27/12/2025 les-crises.fr  7min #300079

L'Europe pourrait devoir débourser 160 milliards de dollars pour maintenir l'Ukraine à flot

La Belgique s'oppose pour l'instant à l'utilisation des avoirs gelés de la Russie, ce qui oblige l'Europe à maintenir le pays à flot et à poursuivre la guerre.

Source :  Responsible Statecraft, Ian Proud
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Même si la guerre prenait fin demain, l'Europe pourrait devoir débourser 135 milliards d'euros (près de 160 milliards de dollars) au cours des deux prochaines années pour maintenir l'Ukraine à flot. Bruxelles ne semble pas avoir de plan B dans sa manche.

J'ai averti pour la première fois en septembre 2024 que l'utilisation des avoirs russes immobilisés pour financer la guerre en Ukraine dissuaderait la Russie de demander la paix. Rien n'a changé depuis lors. La Russie conserve son avantage sur le champ de bataille, dispose de réserves financières, d'un niveau d'endettement extrêmement faible par rapport aux normes occidentales et peut se permettre de continuer à se battre, malgré le coût humain. Poutine attend manifestement que les Européens abandonnent, sachant qu'ils seront à court d'argent avant lui.

Pour l'instant, sa stratégie semble fonctionner, car l'Ukraine n'a pas d'argent et l'Europe, qui ne souhaite pas voir l'Ukraine contrainte à une paix défavorable, est à la peine de devoir trouver une solution. En mai, j'ai également signalé que « l'Ukraine demande déjà plus d'argent pour continuer à se battre jusqu'en 2026, signe indéniable que le président Volodymyr Zelensky n'a pas l'intention de mettre fin à la guerre. »

À l'époque, le coût probable d'une année supplémentaire de guerre était estimé à environ 43,3 milliards de dollars. Depuis, la facture est passée à 63 milliards de dollars en 2026 et, selon le FMI, à 136,6 milliards de dollars pour les quatre prochaines années.

L'Europe ne dispose tout simplement pas d'un tel niveau de financement. En conséquence, les dirigeants politiques européens sombrent dans la panique alors que le boomang de l'énorme déficit budgétaire de l'Ukraine est de retour.

Ces conséquences, pour citer le Premier ministre belge Bart De Wever dans ses remarques après la réunion du Conseil européen d'octobre, sont les 140 milliards de dollars d'actifs russes immobilisés que la Commission européenne souhaiterait utiliser pour soutenir un « prêt de réparation » à l'Ukraine. Il va sans dire que cet argent n'est pas destiné à des réparations, mais plutôt à absorber les déficits prévus de l'Ukraine à l'avenir.

Tout cet argent serait injecté dans les caisses de l'Ukraine pour couvrir les dépenses quotidiennes, le budget de la défense à lui seul coûtant actuellement 172 millions de dollars par jour, contre 140 millions il y a un an. Et comme les estimations budgétaires de l'Ukraine ne font qu'augmenter et ne diminuent jamais, cet argent ne durera pas éternellement.

À ce stade, on pourrait être tenté de penser que les dépenses de défense considérables de l'Ukraine, qui représentent environ 63 % du budget du gouvernement ukrainien, diminueront si la guerre prend fin cette année, en réponse à l'initiative de paix du président Trump. Mais je crains qu'une telle hypothèse ne soit erronée. L'Europe fait pression sur les États-Unis pour qu'ils ne limitent pas la taille de l'armée ukrainienne, forte de près d'un million d'hommes, dans le cadre d'un accord de paix. Dans le meilleur des cas, l'Ukraine pourrait décider de réduire progressivement la taille de son armée au fil du temps. Mais cela laisserait tout de même un important trou budgétaire pendant plusieurs années. Or, une grande armée ne se finance pas toute seule et ce sont les Européens qui devront payer la facture.

Il n'est donc pas surprenant que les Belges refusent d'utiliser les actifs immobilisés dans leur pays pour financer le déficit budgétaire de l'Ukraine. Le Premier ministre De Wever affirme que cela compromettrait les efforts menés par les États-Unis pour mettre fin à une guerre qui dure depuis près de quatre ans, en dissuadant la Russie de parvenir à un accord, ce qui nous ramène au point que j'ai soulevé il y a 15 mois.

Cependant, le problème plus profond pour la Belgique est la crainte que sanctionner l'expropriation des actifs souverains russes sur des bases juridiques fragiles ne détruise sa réputation financière et ne fasse fuir les investisseurs des pays en développement. Euroclear, basé en Belgique, où sont détenus les actifs russes immobilisés, détient un stock de 4 000 milliards de dollars d'actifs souverains provenant du monde entier. Commencer à « manger le poulet » de ces actifs, comme le dit le Premier ministre belge, en les prêtant essentiellement à l'Ukraine, pourrait « nuire à la réputation de la Belgique en tant que centre financier fiable et éroder la confiance dans l'euro et le système financier de l'UE. »

Comme on pouvait s'y attendre, cela a suscité une vague de protestations de la part d'autres États européens qui exercent une pression croissante sur la Belgique pour qu'elle cède et libère ainsi les fonds destinés à la cause ukrainienne. Mais comme l'a souligné à plusieurs reprises De Wever, ces États européens, par exemple l'Allemagne, la France, les Pays-Bas et le Luxembourg, ne proposent pas de débloquer les actifs russes immobilisés sur leur territoire et de partager ainsi le risque financier. Ils ne sont pas non plus disposés à garantir le prêt des actifs détenus en Belgique en s'engageant à rembourser une partie du coût si la Russie venait à obtenir gain de cause dans le cadre d'une action en justice après la fin de la guerre. Pour l'instant, la Belgique campe donc sur ses positions et bloque le prêt, sans montrer de signes de recul.

En conséquence, la question a été reportée au mois de décembre pour une décision finale, ce qui laisse le temps aux eurocrates de Bruxelles de convaincre leurs hôtes belges récalcitrants. Si aucun accord n'est trouvé, l'Ukraine risque de se retrouver à court d'argent pour financer son combat, car elle n'a pas accès aux marchés financiers occidentaux en raison du moratoire sur le remboursement de sa dette.

La Commission européenne pourrait donc se voir contrainte de lever des fonds sur les marchés afin d'accorder à l'Ukraine une aide non remboursable pour couvrir ses besoins de financement en 2026.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Depuis 2024, les sponsors occidentaux de la guerre en Ukraine sont progressivement passés de l'octroi de fonds gratuits à celui de prêts, notamment le dernier prêt important du G7, d'un montant de 50 milliards de dollars, qui a été accordé en juin 2024. Mais avec une dette publique ukrainienne qui est passée de 49 % du PIB en 2021 à 109 % aujourd'hui, alourdir la dette de ce pays ravagé par la guerre pourrait littéralement équivaloir à tuer l'Ukraine par gentillesse.

Le prêt à titre de réparation était clairement destiné à faire payer la Russie afin que ni l'Ukraine ni l'Europe n'aient à le faire. Les efforts visant à trouver des moyens hors budget pour financer la guerre en Ukraine ont toujours été « une recherche inconvenante d'alternatives au financement par les contribuables occidentaux. » En termes simples, les gouvernements européens à court d'argent ne peuvent pas facilement se permettre de donner leur propre argent à l'Ukraine à un moment où ils sont confrontés à des vents contraires politiques croissants au niveau national de la part des partis nationalistes.

Les principaux dirigeants politiques européens sont restés implacablement opposés à l'idée de mettre un terme à la guerre absurde en Ukraine, ce qui est pourtant indispensable. Ils en paieront le prix lors des élections des prochaines années, car les dépenses fiscales colossales liées à la guerre sapent leur légitimité dans leur pays. Tout cela est d'autant plus déprimant que c'était tout à fait prévisible.

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Ian Proud a été membre du service diplomatique de Sa Majesté britannique de 1999 à 2023. Il a occupé le poste de conseiller économique à l'ambassade britannique à Moscou de juillet 2014 à février 2019. Il a récemment publié ses mémoires, « A Misfit in Moscow: How British diplomacy in Russia failed, 2014-2019 » (Un marginal à Moscou : comment la diplomatie britannique en Russie a échoué, 2014-2019), et est chercheur non résident au Quincy Institute.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source :  Responsible Statecraft, Ian Proud, 02-12-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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