Par Alex Lantier
8 février 2012
Les Etats-Unis ont fermé leur ambassade syrienne et la Grande-Bretagne a rappelé hier son ambassadeur pour consultations dans un contexte d'intensification des préparatifs de guerre américains et européens. Ces décisions ont été prises après le veto émis samedi par la Russie et la Chine à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, soutenue par les Etats-Unis, contre le régime du président syrien Bachar al-Assad.
La porte-parole du Département d'Etat américain, Victoria Nuland, a imputé la décision des Etats-Unis de transférer son personnel diplomatique de Syrie à la Jordanie voisine à une « dégradation de la situation sécuritaire. » Le New York Times a toutefois précisé que les responsables du gouvernement Obama « pensaient qu'il ne restait plus rien à discuter avec M. Assad. »
La décision a effectivement rompu les relations diplomatiques américaines et britanniques avec la Syrie, intensifiant davantage encore les tensions alors que les responsables américains et européens réclament l'éviction d'Assad. Ces responsables ont critiqué la Russie et la Chine pour leur vote et prédit une rapide propagation de la guerre civile en Syrie et l'effondrement du régime Assad. D'ailleurs, de plus en plus de combats intenses ont déjà lieu entre l'armée syrienne et les groupes armés de « rebelles » soutenus par les Etats-Unis en Syrie même.
Le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a dit à la télévision Sky TV, « C'est un régime voué à l'échec et un régime meurtrier. Il ne peut en aucune manière retrouver sa crédibilité, ni internationalement ni auprès de son propre peuple. » Il a prédit que le gouvernement syrien était « en train de pousser certains opposants à entreprendre eux aussi des actions violentes. Ceci rapproche encore un peu plus la Syrie de ce qui commence à ressembler à une guerre civile. »
Lors de l'émission matinale d'informations de la chaîne américaine CBS « This Morning », l'ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations Unies, Susan Rice, a menacé en disant que les vétos de la Russie et de la Chine étaient « une décision que, je pense, la Russie et la Chine viendront à regretter au fil du temps. » Elle a mis en garde que les deux pays pourraient être confrontés à un isolement international similaire à celui de la Syrie.
Interrogée sur la Syrie, Rice a affirmé de manière rituelle que les Etats-Unis voulaient « une transition très pacifique. » Elle a toutefois ajouté, « nous continuerons à intensifier par tous les moyens la pression sur le régime d'Assad - diplomatiques, économiques et autres. Mais le risque d'une guerre civile s'accroît en effet. »
Rice n'a pas dit quels « autres » moyens Washington envisagerait. Ceci a toutefois été précisé par le colonel Riad al-Assas, commandant de l'Armée syrienne libre (ASL) qui est soutenue à la fois par la Turquie et les Etats-Unis et qui lance des opérations militaires continues à l'intérieur de la Syrie. Al-Assad a dit, « Il n'y a pas d'autre voie » à part l'action militaire contre Assad, en ajoutant : « Ce régime ne comprend pas le langage politique. Il ne comprend que le langage de la force. »
Les affirmations des responsables américains et européens selon lesquelles ils recherchent une voie pacifique pour résoudre la crise en Syrie sont des mensonges éhontés. Après avoir soutenu l'ASL et des forces « rebelles » similaires pro-occidentales dans une guerre civile qui ne cesse de s'intensifier à l'intérieur de la Syrie depuis des mois, ils décident à présent de soutenir ouvertement ces forces et, tout comme l'année dernière dans le cas de la guerre de l'OTAN contre la Libye, ils cherchent à écraser le régime.
Les projets de Washington ont été révélés dans un discours prononcé dimanche par la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, à Sofia en Bulgarie. Exigeant la démission d'Assad et promettant de « redoubler nos efforts en dehors des Nations Unies, » elle a dit que les Etats-Unis appliqueraient des sanctions « pour assécher les sources de financement et les livraisons d'armes qui permettent à la machine de guerre du régime de continuer à fonctionner. »
Elle a ajouté, « Nous travaillerons avec les amis d'une Syrie démocratique partout dans le monde pour soutenir les projets de changement politique pacifique de l'opposition. Nous oeuvrerons pour fournir toute l'aide humanitaire que nous pouvons. »
Le journal Sydney Morning Herald a noté que de telles propositions suggéraient la prochaine « formation d'un groupe officiel d'Etats partageant les mêmes vues pour coordonner l'aide apportée à l'opposition syrienne, comparable au Groupe de contact sur la Libye qui avait supervisé l'aide internationale pour les opposants du dirigeant libyen déchu décédé, Mouammar Kadhafi. »
L'« aide humanitaire » fournie par les membres du groupe aux « rebelles » libyens avait été largement diffusée dans la presse comme comprenant des livraisons secrètes d'armes. La guerre libyenne a pris fin avec le bombardement de Tripoli et de Syrte, l'assassinat extra-judiciaire de Kadhafi et environ 80.000 victimes libyennes.
Les Etats-Unis et leurs alliés ne s'orientent pas seulement vers un nouveau conflit catastrophique avec la Syrie, mais potentiellement avec des puissances plus grandes telles l'Iran et la Russie. La menace de Clinton de bloquer les livraisons d'armes à la Syrie intensifiera les tensions des Etats-Unis avec les deux pays qui ont expédié soit par transport routier soit par la mer Méditerranée des armes à Assad. Le mois dernier, la Russie avait aussi dépêché son porte-avions Admiral Kuznetsov et des navires d'escorte pour patrouiller dans les eaux syriennes et se rendre dans le port syrien de Tartous qui abrite une base navale russe.
La Russie et la Chine ont défendu leur veto de la veille à la résolution de l'ONU. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a critiqué les « réactions au vote sur la Syrie au Conseil de sécurité des Nations Unies qui ont un caractère, je dirai, indécent et presque hystérique. »
Un éditorial du journal chinois People's Daily a justifié le veto de la Chine à la résolution de l'ONU en remarquant que l'OTAN avait « profité » de la résolution 1973 de l'ONU contre la Libye l'année dernière pour fournir « des armes à feu à l'une des parties en guerre. La promesse de protéger les civils a-t-elle été tenue ? »
Lavrov se rend aujourd'hui en Syrie en compagnie du directeur du Service de renseignement extérieur, Mikhail Fradkov, pour des pourparlers avec Assad. Le ministère russe des Affaires étrangères a diffusé un communiqué déclarant que la Russie « entend fermement chercher la stabilisation la plus rapide de la situation en Syrie sur la base de l'application la plus rapide des réformes démocratiques dont le moment est venu. »
Les médias américains se sont demandé si ces remarques pourraient être un signal que le Kremlin a décidé d'accepter une « sortie contrôlée » d'Assad et un alignement derrière l'intervention américaine.
Hier, Washington a aussi entrepris une série de démarches menaçantes contre l'Iran. Obama a signé un décret renforçant les sanctions contre l'Iran et sa banque centrale qui supervise les transactions concernant les exportations pétrolières essentielles de l'Iran. Le décret empêche le virement, le paiement, l'exportation ou le retrait, à partir de l'Iran ou vers l'Iran, de tous les capitaux jugés sous contrôle américain, y compris les filiales étrangères des banques américaines.
Obama a ajouté que Washington travaillerait « en étroite collaboration » avec Israël contre le programme nucléaire iranien. Israël a, à plusieurs reprises, menacé d'attaquer l'Iran et il est fortement présumé qu'il se trouve derrière une vague d'assassinats de scientifiques nucléaires iraniens.
(Article original paru le 7 février 2012)