Zine Cherfaoui - El Watan
Les nouvelles autorités libyennes éprouvent toutes les peines du monde à rétablir la sécurité dans le pays et butent encore sur l'épineux problème des milices armées qui ne veulent toujours pas déposer les armes.
Excédés par le climat de terreur qui règne sur leur ville, hier les Benghazis sont sortis nombreux dans la rue pour crier leur colère.
La population appelle à leur désarmement
Preuve que la situation est actuellement aussi précaire qu'incontrôlable, un groupe armé libyen a dérouté samedi, avec une facilité déconcertante, une patrouille des gardes-frontières tunisiens sur la frontière tuniso-libyenne. Trois agents de cette patrouille ont pu échapper in extremis au traquenard, alors qu'un quatrième a été séquestré durant une journée avant d'être relâché hier. L'« incident », dénoncé avec véhémence par Tunis, s'était produit à la veille d'une visite du président tunisien à Tripoli.
Excédés par le climat de terreur qui règne sur leur ville, les Benghazis sont sortis nombreux hier dans la rue pour réclamer le désarmement, sans plus attendre, de ces milices armées.
Rassemblés sur la place des Martyrs, des milliers de personnes ont ainsi exprimé leur rejet de toute forme du port illégal d'armes dans la ville. « Nous exigeons l'éradication de ce phénomène (port d'armes) dans toutes les rues de la ville », ont scandé les Benghazis, appelant « les nouvelles autorités du pays à accélérer la formation de l'Armée nationale libyenne ».
La population de cette ville - d'où a commencé la révolte contre le régime d'El Gueddafi en février dernier - a également demandé à ce que cette nouvelle armée « soit formée sur des fondements devant répondre aux besoins d'un nouvel Etat démocratique, et d'un Etat de droit, de justice, jouissant de solides institutions et de sécurité ».
Le CNT au banc des accusés
Un confrère libyen, exerçant à Benghazi, a confié hier à El Watan que cette manifestation, qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes, avait également pour but de mettre la pression sur les responsables du Conseil national de transition (CNT) afin qu'ils entreprennent un « redressement révolutionnaire » en écartant du pouvoir les anciennes personnalités du régime. La même source fait également état d'une crise de confiance entre la population et les dirigeants du CNT auxquels il est reproché de faire trop souvent cavalier seul dans la conduite des affaires du pays. Ceci dit, ce n'est pas la première fois que les habitants des grandes villes libyennes battent le pavé pour dénoncer les exactions commises quotidiennement par les milices armées.
Des manifestations réclamant leur désarmement ont, rappelle-t-on, déjà eu lieu le mois dernier à Tripoli et à Benghazi. Devant la pression de la rue, le nouveau Premier ministre, Abdelrahim Al Kib, s'était d'ailleurs engagé à se pencher très sérieusement sur la question, mais tout en mettant en avant le fait que le problème était « complexe ». Au-delà, il avait tout de même promis de « pacifier » la capitale avant la fin de l'année 2011. Pour régler le problème, son gouvernement libyen avait, notamment avancé le projet d'intégrer au début de l'année 2012 quelque 50 000 thowars (révolutionnaires) dans les rangs de la nouvelle armée nationale libyenne.
Mais force est de constater que plus d'un mois après son élection à la tête du gouvernement, Al Akib semble n'avoir aucune forme d'emprise sur la situation sécuritaire et encore moins sur ces milices auxquelles il avait pourtant donné deux semaines pour déposer les armes. Le problème paraît d'autant plus complexe que de nombreux groupes armés refusent, à ce jour, pour des considérations politiques, l'idée d'intégrer les nouveaux services de sécurité.
Ce constat fait d'ailleurs craindre l'éventualité d'un affrontement entre les tribus pour la prise et le contrôle du pouvoir dans le cas où le dialogue inter-libyen n'aboutirait pas. Ce risque est à prendre au sérieux surtout lorsque l'on sait que certains responsables militaires ne sont pas du tout appréciés par les « thowars ». Parallèlement au casse-tête posé par la prolifération des armes et les milices armées (problème à propos duquel les Nations unies ont exprimé leurs inquiétudes au mois de novembre dernier), le gouvernement Al Kib doit également faire face à la menace terroriste que fait peser Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI) sur la Libye. La prise en charge de ce dossier est d'autant plus urgente depuis qu'il a été prouvé qu'AQMI y a envoyé des militants chevronnés pour tenter de recruter des hommes, faire de ce pays sa principale base en Afrique du Nord et mettre la main sur les missiles sol-air du régime de Mouammar El Gueddafi.