Abdel Bari Atwan
Au moment où le président soviétique Dimitri Medvedev met le dirigeant syrien devant deux alternatives : la réforme ou le départ, il faut prendre cette position avec le plus grand sérieux.
Enterrement de manifestants tués lors d'affrontements à Homs
Parce qu'elle émane d'un Etat ami de la Syrie qui utilise son droit de veto contre un projet de résolution présenté par la Grande-Bretagne et la France dans le but d'imposer des sanctions contre la Syrie. Et parce que le monde entier ne peut plus tolérer les ruses et les manœuvres suivies par le dirigeant syrien afin d'éviter les véritables réformes auxquelles aspire le peuple syrien et pour lesquelles tombent les martyrs.
Le dirigeant syrien a beaucoup tardé à mettre en œuvre la réforme, considérant qu'en dernier ressort les solutions sécuritaires sanglantes pouvaient réussir à étouffer la révolte et que ce n'était plus qu'une question de quelques jours ou de quelques semaines avant que la situation soit sous contrôle. Mais ce calcul est un échec comme le prouve les protestations ininterrompues depuis plus de 7 mois dans de nombreuses parties du pays.
La Syrie vit un dilemme difficile : le pouvoir ne peut pas mater la révolte et aucune opposition n'est proche du renversement de régime. Le peuple syrien en paye un prix élevé que se soit par son sang, sa sécurité, son économie ou au sacrifice de son pain quotidien. Chaque fois que continue cet entêtement, du dirigeant syrien en particulier, s'aggravent les souffrances et les pertes.
Pour la première fois depuis des décennies, le double veto sino-russe, dont nous avons été témoins, rend public avec force, au Conseil de sécurité même la fin de l'atroce et provocatrice domination américaine sur l'organisation internationale. Il met un terme à ses guerres incendiaires et arrogantes contre les Arabes et les Musulmans. Mais cela ne veut pas dire que le régime syrien peut se rassurer et croire que toutes les portes permettant aux étrangers l'ingérence militaire sont fermées. Ces ingérences peuvent venir par différentes brèches ou détours. Les plus courts sont l'armement, le soutien aux milices et ainsi d'ouvrir le champs à la guerre civile. Ce qui sera encore plus sanglant et ce qui affaiblira le régime et la révolte en même temps.
La Syrie a besoin pour sortir de l'impasse actuelle d'une tierce partie, de l'installation d'une médiation transparente entre le régime et l'opposition et de la réconciliation nationale comme préliminaires vers une transition pour un changement démocratique global et complet. La Russie et la Chine peuvent peut-être jouer ce rôle après que la Ligue arabe ait, malheureusement, échoué à jouer le moindre rôle constructif à cet égard.
Avant la médiation, il faut que cessent les meurtres affreux que pratiquent le régime, ses services de sécurité et ses services militaires, et qui ont conduit à ce que tombent en martyr près de 3000 personnes jusqu'à maintenant et des dizaines de milliers de blessés. Il faut nettoyer dans les rangs de la révolte certains aspects militaires qui ont, au départ dans une logique défensive, percé comme l'affirme la majorité écrasante des portes-paroles.
La situation en Syrie ne doit pas retourner en arrière, au temps du mépris du peuple, de son humiliation et de l'atteinte à sa dignité ; quand il était aux mains des services de sécurité répressifs qui excellent dans la torture, le meurtre et la confiscation des libertés.
Si, directement ou indirectement, le double veto sino-russe participait à ce retour alors il minerait la crédibilité de ses auteurs et leurs intérêts dans la région arabe parce que les peuples arabes, à l'heure des révolutions démocratiques, n'acceptent plus ou ne tolèrent plus de régimes dictatoriaux répressifs qui les trompent par des slogans mensongers, des promesses pas sérieuses et même des réformes d'ordre cosmétique.
Nous joignons nos voix à celle du président russe Medvedev et nous demandons au président syrien Bachar Al-assad de démissionner immédiatement afin d'épargner le sang du peuple syrien avant tout ; d'au moins veiller à la stabilité de la Syrie, de sa sécurité, à l'unité de son territoire nationale s'il est incapable de réformes radicales que le peuple exige de lui ; de commencer immédiatement le nettoyage des prisons en libérant l'ensemble des personnes retenues et en assurant à tous ceux qui ont du sang du peuple syrien sur les mains des procès équitables, y compris pour certains de ses proches. La Syrie, sa stabilité, son unité nationale sont plus importantes et plus grandes qu'eux tous réunis.
Il est possible que ce double veto ait donné au régime syrien du temps pour reprendre son souffle et porte un coup fatal aux espoirs de certains opposant syriens qui n'avaient ou plutôt n'ont pas cessé de parier sur l'ingérence étrangère à l'instar de ce qui s'est passé en Libye et avant en Irak. Mais cela ne signifie pas que le veto soit venu grâce à la ruse du régime ou à une victoire diplomatique mais davantage grâce à la bêtise américaine, française et britannique et au mépris de la légalité internationale ainsi qu'au particularisme des décisions en faveur de la guerre qui sont adoptées sous des slogans fallacieux et trompeurs à propos de la démocratie et les droits de l'homme.
L'Occident, sous commandement américain, a commis des crimes de guerre en Libye en protégeant une partie du peuple pour en tuer et en déplacer une autre, en transformant la Libye en État défaillant, en allumant la mèche des divisions idéologiques et régionales, en semant les graines de l'extrémisme et de la haine entre les enfants du même pays. Et tout cela pour le pétrole et des devises étrangères attractives et non pas pour la démocratie et les droits de l'homme.
Nous sommes bien conscient de la colère de certains dirigeants de l'opposition syrienne à propos de ce veto. Et nous nous efforçons de la comprendre mais il fallait mettre un terme à cette empiétement occidental. L'Occident cherche à sauver l'Europe et l'Amérique broyées dans leurs crises économiques via des guerres qui fondent en fait un nouveau colonialisme sous un masque démocratique faux et trompeur. Le veto sino-russe ne sauvera pas le régime syrien ni ne le sortira de sa crise. Le peuple syrien et le changement démocratique global et sérieux sont les seuls à même d'opérer ce sauvetage. Le temps de la présidence à vie est clos à jamais et avec lui celui de l'héritage, du gouvernement de parti unique, de la déification du dirigeant et la transformation du pays en une ferme appartenant aux corrompus qui forment la paroi entourant le régime.
Quant au président Bachar Al-Assad c'est sa dernière chance de sauver son pays et nous ne disons pas son régime. A lui de saisir cette chance et d'être à la hauteur et au niveau de cette responsabilité historique. Il n'est plus temps pour lui de manœuvrer et de se dérober devant ses responsabilités. Le peuple syrien, avec l'aide de ses amis à Moscou et Pékin, et dans toutes les capitales du monde démocratique, est celui qui doit seul renverser le régime syrien ; non pas les chars, les avions et les missiles de l'Otan dont nous connaissons les massacres en Irak, en Afghanistan et en Libye ainsi que les catastrophes qui ont suivi.
Le régime syrien ne doit pas échouer lors de cette dernière épreuve et doit écouter les conseils de ses amis russes et chinois sinon ces derniers devront s'ingérer, dans l'intérêt du peuple syrien, et en soutien au soulèvement légitime pour le changement de régime.
* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du quotidien al-Quds al-Arabi, grand quotidien en langue arabe édité à Londres. Abdel Bari Atwan est considéré comme l'un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.
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