Par The Economist
"Quelquefois, il faut subordonner les considérations stratégiques aux nécessités tactiques," dit Ehud Barak, ministre de la Défense d'Israël, ancien Premier ministre et le militaire le plus décoré du pays. Un de ces moments est venu : M. Barak, soutenu par l'actuel Premier ministre Benjamin Netanyahu, est sur le point d'accepter que l'Égypte déploie des milliers de soldats dans le Sinaï, alors que le traité de paix Israël/Égypte l'interdit formellement. Ils auront des hélicoptères et des véhicules blindés, dit M. Barak, mais pas de chars en plus du seul bataillon qui y est déjà stationné.
Cette décision intervient après une attaque audacieuse, le 18 août, contre des véhicules israéliens roulant sur une route panoramique qui longe la frontière Israël/Égypte et se termine à la station balnéaire d'Eilat. Huit israéliens, civils et militaires, sont morts dans l'attaque et dans des fusillades impliquant l'armée. Dix assaillants ont été tués, deux semble-t-il par les gardes frontières égyptiens, dont six d'entre eux ont également été tués dans les échanges de tir. L'Égypte a accusé Israël pour les morts. Israël a répliqué que le noyau dur d'un groupe palestinien, lourdement armé, était entré dans la péninsule du Sinaï égyptien depuis Gaza il y a un mois, y avait campé et s'y était entraîné, puis s'était rendu sans encombre, à travers le désert, sur le lieu de l'attaque. Les sources sécuritaires égyptienne et israélienne pensent que plusieurs militants opérant dans le Sinaï l'ont rejoint pour prendre part à l'attentat.
Israël a immédiatement répondu par une attaque aérienne sur la ville de Rafah, au sud de Gaza, tuant plusieurs dirigeants des Comités populaires de la résistance, que les Israéliens ont accusés d'avoir planifier l'agression. Les résistants palestiniens ont répondu par des salves de missiles qui ont tué un Israélien dans la ville de Beersheba. De nouvelles frappes aériennes auraient détruit des lanceurs de missile, selon les Israéliens, mais elles ont aussi tué trois enfants, selon les sources médicales palestiniennes.
Les échanges attaque-représaille israélo-palestiniens sont habituels. Mais l'implication égyptienne est nouvelle et s'est rapidement transformée en crise politique. Des manifestants en colère ont encerclé l'ambassade israélienne au Caire. Un jeune homme audacieux, Ahmed al-Shahhat, connu maintenant sous le surnom de "Flagman", a escaladé l'immeuble et a remplacé le drapeau israélien qui flottait là par un drapeau égyptien. Le gouvernement militaire de transition a laissé entendre à un moment qu'il rappelait son ambassadeur, mais il semble qu'il ait changé d'avis un peu plus tard. M. Barack et le Président Shimon Peres ont présenté leurs excuses pour les meurtres, mais l'Égypte a dit que ce n'était pas suffisant. Un général israélien, envoyé discrètement au Caire, a proposé une enquête conjointe israélo-égyptienne sur la mort des gardes frontières égyptiens.
Israël est devant un dilemme lourd de conséquences stratégiques. Trente années de paix avec l'Égypte ont essentiellement reposé sur un Sinaï démilitarisé. La péninsule est patrouillée par une force internationale et surveillée depuis les airs par l'Amérique, pour garantir que les deux bords n'y fassent pas entrer leurs armées, même si le Sinaï est un sol égyptien souverain. Jusqu'à maintenant, Israël avait dit non à toute demande égyptienne de laisser entrer davantage de troupes dans la péninsule, au-delà de ce qui est spécifié dans le traité de paix de 1979. Pourtant, Israël a besoin d'urgence que l'Égypte renforce la sécurité. "Si rien n'est fait aujourd'hui," dit un conseiller du Premier ministre israélien, "vous verrez des groupes extrémistes mettre davantage le pied dans le Sinaï."
Depuis des années, l'Égypte a des difficultés à imposer l'ordre dans la péninsule. La situation a empiré depuis le renversement d'Hosni Moubarak, l'ex président égyptien, en février dernier. Fin juillet, des dizaines d'hommes armés ont attaqué un poste de police à el-Arish, la plus grande ville du Sinaï. Un mélange de banditisme, d'affrontements tribaux et d'activités jihadiste fait que les autorités "ont peu de contrôle au-delà de la ville," dit un habitant d'el-Arish. Des criminels - dont certains se sont évadés de prison pendant la révolution d'Égypte - ont bloqué les routes et braqué de nombreux voitures. Des groupes jihadistes (revendiquant quelquefois d'être "al-Qaïda dans la péninsule du Sinaï") ont appelé à la création d'un émirat islamique.
Le changement soudain de pouvoir au Caire a accéléré l'effondrement de l'autorité centrale dans le Sinaï. Il a aussi permis que s'exprime une animosité largement partagée envers Israël dans l'opinion publique égyptienne, un sentiment que le gouvernement Moubarak avait soigneusement étouffé.
M. Barack ne minimise pas l'inquiétude à long terme d'Israël ni le risque que comporte sa proposition. Les nouvelles troupes autorisées à entrer dans le Sinaï sont peu susceptibles d'être retirées par n'importe quel gouvernement égyptien. En soi, les quelques milliers d'hommes en question ne constitueront pas une menace sérieuse. Mais le Sinaï fut un champ de bataille israélo-égyptien dans quatre guerres amères. Par le passé, les mouvements de troupe dans la péninsule ont eu tendance à générer des dynamiques propres pernicieuses.
Source : The Economist
Traduction : MR pour ISM