Pour empêcher que la partie orientale de la Ville sainte ne devienne la capitale d'un Etat palestinien, les autorités israéliennes accélèrent la politique d'expulsion des Palestiniens, souvent présents depuis des générations.
Ann Wright (Courrier International)
publié le samedi 12 décembre 2009.
10.12.2009
L'Office de secours et de travaux pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA) célèbre ses soixante ans d'activité en Israël et en Palestine. Son slogan - "La paix commence ici" - est affiché sur son site Internet. "Pourquoi l'UNRWA n'accroche-t-il pas des drapeaux à nos maisons (pour protéger ces maisons) ? L'Office les a construites pour nous en 1956 sur des terres données par le gouvernement jordanien. Nous avons renoncé aux privilèges que nous donnait le statut de réfugié en échange d'un logement." Ce commentaire a été publié sur le site par Mohammed Sabbagh, dont la famille est la prochaine sur la liste des expulsions à Sheikh Jarrah, un quartier résidentiel de Jérusalem-Est habité par la classe moyenne palestinienne. L'UNWRA affirme que seuls les bâtiments officiels et les écoles peuvent arborer des drapeaux, pas les maisons de particuliers, même s'il les a construites.
L'heure est grave. La Jérusalem-Est palestinienne est en train de disparaître. A mes yeux, une action concrète de l'ONU se justifie pleinement car, à cause des pressions venant d'organisations de colons israéliens comme Ateret Cohanim (organisation sioniste religieuse établie en plein Jérusalem-Est), des maisons palestiniennes stratégiquement situées sont saisies et démolies.
Par le biais de consulats occidentaux qui, sur place, se désintéressent totalement des familles expulsées de Sheikh Jarrah, la communauté internationale exprime sa préoccupation, sa déception, voire son mécontentement. Mais cela ne sert pas à grand-chose. Or, si rien n'est fait pour mettre un terme à ces opérations, la communauté internationale fermera bientôt les yeux sur les nouvelles colonies tout en déplorant la disparition de la Jérusalem-Est palestinienne une fois que le "transfert" des Palestiniens en Cisjordanie ou ailleurs sera terminé. Ces pressions sur les Palestiniens tendent à faire de Jérusalem une ville monoculturelle et monoconfessionnelle. Si ces opérations avaient lieu en Bosnie, ne parlerait-on pas de "purification ethnique" ?
Si la famille Sabbagh est expulsée, elle connaîtra le même sort que la famille Al-Kurd, qui a été chassée de sa maison un jour de décembre 2008 à 5 heures du matin, et que les familles Al-Ghawi et Hannoun (53 personnes, dont 20 enfants), qui l'ont été le 2 août 2009. Et après elles, les 28 autres familles de Sheikh Jarrah recevront des avis d'expulsion du conseil municipal de Jérusalem, pour la simple raison que l'organisation Ateret Cohanim, fondée par le milliardaire américain Irving Moskovitz, prétend que, par le passé, ces terres ont appartenu à des Juifs. "Très bien", disent les familles Al-Ghawi, Hannoun et Sabbagh, "prenez ces maisons, mais rendez-nous celles que nous avions à Jaffa, Haïfa et Jérusalem-Ouest." Mais les tribunaux israéliens, qui approuvent les revendications des colons sur des terres ayant prétendument appartenu à des Juifs, ne soutiennent pas les demandes de restitution émises par les Palestiniens.
Les palestiniens n'ont pas droit à une "croissance naturelle"
Beaucoup d'autres quartiers de la Ville sainte font l'objet de revendications. Les plus grands projets de colonisation sont celui de Ras El-Amoud, sur le mont des Oliviers, en cours de réalisation, celui de Shepherd Hotel, encore à l'étude, et celui des terrains adjacents à Karm El-Mufti, à Sheikh Jarrah. Les quartiers musulmans et chrétiens de la vieille ville sont de plus en plus entourés de postes de guet, de gardes armés et de drapeaux israéliens, signes caractéristiques d'une enclave colonisée. De l'autre côté de la vieille ville, dans la banlieue palestinienne plus populaire de Silwan, les familles sont davantage confrontées à une menace de démolition que d'expulsion. C'est le sort qui attend notamment 88 maisons d'Al-Bustan, au centre de Silwan, pour permettre l'aménagement du Jardin de la Cité de David, conçu comme un prolongement du site archéologique visant à prouver que le roi David vivait sur ces terres. "Ne faites pas 1 500 sans-abri pour un parc à thème", lit-on sur la bannière déployée sur le centre socioculturel de Wadi Hilweh. Mais le bruit court que l'unique préoccupation du conseil municipal de Jérusalem est de savoir s'il convient de démolir tous les bâtiments à la fois - comme cela avait été fait en 1967 pour le quartier des Maghrébins, contigu au mur des Lamentations - ou de les démolir plus discrètement, un par un. D'autres quartiers de la Ville sainte ont déjà subi des démolitions. A la différence des colons juifs, les familles palestiniennes n'ont pas droit à une "croissance naturelle". Quand ils demandent un permis d'agrandir leur maison, il leur est rarement accordé. En 2009, le nombre de permis de construire qui leur a été octroyé s'est limité à 140, alors que la pénurie de logements se compte par milliers. Les Palestiniens construisent donc illégalement et reçoivent des ordres de démolition. Certaines familles dépensent des fortunes en procès, honoraires d'avocat, amendes, mais les ordres de démolition n'en restent pas moins valables et peuvent être appliqués à tout moment, généralement le matin et sans avertissement. Actuellement, quelque 1 800 ordres de démolition restent en suspens à Jérusalem-Est.
Le conseil municipal de Jérusalem est essentiellement composé de membres de partis religieux juifs et du Likoud. Il garde constamment un œil sur la courbe démographique. Le plan d'aménagement de la Ville sainte pour 2020, qui a été publié en 2004, vise à limiter la population palestinienne à 30 % de la population de la ville, alors que, compte tenu de leur taux de fécondité élevé, le pourcentage devrait être plus proche de 40 %. Le maire, Nir Barkat, a confirmé ces chiffres lorsqu'il est entré en fonction, en 2008. Aujourd'hui, quelque 300 000 Israéliens juifs vivent à Jérusalem-Ouest, et 250 000 - soit autant que de Palestiniens - à Jérusalem-Est.
Les Palestiniens sont ainsi concentrés sur des surfaces de plus en plus exiguës. La surpopulation a des conséquences plus graves que la pauvreté. Ceux qui appartiennent à la classe moyenne ou qui ont les moyens de partir ailleurs le font. L'économie locale commence à s'effondrer. Mais les Palestiniens doivent souffrir en silence : ce sont des habitants de la Ville sainte, mais pas des citoyens d'Israël ; ils ne vivent pas de leur plein droit à Jérusalem, ils y sont simplement tolérés. Leur précieuse carte d'identité de Jérusalem peut leur être retirée à tout moment, même si leur famille y vit depuis des générations.
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