01/09/2011 info-palestine.net  5min #56927

Pourquoi les Égyptiens nous haïssent

Gideon Levy

Les foules qui manifestent maintenant contre Israël sont les mêmes qui accueillaient les Israéliens autrefois à bras ouverts ; la haine a jailli, mais elle n'est pas nécessairement inévitable.

Le drapeau israélien qu'un jeune Égyptien a décroché de la fenêtre de l'ambassade israélienne au Caire, était défraîchi et usé ; il pendait depuis un bureau dans une tour anonyme et depuis la rue, il était invisible à l'oeil nu.

Beaucoup d'eau boueuse a coulé dans le Nil depuis que ce drapeau a été déployé ; ceux qui pensent que l'actuel débordement de haine a l'égard d'Israël tient à un décret divin, au destin ou à la colère de la nature, devraient remonter aux premiers jours de la paix entre Israël et l'Égypte.

À l'époque, dans les insouciantes années 80, des dizaines de milliers d'Israéliens ont déferlé en Égypte où ils étaient les bienvenus.

Les foules qui manifestent contre Israël à présent sont les mêmes qui ont un jour accueilli aimablement les Israéliens. Même si le "rassemblement d'un million de personnes" de vendredi contre Israël se ramenait à une marche d'un millier de manifestants, la haine est là.

Le fait qu'il n'en n'a pas toujours été ainsi devrait faire réfléchir Israël. Mais comme d'habitude, la raison n'est pas discutée ici. Pourquoi y a-t-il du terrorisme ? Parce que. Pourquoi la haine ? Parce que. Il est beaucoup plus facile de penser que l'Égypte nous hait et que c'est comme ça, et de nous dédouaner de toute responsabilité.

La paix avec l'Égypte, qui n'est considérée un atout que lorsqu'elle est en danger, est une paix qu'Israël a manipulée et qu'il a envisagé de rompre dès le début. La paix exigeait que l'on reconnaisse les droits légitimes du peuple palestinien auquel une autonomie allait être accordée dans les cinq années suivantes. Israël a mené des négociations ridicules, dirigées par son ministre de l'intérieur (Yosef Burg), avec l'intention de les mettre aux oubliettes et il n'a jamais tenu ses obligations.

Envahir le Liban le lendemain de la conclusion du traité en 1982 était dangereux et insolent. Malgré cela, l'Égypte a résisté à cette provocation.

Ceux qui demandent pourquoi les Égyptiens nous détestent devraient réfléchir à ces deux actions clés perpétrées par Israël. Le public a peut-être la mémoire courte, mais la haine n'oublie pas et depuis, on a soufflé sur ses flammes.

Ceux qui veulent comprendre pourquoi les Égyptiens nous haïssent devraient se souvenir de l'opération Plomb durci et de Bouclier défensif, du bombardement de Beyrouth et de celui de Rafah. Si des Israéliens étaient témoins de scènes pareilles dans un pays traitant pareillement des juifs, ils éprouveraient la même haine envers ce pays. Les photos terribles que les masses arabes ont vues ont attisé leur haine.

Cette haine a pris une signification fatale avec l'arrivée du printemps arabe. Les règles du jeu ont changé au Moyen-Orient. Les accords de paix et les cessez le feu auxquels les tyrans de l'ancienne Égypte, de la Syrie et de la Jordanie ont accédé à contrecœur, ne peuvent pas être maintenus sous des régimes démocratiques ou partiellement démocratiques.

Dorénavant, les peuples ont la parole ; ils n'accepteront pas de comportement violent ou colonialiste à l'égard des Arabes,et leurs dirigeants devront en tenir compte.L'occupation et les coups de force israéliens disproportionnés devant les attaques terroristes sont contestés par les peuples et pas simplement par leurs dirigeants.

L'aspect positif est que cette évolution peut freiner Israël comme on l'a vu récemment pour Gaza : sans la nouvelle Égypte, nous serions peut-être déjà en pleine Opération Plomb durci numéro deux. Mais à long terme, cela ne suffira pas pour contenir nos armées et notre puissance de feu.

Je m'épuise à le répéter, mais c'est plus vrai que jamais : Israël ne peut plus vivre uniquement par l'épée. Les dangers inhérents à la nouvelle réalité qui prend forme sous nos yeux ne peuvent pas être repoussés uniquement à coups de prouesses militaires pendant des années. Nous ne pouvons pas préparer des ripostes ad infinitum, malgré nos moyens de protection et nos armes. Le nouveau leadership arabe ne pourra pas ignorer la volonté du peuple et celui-ci n'acceptera pas un occupant israélien violent dans la région.

Khan el-Khalili 

L'opération Plomb durci est devenue quasiment impossible, mais la poursuite de l'occupation met Israël en danger- plus longtemps elle durera, plus la résistance à l'existence même d'Israël se renforcera.

Il n'est pas difficile d'imaginer un scénario différent. Il suffit de rappeler les premiers jours de la paix avec l'Égypte ou les premiers jours d'Oslo ; toutefois, quand les Arabes se sont rendu compte de l'imposture, c'était fini. Il n'est pas difficile d'imaginer des accords de paix qui mènent à la fin de l'occupation et répondent à l'initiative de paix arabe.

La seule manière est de créer un nouvel Israël aux yeux du nouveau monde arabe.

Alors seulement nous pourrons retourner au marché de Khan el-Khalili du Caire et y être les bienvenus. Ne perdons pas notre salive sur une autre solution : il n'y en a pas pour Israël.

Gideon Levy : Né en 1955, à Tel-Aviv, journaliste israélien et membre de la direction du quotidien Haaretz, Gideon Levy dénonce inlassablement les violations commises contre
les Palestiniens 
et le recours systématique 
à une violence 
qui déshumanise 
les peuples dressés l'un contre l'autre.

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