par Mondialisation.ca
En quelques jours le gouvernement canadien a brillé dans les médias par ses manifestations d'obscurantisme. Après avoir remis en question l'abolition de la peine de mort et évoqué la réouverture du débat sur l'avortement, le gouvernement de Stephen Harper se défend maladroitement depuis hier de justifier le recours à des renseignements obtenus sous la torture.
Le tollé soulevé sur les questions d'illégalité est justifié, toutefois il occulte une question plus profonde : pourquoi a-t-on recours à la torture en réalité?
En décembre 2010, le ministre canadien de la Sécurité publique, Vic Toews, a ordonné au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) d'utiliser des renseignements obtenus sous la torture, afin de prioriser « la protection de la vie et de la propriété ».
À la Chambre des communes, M. Toews n'a pas reculé. «L'information obtenue sous la torture est toujours écartée. Toutefois, le problème, c'est [de savoir] si on peut ignorer en toute sécurité des informations si des vies et la propriété de Canadiens sont en jeu.» Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, Jason Kenney, a ajouté que «bien sûr, nous nous opposons à l'utilisation de la torture, mais nous croyons que les agences canadiennes de sécurité devraient accorder la priorité à la protection de la vie». (Hélène Buzzetti, Torture: oui dans certains cas, dit Ottawa, Le Devoir, 8 février 2012)
Ces déclarations sont criantes de non-sens. Ou les informations obtenues sous la torture sont « toujours écartées » ou elles ne le sont pas. On s'oppose à la torture ou on ne s'y oppose pas. Les ministres disent une chose et son contraire. Ils disent, du même souffle, s'opposer à la torture, mais la tolérer. Le fait d'« accorder la priorité » à « la protection de la vie » signifie simplement que l'utilisation de renseignements obtenus sous la torture figure sur la liste d'options, mais qu'elle n'est pas la première. « Privilégier » signifie être plus favorable à quelque chose, non pas s'opposer à quelque chose d'autre.
S'agit-il de dissonance cognitive ou d'une tentative de faire accepter lentement la torture à la population?
Non seulement la torture est interdite – sans exception – par le droit international, mais en plus, les études sur la question démontrent qu'elle est totalement inefficace, puisque les renseignements obtenus sous la torture ne sont pas valides. Une personne soumise à la torture admettra n'importe quoi pour mettre un terme à sa souffrance. Et ça, les dirigeants le savent.
Il faut donc se poser la question suivante : quel est le rôle fondamental de la torture?
L'erreur est de croire que la torture a pour but de récolter des renseignements, d'obtenir des aveux. Plusieurs experts avancent que les autorités emploient la torture car elles croient, à tort, que c'est la seule façon d'obtenir certaines informations. Or, en employant, en cautionnant la torture, les autorités savent très bien ce qu'elles font et cela n'a rien à voir avec la collecte d'informations. La torture est un outil de propagande.
Le but ultime d'une autorité quelconque faisant appel à la torture est de dominer, de conforter sa position d'autorité, de supériorité, mais surtout de prouver, promouvoir et protéger sa vision du monde, sa propagande en semant la terreur.
La torture, lorsqu'elle est employée sous prétexte de vouloir obtenir des renseignements, a pour but ultime de nourrir la propagande des autorités tortionnaires. Elle sert à enfoncer un témoignage dans la bouche d'une victime, témoignage qui servira ensuite à « prouver » la propagande du tortionnaire et justifier des actes servant leurs intérêts et ceux de leurs alliés. Cette façon de faire entraîne la soumission et envoie un message clair à quiconque voudrait défier les autorités.
Dévoilées au grand jour, les images d'Abu Ghraib ou de la violence infligée à Kadhafi, ainsi que l'utilisation par des gouvernements « démocratiques » d'« aveux » obtenus sous la torture n'ont pas d'autres objectifs que de terroriser, d'inciter à la soumission à l'autorité et d'appuyer la propagande de la « guerre au terrorisme », qui n'est rien d'autre qu'une guerre à l'humanisme et un retour à l'Inquisition.
Mondialisation.ca vous suggère à ce sujet l'article de Michel Chossudovsky, Le 11 septembre et «l'Inquisition américaine»
Julie Lévesque a collaboré à ce reportage