26/12/2025 ssofidelis.substack.com  7min #300050

Cloches muettes, nuits glaciales, et la mort pour Noël à Gaza

Par  Dalia Abu Ramadan, le 24 décembre 2025

Pour la troisième année consécutive, Gaza passera Noël sans lumières, ni festivités. Les cloches ne tinteront pas, et les décorations qui autrefois atténuaient brièvement les souffrances de la bande de Gaza feront défaut dans les rues où le deuil n'est que trop familier.

En 2023, la nuit de Noël à Gaza a été empreinte de peur et de terreur, alors que l'offensive militaire n'avait commencé que deux mois auparavant. Beaucoup de Palestiniens, musulmans comme chrétiens, estimaient impossible de commencer une nouvelle année sous le feu des bombardements. Tous partageaient l'espoir que 2024 marquerait la fin des combats.

Je me souviens très bien de l'incrédulité et des sarcasmes suscités par la déclaration du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, annonçant que 2024 serait "une année d'affrontements". On estimait que le monde ne permettrait pas pareil scénario. Mais ce qui s'est produit a dépassé nos pires craintes.

Aujourd'hui, après plus de deux ans de massacres, Gaza aborde la fin de l'année 2025, et Noël - que certains chrétiens palestiniens célèbrent le 25 décembre, tandis que beaucoup d'autres le célèbrent en janvier, conformément aux calendriers de l'Église orthodoxe grecque et de l'Église apostolique arménienne - survient après un soi-disant cessez-le-feu. Pourtant, la réalité sur le terrain soulève des questions alarmantes quant à la véritable signification de ce "cessez-le-feu".

Les rues, dépourvues de décorations pour la troisième année consécutive, sont plus sombres et plus dévastées que jamais. Si le rythme des massacres a ralenti, les conséquences de la guerre restent profondément ancrées dans notre vie quotidienne : des nourrissons sont morts de froid, la malnutrition aiguë est omniprésente, et beaucoup vivent dans des tentes inondées à chaque tempête.

Que signifie ce moment pour la communauté chrétienne de Gaza, qui autrefois célébrait Noël avec foi et résilience ? Et que représente-t-il pour les Palestiniens musulmans, qui avaient pour habitude de partager ce moment, de voir le sapin de Noël illuminé et d'être témoins de la joie de leurs voisins ?

À Gaza, Noël s'annonce sans lumières, sans chaleur, et marqué par le fléau des combats qui ne sont pas réellement terminés, même si un cessez-le-feu a été officiellement annoncé.

J'ai récemment discuté avec l'ami chrétien de mon père, Tawfiq Al-Amash, qui a survécu au génocide et à la famine et qui continue de souffrir à nos côtés. Je lui ai demandé son avis sur ce Noël.

Il m'a répondu, la voix brisée : "Que puis-je te dire ? Que puis-je dire ?"

J'ai eu honte de lui avoir posé cette question, sachant à quel point nous souffrons tous à l'aube de 2026.

Al-Amash m'a ensuite expliqué pourquoi il n'a pas souhaité installer des sapins de Noël à Gaza cette année, alors qu'un ami musulman travaillant avec lui à la municipalité de Gaza lui avait proposé de le faire.

"J'ai refusé", m'a confié Al-Amash. Je lui ai demandé pourquoi, et comment Noël pourrait-il être possible dans les circonstances actuelles ?

Al-Amash a ensuite évoqué ce qu'était Noël à Gaza avant le génocide. Dans le passé, la plupart des magasins de Gaza étaient décorés pour les fêtes de fin d'année, m'a-t-il dit, et les chrétiens de Gaza se souviennent à quel point les rues étaient illuminées, belles et accueillantes pour Noël. Il se souvient comment sa communauté décorait l'Association de la jeunesse chrétienne (où se déroulaient de nombreuses activités, telles que des célébrations, des événements sportifs et d'autres rassemblements pour les chrétiens et les musulmans) afin de se réunir et de faire la fête ensemble.

Il m'a dit :

"En tant que chrétiens, nous nous rendions visite les uns aux autres, passant des nuits à veiller, à profiter et à fêter ces journées ensemble. Et bien sûr, il y avait les cadeaux que nous distribuions à nos voisins musulmans : des chocolats en forme de Père Noël. L'une de nos plus grandes joies était d'aller à Bethléem [en Cisjordanie]. Avant la guerre, l'occupation israélienne faisait en sorte que nous puissions nous rendre à Bethléem et prier dans ses églises.

"Mais aujourd'hui ? Rien de tout cela n'est possible. Tout ce que nous pouvons faire, c'est assister à la messe. C'est tout. Nous avons toutefois décidé de faire un petit geste pour nos enfants : nous avons demandé à une entreprise de distribuer des cadeaux simples à nos enfants sur le parvis de l'église".

Voilà donc à quoi ressemblera Noël pour mes voisins chrétiens : pas de fête, juste des prières et le souvenir douloureux de leurs belles fêtes passées. Et, plus douloureux encore, l'interdiction de l'occupation israélienne de coordonner les visites à Bethléem.

Je sais de première main ce qu'ont enduré les chrétiens de Gaza pendant la guerre génocidaire. Beaucoup d'entre eux ont été tués, car la guerre a ciblé tout ce qui vit à Gaza : humains, animaux, plantes... Même les pierres n'ont pas été épargnées par l'occupation.

Quand je pense aux souffrances des chrétiens de Gaza, je pense immédiatement à l'ami de notre famille, Tareq Al-Souri, un homme d'affaires éminent et marchand bien connu, un homme grandement apprécié à Gaza, dont la famille a été rayée du registre civil au début de ce génocide.

Le 20 octobre 2023, des funérailles ont été organisées pour les 17 chrétiens, pour la plupart des enfants et des femmes, qui ont péri lors d'une  frappe aérienne israélienne sur l'église où des dizaines de familles avaient trouvé refuge après que leurs maisons ont été détruites ou évacuées pour des raisons de sécurité.

Les cloches du deuil ont sonné ce jour-là, alors que la famille Al-Souri et d'autres familles chrétiennes étaient mises en terre : Yara Jreis Al-Amash, Viola Jreis Al-Amash, Abdelnour Sami Al-Souri, Tareq Sami Al-Souri, Liza Walid Al-Souri, Suhail Ramez Al-Souri, Majed Ramez Al-Souri, Julie Ramez Al-Souri, Ellen Helmy Terzi, Marwan Salim Terzi, Nahed Terzi, Suleiman Jamil Terzi, Sanaa Attallah Al-Amash, Alya Abdelnour Al-Souri, Issa Tareq Al-Souri, Juliette Sobhi Al-Souri et George Sobhi Al-Souri. Des prières ont été dites pour eux dans la cour de l'église grecque orthodoxe.

Je me souviens à quel point cette journée a été difficile, d'autant que les chrétiens n'avaient jamais été confrontés à ce genre de massacres lors des précédentes attaques israéliennes contre Gaza.

Récemment, j'ai écouté  une interview sur  Al Jazeera avec certains des chrétiens vivant à Gaza. Parmi eux se trouvait Faten Al-Safliti, qui a raconté comment elle avait perdu son mari et son fils lors des bombardements de l'église.

Dans la même interview, une jeune fille nommée Maryam Tarzi a déclaré :

"Nous entendons les bombardements tous les jours, même après la fin de la guerre !"

Un chrétien de Gaza nommé Edward Anton a rappelé qu'il passait habituellement les vacances dans la maison familiale, mais il a déclaré à Al Jazeera que cette année, il pleurait la perte de sa mère et de sa sœur, tuées par un sniper israélien alors qu'elles cherchaient refuge dans une église.

J'ai essayé de contacter le frère d'Edward Anton, Issa Anton, un ami de ma famille, mais je n'ai reçu aucune réponse. J'ai hésité à le rappeler, ne voulant pas être insistante dans leur profond chagrin et des circonstances difficiles qu'il endure.

Le bonheur n'est plus qu'un rêve lointain pour les habitants de Gaza. Les souffrances et le deuil permanents nous volent notre joie de vivre. Tout n'est que souffrance et l'avenir présage le pire.

Le mois sacré du ramadan approche, en février, et nous, musulmans, nous demandons : comment le vivrons-nous cette année ? Notamment avec la fête de l'Aïd célébrée juste après. À Gaza, les souffrances infligées par Israël privent la population de toute joie, sans exception, y compris de celle de nos traditions religieuses.

Traduit par  Spirit of Free Speech

Dalia Abu Ramadan est une conteuse palestinienne et future diplômée de l'Université islamique de Gaza. Elle partage des récits poignants qui reflètent la force, la résilience et les défis de la vie à Gaza.

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