09/01/2011 tlaxcala-int.org  13min #47539

Les 140 pathologies responsables de la mort Mozart et ses 27 maladies mentales

Lucien R. Karhausen
Traduit par Michèle Mialane

Une nouvelle étude épidémiologique a relancé l’hypothèse selon, laquelle Mozart serait mort d’une néphrite consécutive à une infection par streptocoques[1]. Elle se base sur la supposition que « selon des témoins oculaires la maladie qui a emporté Mozart aurait été caractérisée par un important œdème ».

Or cette supposition ne se fonde sur rien. Quatre témoins oculaires de sa mort ont laissé des témoignages écrits et aucun n’a constaté d’œdème : Guldener écrit qu’il a « soigneusement examiné le cadavre et n’y a rien découvert d’anormal. » Sophie Haibel, qui a soigné Mozart durant sa dernière maladie, a signalé un gonflement des extrémités.[2]

Dernier portrait connu de Mozart, par Johann Georg
Galerie Edlinger à Berlin/ Sean Gallup/ Getty Images

Est-ce un cas isolé ? Nullement. Cette inflation de causes est due aussi bien à l’effet trompeur du « lit de Procuste » (choix partial et manipulation de preuves)[3] qu’à l’invention de symptômes non documentés, tels qu’œdème, problèmes respiratoires, convulsions, hémiplégie, élancements, hypersensibilité articulaire etc.[4] En outre on sait maintenant que le crâne conservé au Mozarteum n’est pas celui de Mozart.[5]

J’ai recensé 140 causes possibles de sa mort, qui parfois se recoupent, outre plus de 85 maladies. Mais Mozart n’est mort qu’une seule fois. Plusieurs de ces causes sont plausibles, mais très peu seulement - une peut-être, ou aucune - peuvent être exactes, ce qui entraîne que la plupart- sinon toutes - sont fausses.

Il y a bien des lignes de partage entre les auteurs qui croient à un assassinat et ceux qui rejettent cette hypothèse, ceux qui sont partisans d’une maladie chronique et ceux qui penchent pour une affection aiguë, ceux qui manipulent les preuves à leur avantage et ceux qui respectent scrupuleusement les faits, ceux enfin qui recherchent une maladie rare et ceux qui se satisfont d’une explication de bon sens[6.].

Nombre d’auteurs ont privilégié l’hypothèse d’une affection aiguë, une grippe par exemple ; une infection à staphylocoques, streptocoques ou méningocoques ; diverses formes de septicémie ; une scarlatine ou une rougeole ; une typhoïde ou paratyphoïde ; un typhus ; une tuberculose ; une trichinose etc. Une glomérulonéphrite consécutive à une infection a été évoquée pour la première fois par Barraud en 1905. Schoental, un spécialiste des champignons microscopiques, pensait que Mozart avait succombé à une infection due à une toxine fongique. Drake, un neurochirurgien, a proposé un hématome sous-dural, après avoir identifié une fracture sur le crâne qui n’est pas celui de Mozart. Ehrlich, un rhumatologue, penchait pour la maladie de Behçet. Langegger, un psychiatre, pour une maladie psychosomatique. Little, spécialiste des transplantations, pensait qu’il aurait pu sauver Mozart par une greffe du foie. Brown, un cardiologue, que le compositeur avait succombé à une endocardite. Se basant sur une erreur de traduction dans la biographie de Mozart par Jahns, Rappoport, un pathologiste, pensait que Mozart était mort d’une hémorragie cérébrale. Ludewig, un pharmacologue, avait proposé un empoisonnement, criminel ou accidentel, par du vin contenant des additifs au plomb. D’aucuns pensent que Mozart souffrait de cachexie due à l’hyperthyroïdie, d’autres, de l’obésitétypique de l’hypothyroïdie. Ludendorff, une psychiatre, et ses partisans, affirmèrent que Mozart avait été assassiné par les Juifs, des francs-maçons ou des Jésuites ; on n’exclut pas non plus que les meurtriers aient pu être d’autres musiciens (Autexier, Carr ou Taboga).

Deutsch, un musicologue spécialiste de Mozart (et auteur du catalogue des œuvres de Schubert, Ndlt), a exprimé quelques doutes relatifs à la méthodologie: mélange de faits avérés et de légendes ou d’erreurs destinées à faire vendre chacun sa petite histoire. Même les critères d’établissement du diagnostic ont été adaptés à l’hypothèse choisie.

Nous autres cliniciens essayons d’établir un diagnostic que peut approuver tout médecin raisonnable et bien informé. Mais lorsqu’il s’agit de personnages historiques, tous les faits sont déjà connus, et l’on ne peut infirmer les autres hypothèses en pratiquant des examens supplémentaires. Plusieurs diagnostics, par exemple une crise de rhumatisme articulaire aigu, ont été soigneusement étudiés. D’autres, par exemple une défaillance cardiaque ou hépatique, ont été lancés sans avoir été vérifiés. D’autres encore ont fourni les preuves souhaitées en « truquant les données », en général de bonne foi. La vraisemblance d’un diagnostic baisse lorsque le nombre de possibilités augmente. On devrait toujours accorder l’avantage aux hypothèses les plus courantes ; plus la maladie est rare, plus les preuves doivent être solides.

Pour terminer, il faut également accorder plus de crédit aux sources contemporaines qu’aux sources plus tardives. Le purpura de Hénoch-Schönlein (purpura rhumatoïde) a été la plus populaire de toutes les hypothèses fantaisistes : les mythes, légendes et diagnostics inquiétants se vendent beaucoup mieux que les hypothèses ordinaires.

Le résultat est que tout cela ne prouve rien. Un auteur nous a fourni une clé pour déchiffrer la situation : « Selon Shapiro, la maladie qui a emporté Mozart était une septicémie à streptocoques, compliquée d’une défaillance rénale aiguë. Bär a donné des arguments en faveur d’une crise de rhumatisme articulaire aigu. Franken a diagnostiqué une cardite toxique et une défaillance cardiaque consécutive à une infection à staphylocoques, streptocoques ou méningocoques ou à une scarlatine. Nous nous sommes décidés pour un syndrome d’Hénoch -Schönlein. [7]». Tout ceci fait penser à une course de chevaux où les joueurs parieraient sur leurs favoris en sachant que personne ne gagnera, parce que la course n’aura pas lieu. Lange-Eichbaum déplorait, au début des années 30, que la patographie se transforme souvent en « jeu historique, feuilleton littéraire ou distraction de médecins ». Nissen (le deuxième mari de Constance, veuve de Mozart) avait mis en exergue à sa biographie de Mozart « de mortuis nil, nisi vere »[8](Ne rien dire des morts, sinon la vérité).

La seule conclusion à en tirer, c’est que l’historiographie médicale de Mozart comporte diverses hypothèses, qui tendent à devenir de plus en plus difficiles à soutenir au fil du temps : plus elles sont récentes, plus elles sont invraisemblables. Les plus vraisemblables - grippe, fièvre typhoïde ou typhus - ont été les premières avancées, et il n’est resté à ceux qui sont venus ensuite que des interprétations insolites et aberrantes telles que syndrome de Goodpasture, granulomatose de Wegener, maladie de Still ou syndrome de Hénoch-Schönlein.

Le Requiem de Mozart, dont la composition
a été interrompue par la mort du compositeur

En dépit de l’absence de nouvelles preuves, ceux qui formuleront une nouvelle hypothèse hasardeuse ont un bel avenir commercial. Il sera toujours possible de proposer un nouveau diagnostic, si bien que la liste, bien que dénombrable, pourrait être en théorie infinie. La mort de Mozart est devenue un concours universel, un chantier de fouilles.[9]

Il est vrai que Nissen a déclaré que la santé de Mozart avait « toujours été délicate, comme chez toutes les personnes de faible constitution ». Depuis, la légende selon laquelle Mozart avait une santé fragile et était souvent malade est devenue l’opinion courante. À l’opposé, d’autres prétendent que Mozart était de constitution robuste ; il n’a pas eu un nombre anormalement élevé de maladies infantiles et s’est très bien remis même de celles qui pouvaient être mortelles ; et rien n’indique qu’il ait souffert de la moindre maladie chronique[10.].

La plupart des 27 maladies mentales imputées à Mozart résultent de l’ignorance ou de l’emploi erroné des critères qui différencient comportements normaux et anormaux[11]. De nombreux auteurs assimilent des querelles tout à fait ordinaires à des obsessions paranoïdes ou à des crises d’angoisse ; des coups de blues ou des soucis bien réels à une dépression ; une grande gaieté à de l’hypomanie ; des jeux de mots à de la jargonophasie ; de la vivacité d’esprit à un comportement immature ou maniaque, ou encore à un dédoublement infantile psychotique[12]; les dissonances du quatuor de ce nom, dédié à Haydn, à un syndrome de Tourette[13] ; et, vers la fin de sa vie, le moindre frisson à des convulsions.

En conséquence une lecture sélective des sources, des citations manifestement erronées et un détournement des critères cliniques ont conduit à des interprétations médicales inexactes. Mozart souffrait prétendument d’une maladie mentale, de délires, de « disfluence » musicale et de crises d’épilepsie, et en outre il n’a pas véritablement composé de la musique, mais seulement reproduit ses hallucinations musicales[14]. Il était maniaco-dépressif, accro au jeu et prédisposé à toute une série de désordres psychiatriques, par exemple le syndrome de Capgras, des troubles de l’attention et de l’hyperactivité, des désordres paranoïdes, des troubles obsessionnels compulsifs, des troubles de la personnalité et désordre passif-agressif. Tout cela a abouti à psychiatriser Mozart en une longue suite ininterrompue de diffamations ; dont l’une des plus récentes expressions a été le film « Amadeus ».

La psychanalyse offre encore plus de marge de manœuvre. Mozart était un artiste « borderline ». Sa musique se caractérise par sa « féminité ou son manque d’agressivité sexuelle » et sa « polarité féminine »[16]. Certains ont même établi de savantes analogies entre l’ornementation musicale chez Mozart et l’urine qui goutte quand on pisse[17], entre créativité musicale et pets[18], entre écriture musicale et vomissements[19], ou entre expression musicale et défécation[20]. En définitive nous nous reprenons les spéculations du 19ème siècle, selon lesquelles Mozart, comme la plupart des génies, était un dégénéré, au physique et au mental. : ne présentait-il pas des signes de régression atavique[21,22], par exemple des oreilles rappelant un reptile[23] ou un cercopithèque[24] ? Mais en fait les biographes du psychique se bercent souvent de l’illusion qu’ils dévoilent la vie psychique secrète de Mozart, alors qu’ils ne décrivent en réalité que leurs propres préjugés et obsessions.

Eliot Slater, psychiatre au Maudley Hospital, remarquait à propos de Mozart que les critiques actuels ont une tel besoin de briser les limites traditionnelles, sont si fascinés par le chaos et le désordre, la névrose et l’aberration, même face à des phénomènes témoignant directement du mal, qu’ils ne voient guère d’intérêt à des productions émanant d’une saine et énergique normalité et ne leur accordent aucune valeur. Mozart lui-même ne disait-il pas : « Parlez beaucoup - et mal, peu importe : tous les yeux seront automatiquement tournés vers vous. »

Slater ajoutait : « Si toutefois la personnalité (du compositeur) nous semble bizarre ou difficile à comprendre, c’est peut-être que nous ne pouvons supporter la comparaison qu’en ramenant l’homme ou son œuvre à nos propres dimensions. Cela nous est d’autant plus facile que nous nous donnons une quelconque possibilité de le regarder d’en haut : du haut de notre meilleure santé ou adaptation sociale ou intégrité morale[25]. »

C’est cette attitude qui est devenue la Némésis médicale de Mozart (Némésis: déesse grecque de la vengeance, devenue chez les Romains Invidia, indignation devant un avantage injuste, Ndlt). Il dissimule l’intention secrète d’arracher de son piédestal un compositeur hors du commun, mû par l’obscur besoin de retailler les grands artistes à nos propres dimensions. Cela rappelle ce que dit le neveu de Rameau, dans l’œuvre éponyme de Diderot, au sujet des gens possédant une créativité hors normes: « Je n’en ai jamais entendu louer un seul que son éloge ne m’ait fait secrètement enrager. Je suis envieux. Lorsque j’apprends de leur vie privée quelque trait qui les dégrade, je l’écoute avec plaisir ; cela nous rapproche, j’en supporte plus aisément ma médiocrité. »

S’il y a jamais eu, dans toute l’histoire de la musique, un musicien sain d’esprit, c’est sans l’ombre d’un doute Mozart - et vraisemblablement aussi Joseph Haydn[26].

[1] Mackowiak PA. Post mortem: solving history’s great medicalmysteries. American College of Physicians, 2007.

[2] Karhausen LR. Questionable conclusion (eLetter). Ann Intern Med; 13 octobre 2009.

[3][Mills JL. Data torturing. N Engl J Med1993;329:1196-9.]

 (CrossRef)  (Medline)  (Web of Science)

[4] Karhausen LR. Mozart’s terminal illness: unravelling the clinical evidence. J Med Biog, septembre 2001, p. 34-48

[5] Karhausen LR. The Mozarteum skull: a historical saga. J Med Biog, septembre 2001, 109-17.

[6.] Karhausen LR. Was Mozart’s final illness preceded by a gathering storm ? J Med Biog octobre 2001:109-20.

[7] Davies PJ. Mozart in person, his character and health. Greenwood Press, 1989.

[8] Nissen GN. : Biographie WA Mozarts. Georg Olms Verlag, 1991.

[9] Karhausen LR. Weeding Mozart’s medical history. J R Soc Med 1998;91:546-50.

[10.] Karhausen LR. The myth of Mozart’s poor health and weak constitution.J Med Biog1999;7:111-7.

[11] Karhausen LR. Mozart in person (letter). TLS, décembre 1990:1375.

[12] Bittner G. Wolfgang Amadeus Mozart. Die Erziehung eines Genie (l’éducation d’un génie). In: Lipp W, ed. Wolfgang Amadeus Mozart. Genie und Musik. Ergon Verlag, 1992:27-68.

[13] Karhausen LR. Mozart’s scatological disorder (letter).BMJ1993;306:522.

[14] Scheidt W. Zur Frage nach dem Mechanismus der Halluzinationen. Medizinische Klinik 1965;60:1789-92 (Mécanisme des hallucinations. Médecine clinicienne, 1965 ; 60 : 1789-1792))

[16] Rivère J. Pour un portrait de Mozart. De l’écriture aux révélations du visage. Musica (Paris)1956;27:23-30

[17] Bone JM. Mozart’s death: a musical/aural diagnosis. Medical Historian. Bulletin of Liverpool Medical History Society1992;5:20-6.

[18] Autexier PA. Les œuvres témoins de Mozart. Editions Alphonse Leduc, 1982.

[19] Ferenczi S. Final contributions to the problems and methods of psycho-analysis. Hogarther Press, 195

[20] Gelber GS. Mozart’s wobbly self-worth. In: Ostwald P, Zegans LS, eds. The pleasures and perils of genius: mostly Mozart. International Universities, 1993:67-81.

[21], Lange-Eichbaum W. Irrsinn und Ruhm. 2te vermehrte Auflage. Verlag van Ernst Reinhardt, 1935.

22 Lange-Eichbaum W. Irrsinn und Ruhm. 2te vermehrte Auflage. Verlag van Ernst Reinhardt, 1935.

[23] Kerner D. Mozarts äußeres Ohr. Zeitschrift für Laryngologie-Rhinologie-Otologie 1961;40:475-8.

[24] Gerber PH. Mozart’s Ohr. Deutsche Medizinische Wochenschrift 1898;22:351-2.

[25] Slater E, Meyer A. Contributions to a pathography of the musicians. 2. Organic and psychotic disorders. Confin Psychiatr 1960;2:129-45.

[26] Karhausen L. Letter to the Editor. Perspect Biol Med 1995;39:152-5.

L’auteur présente un extrait des hypothèses faites au sujet de la maladie qui emporta Mozart.

Note de la traductrice : Je ne partage pas l’allusion faite à « Amadeus ». Ce film - qui ne revendique aucune historicité - est bien plus injuste envers ce malheureux Salieri qu’envers Mozart. Il s’agit de la confession d’un fou - Salieri justement - qui précisément refuse à Dieu - ou à Jésus-Christ - son choix indu en faveur de Mozart. À la fin du film, il traverse l’asile en bénissant les gens avec ces mots « Médiocres du monde entier, je vous bénis » (je cite de mémoire). C’est à dire que le film plaide justement en faveur de la thèse - exacte, à mon avis- que défend Karhausen dans cet article. Sans compter qu’il a révélé Mozart - et la musique « classique » en général - à un nombre prodigieux de gens, j’en ai été moi-même témoin. Je doute que cela ait déplu à Mozart.


Courtesy of  Tlaxcala
Source:  bmj.com
Publication date of original article: 10/12/2010
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