun poids s'il n'est pas ratifié par le Sénat américain en tant que traité. Et à ce stade, je ne pense pas que les deux tiers des sénateurs américains votent en faveur d'un tel traité.
Selon moi, si Poutine persiste à vouloir normaliser les relations avec les États-Unis - du moins tant que Trump est au pouvoir - il sait aussi que l'unique garantie de sécurité pour la Russie est la défaite militaire de l'Ukraine, et par extension, de ses parrains de l'OTAN.
Outre mes entretiens habituels du lundi avec Nima, en compagnie du professeur Marandi, et avec le juge Napolitano, j'ai mis en ligne jeudi dernier une interview réalisée avec mon vieil ami Alastair Crooke :
Traduit par Spirit of Free Speech