19/06/2011 mondialisation.ca  5min #54269

 Le décret

Rome : « nos économies connexes... ». Tentatives d'explication du premier ministre rebelle Jibril

par A. Po.

Naples.

« Nous avons enregistré avec satisfaction les félicitations du ministre de la Lega (Ligue du Nord, NdT) et du ministre Maroni », signé Franco Frattini. Grand déballage d'harmonie et de bonheur hier (vendredi 17 juin 2011, NdT) dans le brinqueballant gouvernement italien grâce à l'accord sur les réfugiés signé à Naples avec le premier ministre du Conseil national de transition libyen Mahmud Jibril. Il s'agit du même mémorandum que celui signé avec Kadhafi, quand il n'était pas un dangereux dictateur mais un excellent ami de notre pays.

Sous les spots des caméras, Jibril a essayé de véhiculer quelques concepts tels que l'« interconnexion de nos économies respectives » pour dépasser le problème de l'émigration clandestine, et du développement élaboré à travers les échanges entre les deux rives de la Méditerranée. Mais notre ministre des affaires étrangères (Frattini, NdT), une fois au micro, a complètement délaissé les raisonnements économiques. Prévention des flux migratoires, retour rapide grâce aux rapatriements, fourniture d'équipements à la Libye (Cnt, NdT) pour patrouiller sur les côtes, réplique du modèle adopté avec la Tunisie... Mais quelle économie, on parle ici de clandestins.

Le cadre de l'accord était la conférence sur les « Printemps arabes » organisée par l'Ipalmo (le centre d'études internationaliste d'une autre vieille connaissance, Gianni De Michelis[1]), mais on trouve de ces printemps, dans l'accord, une version plutôt revue et corrigée. Explication de Frattini : « Le gouvernement de Kadhafi est désormais discrédité vis-à-vis de la communauté internationale, donc nous procédons à de nouveaux accords avec le gouvernement que nous avons reconnu, avec d'autres pays (« emballé c'est pesé », NdT). Un acte important pour bloquer la barbarie des barques organisées pour envoyer des multitudes d'hommes comme représailles contre l'Europe »[2]. Pour le ministre la barbarie se situe dans les barques organisées. Evidemment, garder les réfugiés enfermés pendant 18 mois dans des Cie[3], par un simple acte administratif, ne doit pas lui paraître barbare (voir texte en annexe « Le décret », NdT). La façon dont le Conseil national de transition pourra ensuite assurer l'application du mémorandum est une inconnue, mais Jibril rassure tout le monde : « Nous avançons partout dans le pays, même l'épuration ethnique contre les femmes, avec plus de 300 cas de viols documentés, n'a pas arrêté la révolte ». Soulevée par Hillary Clinton, l'accusation des viols est confirmée par Jibril : « Ce sont des cas documentés et ils ont une nature politique », dit-il en citant l'existence de « matériel vidéo » qui le prouverait[4].

La semaine prochaine à Rome, aura lieu l'assemblée nationale de la société civile libyenne, au programme aussi le thème des aides. L'Italie -mais d'autres Etats, arabes, suivent aussi cette voie- utilisera les fonds libyens congelés pour les sanctions comme garantie pour allouer des prêts. Premier fonds de liquidité avec lequel payer des salaires et financer la révolte. Un poste de premier rang est garanti aussi à l'Eni (Ente Nazionale Idrocarburi), comme fournisseur de combustible. L'Italie, explique encore Frattini, « a encouragé la recherche de solutions négociées, mais le régime n'a pas donné de réponses positives : la pré condition posée par Tripoli est le maintien au pouvoir de Kadhafi. Ceci n'est acceptable ni pour nous ni pour toute la communauté internationale ». Une déclaration faite sans sourciller. « Nous -précise Frattini- serons en mesure de nous défendre du terrorisme et de réguler les flux de l'immigration clandestine, de réguler le développement en Méditerranée sans faire nécessairement des accords avec des dictateurs ». Comme les accords signés hier, écrits quand les « dictateurs » étaient appelés amis.

Edition de samedi 18 juin 2011 de il manifesto

 ilmanifesto.it

Traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio 


[1] Voir sur Internet les détails du CV de cet ex-ministre socialiste, aujourd'hui avantageusement recyclé dans l'Institut pour les Relations entre l'Italie et les pays de l'Afrique, l'Amérique latine, le Moyen et l'Extrême Orient.

[2] Ces « barques organisées [...] de multitudes d'hommes » sont bien les seules à pouvoir passer le blocus de la marine OTAN (française et autres) déployée pourtant juste en face de toute la côte libyenne, avec les technologies de surveillance électronique les plus pointues

[3] Centres d'identification et expulsions, voir la carte du ministère de l'intérieur italien :

[4] Cette accusation reprise par le procureur de la CPI Moreno Ocampo a été dénoncée par « le professeur Mahmoud Cherif Bassiouni, chef de la Commission d'enquête de l'ONU (pas du Tribunal) sur la Libye, [qui] met en doute les accusations du procureur. Il rappelle que sa Commission a été informé de ces allégations lors de sa mission à Benghazi. Il a alors demandé à Maître Salwa Fawzi El-Deghali (ministre de la justice du Cnt libyen, NdT) de lui fournir une copie du questionnaire et des 259 réponses reçues et n'a jamais rien obtenu. En outre, il souligne l'invraisemblance de cette version dans la mesure où aucun service postal ne fonctionne depuis

le début de l'insurrection ».

Voir  voltairenet.org

(Toutes les notes sont de la traductrice).

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