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"La foi au temps du génocide", de Kairos Palestine, appelle à dénoncer le sionisme

"La foi au temps du génocide", de Kairos Palestine, appelle à dénoncer le sionisme

Par  Jeff Wright pour Mondoweiss, 23 décembre 2025

Le mois dernier, 300 personnes, menées par les patriarches et les chefs des Églises de Palestine, se sont réunies à Bethléem pour présenter le deuxième document de Kairos Palestine :  A Moment of Truth: Faith in a Time of Genocide [Un moment de vérité : la foi au temps du génocide]. 140 Palestiniens et 160 internationaux ont passé la journée à décortiquer les aspects théologiques et politiques du sort des Palestiniens et à répondre à l'appel de l'Église indigène à la résistance palestinienne et à la solidarité chrétienne. La conférence était organisée par  Kairos Palestine, le plus grand mouvement œcuménique chrétien palestinien non violent pour la liberté et la justice.

Mays Nassar, membre de Kairos Palestine, a présenté le document de 14 pages en déclarant :

"Le début de l'offensive génocidaire contre Gaza et le durcissement de l'apartheid et du nettoyage ethnique en Cisjordanie nous ont menés à un tournant moral et théologique décisif. En ces temps de l'horreur, nos consciences nous ont poussés à réfléchir au sens de la foi. Nous nous sommes demandé ce que nous devions dire à notre peuple aujourd'hui. Quel est le message chrétien face au génocide ?"

Kairos II n'y va pas par quatre chemins.

Dans la première partie du document, intitulée "La réalité : génocide, colonisation et nettoyage ethnique", les auteurs déplorent :

"Nous lançons ce cri d'alarme face au génocide de Gaza, une agression qui a fait des centaines de milliers de morts et de blessés, ainsi que près de deux millions de déplacés. Beaucoup ont été ensevelis sous les décombres, brûlés vifs, torturés à mort en prison ou déplacés de force à plusieurs reprises. D'autres ont souffert de la famine, pris pour cible alors qu'ils étaient en quête de nourriture. Des dizaines de milliers d'enfants ont été tués de la manière la plus horrible qui soit. Les secteurs de la santé, de l'éducation, de l'économie et de l'environnement à Gaza, bref, tous les aspects de la vie, ont été pulvérisés.

"Aujourd'hui", poursuit le document, "le vrai visage de l'idéologie sioniste se dévoile : un système qui, depuis des décennies, a mis en place un régime d'apartheid extrêmement organisé et soutenu par des technologies de pointe, contrôlant tous les aspects de la vie palestinienne, fragmentant le territoire, divisant le peuple et faisant de l'existence des Palestiniens un enfer insoutenable".

Selon le document, le génocide est à la fois un processus cumulatif

"qui trouve son origine dans l'esprit des puissances coloniales européennes qui ont nié l'image de Dieu chez les autres, légitimant ainsi la mort, la domination et l'esclavage", et un "péché structurel contre Dieu, l'humanité et la création.

"Nous considérons l'État d'Israël, créé en 1948, comme l'extension du même projet colonial fondé sur le racisme et l'idéologie de la supériorité ethnique ou religieuse", affirme Kairos II.

Les auteurs estiment que

"la guerre génocidaire a exposé l'hypocrisie du monde occidental, ses valeurs superficielles et ses vaines promesses d'engagement en faveur des droits de l'homme et du droit international. En vérité, le monde occidental nous a sacrifiés, en révélant son racisme et ses doubles standards envers notre peuple".

Abordant la réalité internationale du sionisme chrétien, le document le décrit comme une

"théologie du racisme, du colonialisme et de la suprématie ethnique... une théologie source de l'apartheid, du nettoyage ethnique et du génocide des peuples autochtones".

"Le sionisme chrétien invoque un Dieu tribal et raciste, un Dieu de la guerre et du nettoyage ethnique, des enseignements radicalement étrangers au fondement de la foi et de l'éthique chrétiennes", poursuit Kairos II. "Le sionisme chrétien doit donc être nommé pour ce qu'il est : une distorsion théologique et une corruption morale".

Dans ce que certains pourraient considérer comme le passage le plus controversé du document, Kairos II insiste sur la nécessité de mettre fin aux débats religieux et aux dialogues interconfessionnels avec les sionistes chrétiens.

"Après avoir tout tenté pour inviter les sionistes chrétiens à une repentance sincère", poursuit le document, "la responsabilité morale, ecclésiale et théologique exige qu'ils soient tenus pour responsables et que leur idéologie soit rejetée et mise au ban. Le moment est venu pour les Églises du monde entier de condamner la théologie sioniste et d'affirmer clairement leur position sur la Palestine : il ne s'agit ni plus ni moins que d'un cas de colonialisme de peuplement et de nettoyage ethnique d'un peuple autochtone".

Le document décrit en détail les agressions de plus en plus violentes perpétrées par les colons :

"Dans l'ensemble de la Cisjordanie occupée, les colons sèment le chaos, détruisent les récoltes, empoisonnent ou s'emparent des ressources en eau, et attaquent les habitants, le tout sous la protection, le soutien et même la participation de l'armée israélienne, qui commet des actes violents, des meurtres, détruit des maisons et expulse les habitants".

Quant aux Palestiniens vivant dans l'État d'Israël, le document affirme que

"le racisme et la discrimination flagrants se poursuivent. Les communautés palestiniennes sont victimes de harcèlement, de criminalisation de la liberté d'expression et de répression de toute revendication en faveur des droits palestiniens, ainsi que de la négligence délibérée d'Israël à l'égard de la criminalité organisée qui sévit dans les quartiers palestiniens. Les personnes déplacées en 1948 dont les terres ont été confisquées se voient toujours refuser le droit de rentrer chez elles et de reconstruire leurs maisons. Les communautés bédouines sont toujours victimes de déplacements systématiques et de nettoyage ethnique".

Le document dénonce les conditions de vie intenables qui se sont progressivement aggravées au cours des 77 années de dépossession et d'occupation par Israël :

"Les divisions politiques, les rivalités et l'exclusion se sont accentuées. La plupart des Palestiniens manquent de confiance en leurs dirigeants politiques. Suite aux accords d'Oslo et à leurs conséquences, l'Autorité palestinienne a été piégée, réduite à défendre les intérêts de l'occupant.

"Les troubles sont désormais monnaie courante, notamment dûs à l'absence ou à la faible application de l'État de droit. Les intimidations, les spoliations foncières, le tribalisme, le népotisme et la corruption sous toutes ses formes se sont ainsi multipliés au détriment du bien commun, aggravant le désespoir et la frustration de la population. La catastrophe humanitaire à Gaza s'est accompagnée d'actes de violence, de vengeance, de chaos et de vols, ajoutant aux souffrances du peuple palestinien".

Le document dépeint en outre un contexte extérieur extrêmement inquiétant.

"Ces dernières années, notre région, le Moyen-Orient, a connu des transformations politiques et régionales majeures, résultant de stratégies délibérées de domination militaire israélienne, avec le soutien des puissances occidentales, redéfinissant ainsi la géographie politique et démographique de la région. Soutenu systématiquement par ses alliés, Israël a agressé de nombreux pays de la région, violant leur souveraineté et celle de leurs peuples, bafouant le droit international, et s'est imposé avec arrogance comme un État agressif et tyrannique, se plaçant au-dessus de toutes lois et conventions, plongeant la région, et même le monde, au bord de la catastrophe".

La deuxième partie de Kairos II, "Un moment de vérité en nous", se concentre sur la société palestinienne.

"Face à cette terrible réalité et en ce moment décisif, nous nous adressons d'abord à nous-mêmes, aux fils et filles de nos Églises et congrégations, ainsi qu'à tout notre peuple, dans la patrie et la diaspora.

Le document invite à "une réévaluation nationale globale de nos réalités pour en tirer des enseignements qui mèneront à une vision collective unifiée et à une stratégie claire pour notre action future, dans un cadre représentatif légitime",

et met en garde contre le risque de conférer à notre lutte nationale un caractère religieux ou de la réduire à une question religieuse opposant différentes confessions.

Kairos II, dans une prose presque lyrique, s'adresse :

  • à la femme palestinienne, "pilier inébranlable, partenaire dans la lutte, qui veille à la fois sur le foyer, la terre, la mémoire et l'avenir. Il ne peut y avoir de véritable libération sans sa pleine participation à tous les niveaux de prise de décision et au processus de reconstruction de la nation".
  • à l'Église palestinienne : "Nous sommes les fils et les filles de la première Église... ceux qui ont cultivé cette terre, construit ses villes et ses villages, et bu à ses sources. Nous ne vivons pas en marge de cette terre. Nous en sommes l'incarnation. Nous perpétuons son histoire et son héritage. Son sol même nous reconnaît comme siens. De nombreux empires ont foulé cette terre et ont disparu, réduits à l'oubli, mais les cloches de nos églises continuent de sonner, témoignant de la vérité et proclamant chaque jour la résurrection".
  • "À vous, notre jeunesse, nous disons : vous êtes une Église vivante... Nous voyons votre colère, votre souffrance, vos peurs. Mais nous discernons aussi votre force. Nous ne vous appelons pas à un optimisme naïf, mais à une espérance enracinée dans l'action. Exprimez-vous. Écrivez. Chantez. Créez. Organisez-vous. Résistez et affirmez votre humanité dans un monde qui cherche à l'effacer".
  • "À notre peuple de la diaspora : Vous êtes certes géographiquement loin de la Palestine, mais la Palestine vit en vous. Votre voix a le pouvoir de changer les réalités. Partagez nos souffrances, mais aussi nos témoignages de persévérance et de réussite. Nous ne renoncerons ni à notre rêve de réunification, ni à notre droit au retour".

Dans la troisième partie du document, intitulée "Appel à la repentance et à l'action", les auteurs lancent un appel à la population du monde entier.

Aux chrétiens : "œuvrez, via des actions conjointes religieuses et laïques, pour faire pression sur leurs gouvernements et les inciter à isoler Israël, à le tenir pour responsable, à poursuivre les criminels de guerre, quelle que soit leur identité, et à veiller à ce que le peuple palestinien obtienne réparation. Œuvrez pour le retour immédiat des personnes déplacées, grâce à la reconstruction de Gaza et au renforcement de la détermination de son peuple".

Aux âmes de bonne volonté : "croyants en Dieu de toutes confessions et gens de conviction, unissez-vous dans votre combat pour protéger l'humanité d'une nouvelle régression vers l'injustice, la tyrannie et la domination".

"Nous appelons à un mouvement théologique mondial fondé sur les valeurs du Royaume de Dieu, un mouvement issu des réalités et du combat des peuples opprimés par le colonialisme, le racisme, l'apartheid et la pauvreté structurelle engendrée par des systèmes économiques et politiques corrompus au service des empires mondiaux".

"À toutes les voix juives qui s'opposent à la guerre et dénoncent le sionisme au nom de convictions morales, religieuses et humaines, nous disons : 'Nous voyons en vous des partenaires dans notre humanité commune, la lutte pour la liberté et la dignité humaines, ainsi que dans le dialogue religieux et politique'".

Rejetant l'amalgame entre Juifs et sionistes, le document établit une distinction claire. Il affirme que "tous les juifs ne sont pas sionistes, et tous les sionistes ne sont pas juifs".

Ce texte appelle à la solidarité, à prendre des risques pour le bien de l'autre.

"De par sa nature même", insiste le document, "la véritable solidarité est exigeante. Elle a un prix. C'est une conviction fondée sur la foi, un engagement humain et une responsabilité morale. La véritable solidarité est également l'incarnation de notre humanité et de notre fraternité communes. Soit nous vivons ensemble, soit nous périssons ensemble. Aujourd'hui, c'est la Palestine. Demain, d'autres peuples seront marginalisés et opprimés".

La dernière partie, "La foi au temps du génocide" est la plus brève et réaffirme la foi inébranlable des chrétiens palestiniens ainsi que leur vision réaliste des possibilités de paix.

"Il est vain d'évoquer une solution politique aujourd'hui si nous ne nous attelons pas d'abord à la lourde tâche de reconnaître et de réparer les torts du passé, en commençant par l'injustice historique subie par les Palestiniens depuis la montée du mouvement sioniste et la déclaration Balfour. Tout véritable processus de paix doit passer par le démantèlement du colonialisme et du système d'apartheid fondé sur la suprématie juive. Une action et une protection internationales sont indispensables. Les solutions durables ne peuvent être fondées sur l'usage de la force, mais sur les principes de justice, d'égalité et de droit à l'autodétermination".

Dans son discours à la conférence, le Dr Muna Mushahwer, ophtalmologiste et membre du conseil d'administration de Kairos Palestine, a reconnu :

"Oui, nous sommes en colère, voire furieux. Jésus lui-même s'est en effet mis en colère dans le Temple, comme nous pouvons le lire dans l'Évangile selon saint Matthieu (21:12-13). Il s'est mis en colère parce que la maison du Seigneur se doit d'être une maison de prière, mais elle a été transformée en repaire de voleurs. Pensez-vous qu'il est moins en colère maintenant que la terre du Seigneur a été réduite en un lieu de mort et de désolation ? Toutefois, ce moment de vérité résulte des peurs et de toute cette souffrance. Comme nous l'écrivons dans Kairos II, nous énonçons cette vérité... une vérité sans équivoque".

"La foi au temps du génocide" s'inscrit dans la tradition des confessions chrétiennes rédigées lors d'autres événements tragiques, comme la Déclaration de Barmen pendant la montée du nazisme (1934), la Lettre de la prison de Birmingham de Martin Luther King, Jr. au cours du mouvement pour les droits civiques aux États-Unis (1963), ou encore le Document Kairos d'Afrique du Sud pendant la lutte contre l'apartheid (1985).

Traduit par  Spirit of Free Speech

* Jeff Wright est un religieux de l'Église chrétienne (Disciples du Christ).

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