29/01/2011 fr.readwriteweb.com  6min #48504

 Les Egyptiens sont-ils les meilleurs cyberactivistes du monde ?

Nous sommes tous Khaled Said : la plus grande campagne d'activisme en ligne du monde arabe

 ByLasKo , l'auteur de ce billet, est un journaliste et blogueur tunisien spécialisé dans la musique et les médias sociaux

Khaled Said a été interpelé, le 6 juin dernier, dans un cybercafé de son quartier d'Alexandrie en Egypte. Il a été battu à mort par deux policiers, en pleine rue et sous le regard de tous, pour avoir diffusé sur le web une vidéo montrant les forces de l'ordre en train de se partager de la drogue et de l'argent saisis à la suite à un coup de filet.

Le rapport du médecin légiste avait conclu rapidement à une mort par asphyxie, suite à l'ingestion d'un sachet de cannabis qu'il aurait tenté de dissimuler ainsi aux policiers venus l'arrêter. Les autorités Egyptiennes affirmaient de leur coté que Khaled Said était toxicomane. Somme toute, un banal fait divers. Circulez, il n'y a rien a voir.

Révolte sur Facebook

La campagne « Nous sommes tous Khaled Said », lancée sur Facebook et qui réuni à ce jour pas loin d'un quart de millions de «fans» ([lien de la page en arabe]), soit près de 10% des utilisateurs de Facebook en Egypte, a fait voler en éclat le mensonge gouvernemental en montrant la photo de Khaled après son décès. Mutilé et complètement défiguré, il était clair qu'il était mort sous la torture ( la photo est à déconseiller aux âmes sensibles)

La page de soutien à Khaled Said est devenue en quelques jours la plus suggérée entre les utilisateurs de Facebook en Egypte, et un compte Twitter bilingue arabe et anglais été créé ( Elshaheeed, traduit « le martyr »). L'administrateur du compte Twitter a par la suite lancé le hashtag #KhaledSaid, et a tenté d'en faire un «trending topic» à deux reprises avec l'aide des sympathisants du monde arabe, notamment en ciblant les utilisateurs influents de Twitter, dont le journaliste et blogueur égyptien Wael Abbas.

Sur Facebook, la fédération de sympathisants s'est faite plus imposante de jour en jour : diffusion de messages, changement de photo de profil, upload de photos personnelles avec des pancartes affichant leur soutien...

De Facebook à internet, puis au monde réel

L'une des composantes qui a fait le succès de cette campagne d'activisme en ligne a sans nul doute été l'existence d'une adresse email de contact et d' un blog assez complet, rassemblant toutes les informations sur l'affaire Khaled Said.

Beaucoup d'artistes ont rallié la cause, plusieurs chansons ont été éditées à la mémoire de Khaled, des comédiens et des acteurs présents dans les média Egyptiens se sont mobilisés et ont même participé aux « silent stands » qui s'organisaient régulièrement sur la page Facebook.

Plus efficace encore que les flashmobs, ce mode de manifestation pacifique a beaucoup fait parler de lui en Egypte. Les «silent stands» avaient lieu simultanément dans plusieurs régions égyptiennes, et ont réuni de très nombreux citoyens. La violence employée par la police pour réprimer les manifestants n'a fait qu'envenimer les choses.

Changement de cap (ou de mensonge)

Ayant réalisé que la situation était devenue incontrôlable, le gouvernement a changé de stratégie : ils ont présenté une nouvelle version des faits, affirmant que Khaled Said se serait fait tuer suite à la conversion de ses frères au judaïsme et à leur demande de naturalisation américaine. Khaled, soupçonné d'être tenté de les rejoindre, aurait donc été assassiné par des islamistes, ce qui, au regard de son tout nouveau statut de traitre, n'était pas bien grave, finalement. Par contre, plus question de toxicomanie.

Pour appuyer ses affirmations, le gouvernement fit circuler une photo qui ne faisait guère que démontrer sa faible maitrise de Photoshop.

Elle fut immédiatement dénoncée sur Facebook.

Les militants, de leur coté, sont passés à l'étape suivante : ils ont demandé à tout le monde d'écrire « Non à la torture, non à l'Etat d'urgence, ce pays est le nôtre : Nous sommes tous Khaled Said », ainsi que d'autre messages revendicatifs sur tous les billets de banque qui leur passait dans les mains afin de diffuser leur message sur quelque chose dont il est difficile d'arrêter la circulation : l'argent.

La campagne « Projet du million de billets de banque » faisait sortir le militantisme du online, avec un certain succès.

Il faut dire que la brutalité policière est un fléau endémique en Egypte dont la page de soutien a Khaled Said se fait l'echo, et cette campagne n'a fait que faire exploser une colère trop longtemps contenue chez de nombreux citoyens Egyptiens. Elle a été l'occasion de mettre à jour un nombre impressionnant de brutalités dont le témoignage n'a fait qu'ajouter à la colère : des personnes âgées brûlés dans un commissariat, un enfant mort sous la torture, des individus violés (dernièrement, une femme en niqab a été victime de viol par des policiers), des harcèlements et des menaces de toutes parts...

Au centre de la polémique : l'Etat d'urgence, décrété suite à l'assassinat du président Anouar el-Sadate en 1981 et reporté d'année en année depuis, et  qui a été assouplit récemment mais sans que cela soit visiblement suivit d'effets.

La page Facebook suit désormais toute affaire de brutalité policière et d'abus de pouvoir,  l'affaire Abderrahmen Achref a par exemple a été démêlée grâce aux efforts des internautes.

L'administrateur de la page Facebook a bien reçu des menaces de la part des policiers, et beaucoup d'opposition chez certains membres de Facebook, mais il continue à poster les photos et les informations relatives à l'identité des policiers qui abusent de leur pouvoir, notamment en insultant ou en agressant les manifestants.

Les deux meurtriers de Khaled Said attendent, eux, la sentence qui sera prononcée à leur égard par la cour.

Pour en savoir plus :  BBC,  NouvelObs,  Le Figaro,  Rue89,  FranceActu,  Huffington Post,  The Majlis,  MediaOriente,  Le JDD ainsi que  la chaîne YouTube dédiée.

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