Ce n'est plus simplement d'une grande victoire dont on parle aujourd'hui en Tunisie, au vu du score réalisé par le parti islamiste "Ennahda" dans les premières élections libres dans le pays mais quasiment, d'un véritable triomphe.
Même si Abdelhamid Jelassi, le Porte-parole d'Ennahda a le succès modeste, les 41,70 % des voix que son parti a engrangées en font la première force politique du pays.
Ils sont, en effet, loin ces temps où les militants islamistes se terraient un peu partout quand ils ne croupissaient pas dans les geôles de Ben Ali ou quittaient la Tunisie vers des rivages plus cléments. Elles sont tout aussi lointaine ces élections législatives d'avril 1989, où les listes du Mouvement de la Tendance Islamiste (MTI) fraîchement baptisé parti "Ennahda", se voyait voler une éclatante victoire électorale en n'obtenant finalement que 13 %, alors qu'il en avait remporté 30 %.
Depuis, les principaux dirigeants d'Ennahda pourchassés par l'implacable police politique de Ben Ali ont préféré aller «prêcher» la bonne parole ailleurs. Dans sa fuite, le leader d'Ennahda Rached Ghannouchi, tente de rejoindre alors la France. Celle-ci ne veut pas indisposer le président tunisien qui jouissait de solides amitiés au sein de l'establishment français. La France, qui craignait la montée de l'islamisme radical au Maghreb, tourne le dos à Ghannouchi qui se rabat sur l'Angleterre.
A Londres, le patron d'Ennahda noue des relations avec les islamistes de tous bords, qui font de la capitale britannique leur fief. Il se lie d'amitié avec le Soudanais Hassan Tourabi. Il effectue également plusieurs séjours dans les pays du golfe Persique et notamment au Qatar. Malgré les accusations des autorités tunisiennes de l'époque, on ne lui connaît pas de liens avec les salafistes violents ou avec les Djihadistes. Londres refuse à maintes reprises de l'extrader vers la Tunisie ou de réduire ses activités.
En France, les leaders d'Ennahda sont malmenés par les sbires du régime tunisien. Les services de sécurité tunisiens saisis par les militants islamistes préfèrent regarder ailleurs. C'est le grand désamour entre Ennahda et la France. Cette coupure va aller crescendo avec l'arrivée de la droite au pouvoir. Sous la présidence de Jacques Chirac, la France quand elle ne ferme pas les yeux sur les dérives du régime de Ben Ali, l'encense publiquement. Cela s'aggrave encore plus sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Alors que le modèle tunisien, tant vanté par les élites politiques françaises, se craquelle de toutes parts, les ministres et les responsables politiques de l'hexagone multiplient les déclarations élogieuses et les visites «privées» et officielles dans le pays du jasmin. Quand la crise de décembre 2010 qui fut fatale au Président Ben Ali éclate, les dirigeants d'Ennahda réapparaissent sur les plateaux des télévisions arabophones. En France, la «myopie» est toujours de mise. Elle durera jusqu'à la fuite du dictateur et le retour triomphal de Rached Ghannouchi et des autres leaders islamistes.
C'est donc à partir de janvier 2011 qu'en France on redécouvre Ennahda. Aucun lien n'existe réellement entre les dirigeants de ce parti et les officiels français. Rached Ghannouchi et ses ouailles regardent vers la Turquie. Le chef des islamistes tunisiens rappelle à chacune de ses sorties que la Turquie est aujourd'hui l'exemple à suivre, d'autant plus qu'il se délecte à rappeler que les islamistes turcs se sont dans les années 1990 inspirés des idées défendues par Ennahda. Cela dit, la victoire des islamistes ne sonne pas à elle seule le glas de l'influence de la France en Tunisie. La deuxième place du Congrès pour la république (CPR) crédité de 13,82 % des suffrages dont le leader Moncef Marzouki n'a pas pu être élu à Nabeul, est un mauvais signe à l'adresse de la France. C'est effectivement le très charismatique Mohamed Abdou, dirigeant au "CPR", dont le discours nationaliste et teinté d'un panarabisme très hostile à l'ancienne puissance colonisatrice, qui a forgé cette deuxième place du "CPR". Mohamed Abdou a lui aussi à maintes reprises affirmé sa fascination pour le modèle turc.
D'un autre côté, le Parti démocrate progressiste (PDP) de Nejib Chebbi et de Maya Jribi, adepte d'une laïcité à la française a essuyé une cuisante défaite avec 7,86% des suffrages. Monté en épingle par la presse française, la popularité présumée de ce parti a été balayée par les résultats du vote pour l'Assemblée constituante. Un autre signal que la France est en perte de vitesse dans un pays où elle a été jusque-là sans concurrence.