11/11/2011 info-palestine.net  8min #59747

 Syrie : il n'y a pas qu'un seul son de cloche

Syrie : quelles options subsistent ?

Abdel Bari Atwan

L'opposition syrienne, le Conseil national de transition (TNC), a qualifié l'initiative de la Ligue arabe pour arrêter l'effusion de sang en Syrie, de « bouée de sauvetage » dont l'objectif serait de prolonger la vie du régime au pouvoir.

Mais cette évaluation de l'opposition est totalement incorrecte, non pas parce que le régime syrien a fait avorter cette initiative seulement un jour après qu'elle ait été lancée en ne respectant aucune de ses dispositions, mais parce que les Etats arabes qui sont à l'origine de l'initiative ne veulent pas qu'elle réussisse. La première raison étant qu'ils savent d'emblée que la volonté du régime de mettre véritablement en œuvre cette initiative est extrêmement limitée sinon inexistante.

L'administration américaine a ensuite brûlé les cartes des Arabes dès le début, en exhortant les Syriens armés à ne pas répondre au décret du régime syrien stipulant qu'ils seront amnistiés dès qu'ils rendront leurs armes. Le porte-parole du régime a utilisé cette déclaration [américaine] comme preuve d'une intervention flagrante des Etats-Unis dans les affaires intérieures syriennes.

Les Syriens armés n'avaient pas l'intention de remettre leurs armes et, par conséquent, ils n'avaient nul besoin de ce « stupide » conseil venu des États-Unis, en premier lieu parce qu'ils ont pris ces armes contre le régime et ses forces non pas pour les leur rendre mais plutôt pour les épuiser dans une guerre qui finira par conduire à la chute du régime en place.

Hier, le TNC a renouvelé ses appels à la création d'une zone tampon qui sera supervisée et protégée par des Casques bleus. Cette déclaration a été faite après la prise de la région de Homs par des chars syriens et l'utilisation d'une artillerie de gros calibre dans une première répétition du modèle libyen. Cela pourrait creuser le gouffre croissant entre l'opposition interne et l'opposition à l'étranger.

Le véritable test pour la Ligue arabe sera évidemment la réunion du samedi [12 Novembre], qui devrait avoir lieu au niveau des ministres des Affaires étrangères. Après que le régime syrien ait été ouvertement accusé de faire échouer l'initiative arabe, beaucoup de gens attendent des ministres qu'ils prennent des mesures de rétorsion. Les possibilités de ce qui sortira de cette réunion peuvent se résumer dans ce qui suit.

Premièrement : la reconnaissance par certains ou la plupart des Etats [arabes] du Conseil national de transition comme représentant du peuple syrien, suivant l'exemple du conseil national de transition libyen (seule la Libye a reconnu le conseil syrien), ce qui revient à retirer sa légitimité au régime syrien.

Deuxièmement : le soutien à la création de zones d'exclusion aérienne ou de zones régionales ou internationales (zones tampons) protégées pouvant être utilisées comme bases par les forces armées qui sont opposées au régime et qui ont fait défection de l'armée, pour lancer des attaques et tenter de saper la sécurité et la stabilité du régime.

Troisièmement : un resserrement du blocus économique par les Etats voisins en vue de resserrer l'étau autour de la classe moyenne composée surtout de commerçants. Cette classe, surtout dans les villes d'Alep et de Damas, continue de soutenir le régime ou au mieux reste neutre, en attendant que la situation penche en faveur du régime ou de l'opposition.

Il est difficile de prédire si les ministres arabes des Affaires étrangères prendront unilatéralement ou collectivement des mesures de ce genre à leur prochaine réunion. Toutefois, étant donné l'intensité des discussions entre Israël et les Etats-Unis sur une frappe militaire imminente contre l'Iran pour détruire ses installations nucléaires, de telles mesures semblent être très probables.

La question syrienne a commencé à entrer dans une phase de tensions politiques et militaires, coïncidant avec l'augmentation des menaces contre l'Iran. Peut-être n'est-ce pas un hasard si la prochaine réunion des ministres arabes des Affaires étrangères se tiendra deux jours seulement après la publication du rapport de l'AIEA, dont on s'attend à ce qu'il vise l'Iran et lance des accusations - supposées prouvées - qu'il est impliqué dans un programme nucléaire militaire dans une installation secrète dans une montagne de la région de Qom, comme des rapports occidentaux le prétendent.

La militarisation de l'insurrection syrienne, pourrait être l'étape la plus importante dans la réponse officielle des Arabes au régime [syrien], au motif que l'initiative arabe n'a pas été appliquée. Ce qui faciliterait cette étape plutôt aisée, est le fait que la Syrie est entourée par des États « hostiles », comme la Turquie, la Jordanie et le Liban, en plus d'une bande frontalière à l'ouest avec l'Irak où une majorité sunnite a une inimitié envers l'Iran et le gouvernement pro-iranien de Bagdad.

Nous ne savons pas si l'intervention étrangère en Syrie va précéder ou suivre les attaques aériennes attendues contre l'Iran. Cependant, ce qui peut être anticipé, c'est que toute la région va vivre une division sectaire sunnite-chiite qui pourrait se traduire en guerres civiles non seulement en Syrie mais aussi dans la plupart des pays de l'Orient arabe, notamment en Irak, au Liban et dans certains Etats du Golfe.

Certains responsables de la région du Golfe parlent dans leurs réunions privées d'un nouveau scénario consistant à laisser tomber pour le moment l'idée d'une intervention militaire étrangère en Syrie et à s'attaquer directement à l'Iran, « la tête du serpent », car Israël et les bases américaines dans le Golfe pourraient subir les mêmes pertes si les frappes se font contre l'Iran ou contre la Syrie. Dans les deux cas, le Hezbollah libanais bombarderait Israël et l'Iran pourrait intervenir militairement pour protéger son allié la Syrie si celle-ci est soumise à une intervention étrangère.

La militarisation de l'insurrection syrienne n'est pas une stratégie qui assurera forcément le succès de l'insurrection et la fin du régime, car le soulèvement islamique en Algérie qui a éclaté dans les années 90 pour protester contre l'annulation des résultats des élections législatives gagnées par le Front du Salut, a duré près de 10 ans et a conduit à la mort de 200 000 personnes.

Cette comparaison peut ne pas être correcte car, contrairement à l'Algérie, la Syrie est entourée par des Etats qui lui sont hostiles. D'autre part, l'Occident n'a pas voulu que le soulèvement des Islamistes en Algérie soit couronné de succès. Et il attend tout le contraire du soulèvement syrien. Cela ne signifie pas que nous devrions oublier l'existence de l'aide étrangère pour le régime syrien venue de la Russie et de la Chine, même s'il est difficile d'être sûr de la force de ce soutien.

L'attente est la seule option possible pour quiconque analyse la situation dans cette région qui nous a toujours apporté des surprises. Il est difficile de prévoir l'évolution de la situation et ses conséquences probables. Qui avait prévu que les Etats-Unis seraient vaincus en Irak et retireraient toutes leurs forces de façon humiliante après avoir dépensé de mille milliards de dollars et perdus 5000 soldats ? Et qui avait prévu que les Talibans feraient un retour en force en Afghanistan, lanceraient une guerre sanglante contre l'occupation américaine, et forceraient l'administration américaine à lever un drapeau blanc dans un aveu de défaite ?

Certes, il y a eu le succès des Etats-Unis et des occidentaux en Libye, où l'OTAN a renversé le régime Kadhafi après huit mois de bombardements. Mais l'ancien président américain George Bush n'avait-il pas déclaré, fier comme un paon, « mission accomplie en Irak » trois semaines après l'invasion et l'occupation de ce pays ? Qui aurait cru que l'Iran, qui n'a pas tiré une seule balle, serait à la fin le principal gagnant ?

La Syrie fait certainement face à un avenir inconnu avec encore plus de carnage, et le régime portera certainement la plus grande part de responsabilité parce qu'il aura estimé que l'utilisation de la violence et le refus de concessions en faveur du peuple seraient le moyen idéal pour sortir de cette crise.

Ce que nous craignons le plus, c'est que le régime et l'opposition ne rendent pour finir la Syrie ingouvernable.

Les Arabes seront les « faux témoins », tout comme ils l'ont été dans le cas de l'Irak et de l'Afghanistan, ou les bailleurs de fonds des guerres américaines parce qu'ils ne peuvent pas s'opposer aux Etats-Unis et à leurs projets, même si ces plans sont en contradiction avec leurs ambitions et leurs intérêts. La défaite arabe est certaine, et seule son ampleur est en discussion.

Nous ne parlons pas ici de pertes financières avec les nombreux milliards déposés dans des banques occidentales. Ce qui est important est quel sera l'état de la région et quelle sera l'ampleur des pertes humaines après une quatrième guerre américaine au Moyen-Orient en moins de 30 ans.

* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du quotidien al-Quds al-Arabi, grand quotidien en langue arabe édité à Londres. Abdel Bari Atwan est considéré comme l'un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.

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