par Julie Lévesque
À lire les grands titres des médias, seul le gouvernement syrien est condamné par la récente résolution de l'ONU et responsable des violences en Syrie. Ce dernier a certes une part de responsabilité, mais qu'en est-il des groupes armés financés et armés par les pays de l'OTAN et des pays voisins de la Syrie hostiles au régime de Bachar Al-Assad?
Contrairement à ce qui est rapporté par la presse, la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU appelle « le gouvernement, les forces alliées et les groupes armés "à cesser immédiatement toutes violence ou représailles" ».
La presse occidentale ignore totalement la condamnation des forces alliées et des groupes armées et les violences perpétrées par ces groupes antigouvernementaux ne font jamais l'objet de reportages. Si l'ONU condamne tous les groupes responsables de la violence en Syrie, pour les médias mainstream, le gouvernement est le seul et unique responsable de toutes les victimes depuis le début des troubles :
A New York, l'Assemblée générale de l'ONU devait selon toute probabilité adopter jeudi une résolution non contraignante condamnant les violations des droits de l'Homme commises par le régime syrien [...]
De tels changements auraient pu satisfaire l'opposition il y a un an mais pas après onze mois d'une répression qui a fait plus de 5.400 morts, selon l'ONU. Le mouvement était initialement pacifique mais le pays menace de plus en plus de basculer dans la guerre civile, avec des accrochages quasiment quotidiens entre l'armée et des déserteurs. (AP, Syrie: l'ONU évoque de possibles "crimes contre l'humanité", Le nouvel Observateur, 16 février2012)
Cette partialité donne de toute évidence lieu à des incohérences. Ce texte dit d'une part que la « répression [...] a fait plus 5400 morts », ce qui sous-entend que le gouvernement est le seul responsable des violences. D'autre part on admet que « mouvement était initialement pacifique », donc cela signifie qu'il ne l'est plus. Si le mouvement n'est plus pacifique, c'est qu'il serait devenu violent. Or, n'importe quel gouvernement occidental répond à des actes violents, à juste titre, par la répression.
D'ailleurs, quantité de reportages indépendants font état depuis longtemps de violences et de meurtres commis à l'endroit de civils par les groupes armés anti-Assad. Pourtant, la répression de la violence par le gouvernement syrien est systématiquement présentée comme la répression de manifestants pacifiques, alors qu'à bien des endroits, ce sont les civils qui ont demandé au gouvernement d'intervenir afin de faire cesser les violences des groupes armés.
Il convient de rappeler que l'ONU a admis ne pas pouvoir vérifier les chiffres avancés quant au nombre de victimes en Syrie et que ces données sont basées sur des témoignages d'opposants. Une règle journalistique de base veut que des informations soient valables lorsqu'elles sont corroborées par deux sources indépendantes. Cette règle ne s'est pas appliquée durant l'insurrection armée en Libye et ne s'applique pas ici non plus. Les médias s'appuient largement sinon toujours sur une source, soit l'Observatoire des droits de l'homme basé à Londres.
L'exemple ci-dessous démontre à quel point les reportages occidentaux sont biaisés et contribuent à fabriquer le consensus en faveur d'une intervention « humanitaire » de l'OTAN :
L'Assemblée générale de l'ONU a adopté jeudi à une écrasante majorité, malgré l'opposition de Moscou et de Pékin, une résolution dénonçant la répression en Syrie, qui devrait accentuer l'isolement du régime de Damas, même si sa portée est surtout symbolique [...]
La résolution exige du gouvernement syrien qu'il mette fin à ses attaques contre sa population civile, soutient les efforts de la Ligue arabe pour assurer une transition démocratique à Damas et recommande la nomination d'un envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie [...]
La résolution adoptée "condamne fermement la poursuite des violations généralisées et systématiques des droits de l'homme et des libertés fondamentales par les autorités syriennes, comme l'emploi de la force contre des civils". Elle "exhorte le gouvernement syrien à (y) mettre immédiatement fin" et affirme que les responsables d'éventuels crimes contre l'humanité devront "répondre de leurs actes".( Syrie - L'Assemblée générale de l'ONU condamne massivement la répression, Le Point.fr, 17 février 2012.)
Il faut attendre le 7 e et dernier paragraphe de l'article pour lire ce qui suit :
Le texte "condamne toutes les violences, quelle que soit leur provenance", et "demande à toutes les parties (...), y compris les groupes armés, de mettre immédiatement fin à toutes les violences ou représailles". (Ibid.)
Encore une fois, l'incohérence. On dénonce les « attaques [du gouvernement] contre sa population civile », « l'emploi de la force contre des civils », mais on admet la présence de groupes armés sans qu'aucune violence ne leur soit reprochée et sans faire de lien avec la répression de cette violence par le gouvernement, laquelle est appuyée par les civils qui en sont victimes.
On glisse à la toute fin un mot sur les violences de toutes provenances, mais c'est trop peu trop tard. Les 6 premiers paragraphes du texte ont déjà fait le procès du gouvernement syrien en faisant abstraction de l'existence d'un soulèvement armé. Par ailleurs, les points de suspension sont édifiants, puisqu'on aurait dû y lire la condamnation de la violence des « forces alliées ».
Julie Lévesque