Par Raoul Marc Jennar
Le mardi 21 février, à la demande du gouvernement, l'Assemblée Nationale examinera en procédure d'urgence deux projets de loi :
a) le projet de loi ratifiant la décision du Conseil européen de modifier l'article 136 du TFUE
b) le projet de loi ratifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES)
Ce qui se prépare dans un silence scandaleux alors que ces projets devraient être au coeur des débats dans toute la presse, va au-delà de tout ce qu'on a connu jusqu'ici, au niveau européen, en matière d'abandon de souveraineté, de recul démocratique et d'opacité. Pour s'en rendre compte, il faut savoir ce qu'est le MES et de quelle procédure on use pour le faire adopter.
Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) : un FMI européen
Le texte définitif du traité instituant le MES a été adopté par les représentants des États membres de la zone euro le 2 février 2012. Ce MES est destiné à prendre, à partir de juin 2013, la suite des instruments créés en 2010 pour faire face à la crise de la dette. Ce MES et le "Pacte budgétaire" (TSCG) sont complémentaires : à partir du 1 mars 2013, pour avoir accès aux aides du MES un État devra avoir accepté toutes les dispositions sur l'austérité budgétaire contenues dans le TSCG. Le MES, dont le siège est fixé à Luxembourg, est doté du statut d'une institution financière internationale bénéficiant des immunités dont jouissent les institutions internationales. Il n'a donc aucun compte à rendre ni au Parlement européen, ni aux parlements nationaux, ni aux citoyens des Etats membres et ne peut en aucun cas faire l'objet de poursuites. Par contre, doté de la personnalité juridique, le MES pourra ester en justice. Locaux et archives du MES sont inviolables. Il est exempté de toute obligation imposée par la législation d'un Etat Membre. Le MES, ses biens, fonds et avoirs jouissent de l'immunité de toute forme de procédure judiciaire.
En cas de litige entre le MES et un État Membre, c'est la Cour de Justice de l'UE qui est compétente. Les membres du MES sont les États de la zone euro. L'institution est dirigée par un collège composé des ministres des finances des États membres appelés pour la circonstance « gouverneurs ». Ces gouverneurs désignent un conseil d'administration. Un Directeur général est nommé. Le Conseil des gouverneurs est compétent pour toutes les décisions relatives à l'intervention du MES. Le Conseil d'administration est compétent pour la gestion de l'institution. Le secret professionnel est imposé à toute personne travaillant ou ayant travaillé pour le MES. Toutes les personnes exerçant une activité au sein du MES bénéficient de l'inviolabilité de leurs papiers et documents officiels et ne peuvent faire l'objet de poursuites en raison des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions. Le but du MES est de « mobiliser des ressources financières et de fournir, sous une stricte conditionnalité » un soutien à la stabilité d'un de ses États membres qui connaît des graves difficultés financières susceptibles de menacer la stabilité financière de la zone euro. À cette fin, il est autorisé à lever des fonds. Son capital est fixé à 700 Milliards d'euros. La contribution de chaque État a été déterminée de la manière suivante :
Les États Membres, par ce traité, s'engagent « de manière irrévocable et inconditionnelle » à fournir leur contribution au capital du MES. Ils s'engagent à verser les fonds demandés par le MES dans les 7 jours suivant la réception de la demande. Le MES peut décider de revoir les contributions de chaque État membre. Cette décision s'imposera automatiquement. Lorsqu'un État Membre sollicite une demande de soutien à la stabilité, c'est la Commission Européenne en liaison avec la Banque Centrale Européenne (BCE) qui est chargée d'évaluer le risque pour la stabilité de la zone euro, d'évaluer, en collaboration avec le FMI, la soutenabilité de l'endettement public du pays demandeur et d'évaluer les besoins réels de financement de ce dernier. Lorsque le MES décide d'octroyer un soutien à la stabilité, c'est la Commission Européenne, en liaison avec la BCE et le FMI, qui négocie avec l'État demandeur les conditions dont est assorti ce soutien. Cette négociation doit s'inscrire dans le respect du "Pacte budgétaire" (TSCG). La Commission européenne, en liaison avec la BCE et le FMI, est chargée du respect des conditions imposées. Le traité entrera en vigueur deux mois après le dépôt des instruments de ratification par les États signataires dont la souscription représente 90 % du total.
On s'en rend compte, les gouvernements signataires de ce traité ont créé un monstre institutionnel contre lequel les États eux-mêmes et à fortiori les peuples seront désormais totalement impuissants. Ainsi se poursuit, sous la pression du monde de la finance et des affaires, le démembrement du siège de la souveraineté populaire, l'État, au profit d'institutions échappant à tout contrôle.
Une procédure illégale
La création du MES exige une modification de l'article 136 du TFUE. Cette modification, qui est possible si on recourt à la procédure simplifiée pour modifier un traité européen, a été proposée par la Commission Éuropéenne et adoptée par le Conseil Éuropéen le 25 mars 2011. Elle est formulée comme suit :
- « À l'article 136, paragraphe 1, du TFUE, le point suivant est ajouté : Les États membres dont la monnaie est l'euro peuvent établir un mécanisme de stabilité pouvant, si nécessaire, être activé dans le but de préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble. L'octroi de toute aide financière en vertu du mécanisme sera soumis à de strictes conditionnalités. »
Il est précisé que la base légale de cette modification de l'article 136 du TFUE, via la procédure simplifiée, est fournie par l'article 48, paragraphe 6, du TUE. Or, cet article stipule, en son §6, alinéa 3, qu'une décision prise sous le régime de la procédure simplifiée « ne peut pas accroître les compétences attribuées à l'Union dans les traités. »
Les défenseurs du MES considèrent qu'ils n'y a pas accroissement des compétences de l'Union puisque, formellement, le MES ne serait pas une institution de l'Union. C'est jouer avec les mots et manipuler dangereusement les textes, car le traité créant le MES indique clairement que le MES implique la participation directe de la Commission Européenne, et, en cas de litige, celle de la Cour de Justice de l'UE, deux institutions de l'Union. En outre, le Commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires siègera dans l'instance dirigeante du MES en qualité d'observateur. C'est la Commission Européenne qui sera mandatée pour imposer à l'État concerné les conditions d'une intervention du MES. Il n'est pas contestable que le MES diminue les pouvoirs des États membres et augmente les compétences attribuées à l'Union, en particulier les pouvoirs de la Commission européenne. Le projet de loi soumis le 21 février à l'Assemblée nationale pour ratifier la modification à l'article 136 du TFUE vise donc à permettre une extension des compétences de l'Union Européenne en toute illégalité.
Un coup d'État
Qu'est-ce qu'un coup d'État ? C'est le remplacement d'un pouvoir légitime, issu du peuple, par un pouvoir qui ne l'est pas. Le transfert, en toute illégalité, à des autorités européennes et internationales qui ne sont soumises à aucun contrôle démocratique de pouvoirs qui relèvent pas nature de la souveraineté populaire s'apparente à un véritable coup d'État. Les gouvernants qui sont à la manoeuvre manifestent leur plus total mépris du respect des exigences démocratiques. Par des artifices de procédure, en interprétant abusivement des règles dont ils se moquent, ils se font les complices d'une entreprise de démantèlement de la démocratie et d'effacement d'un acquis fondamental dans l'histoire de l'humanité : la souveraineté du peuple.
Deux traités démocraticides
Avec le MES et le "Pacte budgétaire" (TSCG), les peuples qui ont déjà été dépossédés des choix en matière monétaire du fait de la manière dont est géré l'euro (en particulier, le statut et les missions de la Banque Centrale Européenne), seront désormais dépossédés de tout pouvoir en matière budgétaire. Rappelons que la démocratie est née progressivement du droit réclamé par les peuples de contrôler les dépenses des gouvernants. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, adoptée le 26 août 1789, en son article XIV, proclame que « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. » C'est ce droit fondamental qui leur est aujourd'hui enlevé. En violation d'une disposition inscrite dans la Constitution de la République : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 (...). »
Ceux qui approuveront les deux projets de loi soumis le 21 février approuveront le TSCG puisqu'ils sont étroitement liés. Les promesses de renégociation de ce dernier perdent leur peu de crédibilité si leurs auteurs approuvent le MES. Ces deux traités MES et TSCG confirment que la construction européenne s'est définitivement éloignée de l'idéal démocratique. Ces deux traités sont, contrairement à ce qu'affirme Hollande, étroitement liés. Ils alimentent l'un et l'autre transfert de pouvoir et perte de souveraineté rendant possible une totale mise sous tutelle financière et budgétaire des États et des peuples. La France est la première à engager la procédure de ratification du MES. Des mouvements d'opposition se lèvent dans plusieurs pays signataires qui interpellent les élus sur leur attitude future. En France, à ce jour, seuls Jean-Luc Mélenchon au nom du Front de Gauche et Jean-Claude Mailly, Secrétaire général de Force Ouvrière se sont prononcés clairement contre le MES et ont appelé les parlementaires à ne pas voter les textes soumis le 21 février.
Si ces deux textes soumis le 21 février sont adoptés, il est indispensable que soit saisi le Conseil constitutionnel. Y a-t-il, dans le Parlement du pays qui a donné au monde les progrès de 1789, 60 députés et sénateurs pour soumettre au respect de la Constitution des traités qui la violent ?