20/11/2011 info-palestine.net  7min #60121

 Syrie : il n'y a pas qu'un seul son de cloche

Assad ne partira que si ses propres tanks se retournent contre lui

Robert Fisk - The Independent

Les prévisions sur une imminente démission du président syrien Bachar al-Assad sont bien trop optimistes.

A Damas, plus tôt ce mois, la télévision d'Etat syrienne, m'a demandé une entrevue sur les événements en Syrie. J'ai accepté avec beaucoup d'appréhension, avertissant le présentateur qu'il pourrait ne pas apprécier tout ce que je dirai, mais prévenant - un peu de chantage à la Fisk - que tout ce qui serait censuré serait envoyé aux lecteurs de The Independent. L'entrevue s'est déroulée et j'ai dit que le président Bachar al-Assad allait « rater le coche - et rapidement ». Le peuple arabe, ajoutais-je, ne pouvait plus être infantilisé, et il y avait clairement une insurrection armée en cours pour renverser le régime en Syrie. Les correspondants étrangers devraient être autorisés à se rendre à Homs et dans les autres lieux où une masse de vidéos sur YouTube montrent des manifestants qui ont été abattus. Quand on m'a dit plus tard que la traduction n'allait pas être terminée à temps, j'ai souri en coin avec mon cynisme habituel.

Mais, fait presque incroyable, l'interview a été dûment diffusée à la télévision publique syrienne, et à mon grand étonnement, ils ont tout diffusé (en utilisant un sous-titrage quasi-parfait), y compris les remarques concernant Assad qui allait rapidement manquer de temps.

Qu'est-il arrivé ? Est-ce que cela a été fait avec l'approbation du Président ? Ou du gouvernement - ou d'une partie de l'équipe dictatoriale - en essayant de montrer par là qu'ils n'avaient aucun doute sur le fait d'une quasi-guerre civile ? Je ne sais pas. Et ma boule de cristal pour le Moyen-Orient s'est brisée il y de cela plusieurs années. Mais je vais risquer une prédiction : le temps d'Assad est très court, et il diminue rapidement - mais ne croyez pas les tink thanks (comme je les appelle) (1) du Département d'Etat et de Washington, ni l'Union européenne ou la Ligue arabe. Assad n'est pas prêt de partir.

Même les paroles de roi Abdallah de Jordanie cette semaine ont été légèrement transformées par la presse et la télévision après qu'il ait soit-disant déclaré à la BBC que M. Assad devrait « démissionner ». Ce qu'il a réellement dit était : « si j'étais dans ses souliers [ceux d'Assad], je voudrais en sortir ». Ce qui n'est pas tout à fait la même chose.

Beaucoup plus important était une partie de l'interview - l'une de ses meilleures, en fait, et je ne suis pas fan de sa majesté - dans laquelle il dit que si Assad devait démissionner pour être remplacé par le même « système » (c'est à dire le parti Baas), le problème ne serait pas résolu. C'est trop exact. Et tout au long des déclarations du roi Abdallah, pensais-je, y avait-il le faible espoir qu'Assad pourrait peut-être encore prendre l'initiative et honorer toutes ses belles paroles (nouvelle constitution, le pluralisme politique, une démocratie réelle, etc...). Certes, les prétentieuses prévisions de l'Occident sur la disparition imminente d'Assad - cela repose davantage sur YouTube que sur la réalité sur le terrain - sont désespérément optimistes. Certes, il y a des déserteurs dans l'armée syrienne. Mais vous ne gagnez pas des révolutions avec des Kalachnikov AK-47. Seule la désertion d'une unité de chars ou de deux généraux en plus - dans le style de la Libye - aurait une chance d'aboutir. Et jusqu'ici, cela ne s'est pas produit. Assad n'est pas Kadhafi.

Par ailleurs, le soutien militaire de la Russie n'a pas cessé. Seulement neuf jours après que la Russie et la Chine aient opposé leur veto à une résolution du Conseil de Sécurité [des Nations Unies] condamnant la Syrie, le co-directeur général du Service fédéral russe de coopération militaire, Viatcheslav Djirkaln, a déclaré qu'il n'y aurait « pas de restriction sur les livraisons d'armes à la Syrie ». Les Russes font état, bien sûr, des « obligations contractuelles ».

Cela aussi n'est pas surprenant. La vérité est que la Russie avait été un moment le seul fournisseur d'armes à la Libye. Elle vendait des avions de combat, des frégates, des chars et des systèmes antiaériens au colonel Kadhafi - après que l'Occident ait décidé en 1974 d'appliquer un embargo sur les armes - et avait 3500 conseillers dans le pays. Ses navires pouvaient se ravitailler à la base navale de Tripoli. Maintenant elle est associée avec un régime défunt et détesté. La Russie était à la 73e position sur la liste des gouvernements reconnaissant le Conseil national libyen de transition.

Aujourd'hui, la ville syrienne de Tartous héberge le seul port en Méditerranée ouvert 24 heures sur 24 à la marine russe. Sans Tartous, tout navire de la marine russe devrait retourner à travers le Bosphore jusqu'à Odessa pour chaque paquet d'écrous, de vis ou de cigarettes dont il aurait besoin. Les amis, comme on dit, ont besoin les uns des autres.

Est-ce que la menace d'une suspension de la Ligue arabe a vraiment de l'importance ? Je crains que non - mais Walid Moallem, ministre syrien des Affaires étrangères pense clairement très différemment. Il a affirmé que la ligue avait franchi « une étape extrêmement dangereuse » en menaçant la Syrie et que le soutien américain à la décision de la ligue était « de l'incitation ». L'armée avait déjà quitté les villes syriennes, les prisonniers avaient été libérés, les insurgés armés se sont vus proposer une amnistie... YouTube a répliqué avec la vidéo d'un véhicule blindé de fabrication russe tirant des milliers de balles dans une rue de Homs, et avec la photographie d'un syrien à moitié nu, assassiné, les mains liées derrière le dos et gisant dans une rue de Homs. Mais assassiné par qui ?

Une chose est maintenant certaine. Mis à part le nombre considérable de victimes civiles, même les opposants au régime admettent maintenant que Assad est confronté à un soulèvement armé. Cela a pu avoir été un mythe propagé par le régime, mais le monstre est né. Les militants anti-Assad parlent désormais ouvertement « d'insurgés armés ». Seize civils ont été tués à Deraa il y a trois jours. Mais 15 soldats ont été tués le même jour et dans la même ville. Qui les a tués ? C'est ce que nous avons besoin de savoir.

Note : 

(1) Jeu de mots difficilement traduisible - pouvant signifier aussi bien « les remerciements de la fée clochette » que « les remerciements du camion de vidange » - et qui fait allusion aux fameux Think tanks, prétendus laboratoires d'idées mais le plus souvent de vulgaires officines dont le rôle est de fournir un habillage pseudo-intellectuel aux poncifs les plus racistes et les plus réactionnaires - N.d.T

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