
© Getty Images
Le chef de la diplomatie syrienne Assaad el-Chaïbani et son homologue Hakan Fidan. [Photo d'illustration]
La Turquie renforce sa coordination avec la Syrie pour faire pression sur les FDS. Ankara s'affirme comme un contrepoids stratégique à Israël en Syrie et au Liban. Monopole des armes, souveraineté et équilibres régionaux structurent cette rivalité.
Les affrontements survenus à Alep entre l'armée syrienne et les Forces démocratiques syriennes (FDS) ne peuvent être dissociés de la séquence diplomatique orchestrée le même jour à Damas par la Syrie et la Turquie. Lors d'une conférence de presse conjointe, les ministres des Affaires étrangères des deux pays ont accusé les FDS d'entraver l'application de l'accord du 10 mars, qui prévoit leur intégration au sein des institutions syriennes.
Le ton employé a été perçu comme un avertissement clair : Ankara et Damas entendent accroître la pression sur les FDS, par des moyens politiques d'abord, mais avec la menace implicite d'une option militaire si l'impasse persiste.
Au-delà du dossier kurde, cette coordination syro-turque révèle surtout une dynamique régionale plus large, dans laquelle la Turquie cherche à s'imposer comme un contrepoids stratégique à Israël. Le ministre syrien Assaad el-Chaïbani a explicitement lié la question des FDS aux attaques israéliennes en Syrie, une lecture reprise par son homologue turc Hakan Fidan.
La Turquie déploie son influence
Cette convergence traduit une perception partagée : après avoir affaibli l'axe iranien, Israël chercherait désormais à remodeler l'espace syrien et libanais selon ses propres impératifs sécuritaires, au détriment de l'unité des États.
Face à cette approche, Ankara défend une ligne fondée sur le monopole des armes par l'État et la préservation des souverainetés nationales. Cette doctrine, aujourd'hui reprise en Syrie, en Irak et au Liban, entre directement en contradiction avec la stratégie israélienne fondée sur des frappes répétées, une pression militaire constante et la volonté d'imposer des zones d'influence, notamment au sud de la Syrie et au Sud-Liban. La Turquie s'appuie, de son côté, sur un réseau de coordinations avec des pays arabes, l'Iran et les États-Unis, cherchant à construire un cadre régional alternatif à celui que veut imposer Tel Aviv.
Ce rôle de contrepoids se manifeste également sur le dossier libanais. Ankara a multiplié les canaux de dialogue avec l'ensemble des acteurs libanais, y compris le Hezbollah - non pour soutenir son arsenal, mais pour peser sur la phase à venir et éviter une déstabilisation régionale incontrôlée. Depuis la chute du gouvernement Assad, le Hezbollah se retrouve davantage contraint stratégiquement, ce qui confère à la Turquie une capacité d'influence accrue, à la fois comme facteur de stabilisation et comme interlocuteur indirect face à Israël.
Parallèlement, Israël tente d'entraîner le Liban vers des arrangements économiques et énergétiques sous contrainte, notamment autour du gaz et des zones frontalières. La Turquie, en contestant certaines délimitations maritimes et en s'impliquant dans les équilibres syriens et libanais, cherche à empêcher l'établissement d'un ordre régional dominé par Israël. La question des minorités, enfin, devient un terrain supplémentaire de rivalités, Ankara redoutant qu'elle ne serve de levier à des stratégies de fragmentation.