Par Chris Marsden
22 février 2012
Le soutien de l'Assemblée générale des Nation unies de l'appel de la Ligue arabe au président syrien Bachar al-Assad de quitter le pouvoir pour des raisons « humanitaires » rapproche un peu plus d'une intervention militaire. Le vote adopté par 137 voix contre12, avec 17 abstentions, est non contraignant mais donne le feu vert de l'ONU à la proposition de la Ligue arabe en faveur d'un changement de régime qui avait été bloqué au Conseil de Sécurité par la Russie et la Chine.
Face à l'opposition de Moscou et de Beijing, et compte tenu de la position stratégique de la Syrie au Moyen-Orient en tant qu'allié de l'Iran, Washington, Paris et Londres doivent avancer avec précaution. Toutefois, l'intervention dispose maintenant du « visage arabe » tant souhaité par le gouvernement Obama, d'une légitimité conférée par l'ONU et de l'autorité implicite de la doctrine de la « responsabilité de protéger » en vertu de laquelle la guerre avait été menée contre la Libye.
Plutôt qu'une intervention directe, de nombreuses figures politiques, des journaux et des organismes politiques préconisent d'armer l'Armée syrienne libre oppositionnelle en guise d'étape préparatoire et en proclamant des « zones tampon » et « des couloirs humanitaires. » Ceci requerrait un bombardement de l'OTAN piloté par un ou plusieurs mandataires locaux dirigés par la Turquie et les Etats du Golfe.
Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a dit mercredi que la France avait déjà entamé des négociations avec la Russie au sujet d'une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l'ONU sur la Syrie dans le but de créer des couloirs humanitaires. L'idée qui avait déjà été avancée de « couloirs humanitaires permettant aux ONG d'atteindre les zones qui font l'objet de massacres absolument scandaleux devraient être reprise au Conseil de sécurité, » a-t-il dit sur France Info.
Au Sénat américain, une résolution bipartisane fut déposée vendredi appelant le gouvernement Obama à fournir à l'opposition syrienne « un substantiel soutien matériel et technique ».
Ecrivant le 7 février dans le Guardian, Ian Black et Julian Borger ont souligné que le Conseil de sécurité nationale d'Obama a dit être en train de préparer un « décret présidentiel » consistant en « un décret-loi autorisant comme politique optionnelle des actions secrètes. »
La Turquie qui partage une longue frontière avec la Syrie et à partir de laquelle opèrent les directions de l'opposition politique et militaire, le Conseil national syrien (CNS) et l'Armée syrienne libre (ASL), aurait à jouer un rôle majeur dans une éventuelle attaque militaire. Sinan Ülgen, un ancien diplomate turc travaillant pour le Carnegie Endowment for International Peace, a dit qu'Ankara s'était déjà positionné pour conduire une force régionale soutenant une opération de l'OTAN. La Turquie avait « brûlé ses ponts » en misant « fortement sur un changement de régime, » a-t-il affirmé.
Le Qatar, l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et la Jordanie apporteraient tous leur soutien, y compris une formation militaire et des armes, comme ils l'avaient fait dans le cas de la Libye.
Le Financial Times s'est rallié à cette option et a commencé des efforts à la fois ouverts et cachés pour renforcer le CNS et l'ASL. Le 13 février, un éditorial insistait pour dire que « chaque effort doit être fait pour développer l'unité et la cohérence programmatique de ce qui est à ce jour un camp rebelle pour l'instant querelleur. » L'article poursuivait en disant que le fait d'armer l'ASL « nécessiterait rapidement d'autres mesures telles des zones protégées pour les réfugiés qui devront alors être défendus, y compris au moyen d'un bombardement aérien. »
Le Financial Times a aussi ouvert ses pages à Radwan Ziadeh, qui a publié le 15 février une rubrique intitulée « Le Kosovo montre comment l'Occident peut intervenir en Syrie. »
« Les Etats-Unis ont été en mesure d'aider à créer un Kosovo indépendant en dehors du Conseil de sécurité de l'ONU, sans perdre un seul soldat américain, » a-t-il écrit. « Une stratégie d'intervention équilibrée inclurait ce qui suit. D'abord, comme au Kosovo, la communauté internationale - qu'il s'agisse d'une mission conjointe ONU-Ligue arabe ou d'une coalition des 'Amis de la Syrie' - doit désigner des zones sûres qu'il convient de protéger par des frappes aériennes. »
« Une défense basée sur l'aviation venant d'une telle coalition pourrait aussi servir à protéger les couloirs humanitaires, » a-t-il ajouté.
Ziadeh fait partie d'un nombre de représentants du CNS à être cités par les médias pour dépeindre l'intervention militaire comme une exigence populaire en Syrie. Tout indique cependant une opposition majoritaire à une intervention même parmi de nombreuses forces opposées à Assad alors que le soutien encore substantiel pour le régime baathiste est du à la crainte d'une intervention occidentale dans le but de mettre en place un régime sunnite qui persécuterait les minorités religieuses.
Ziadeh est un agrégé supérieur à l'Institut pour la paix des Etats-Unis. Il est le co-fondateur du Centre syrien d'Etudes politiques et stratégiques à Washington dont il a assuré la direction. Parmi ses autres fonctions figurent des interventions à Chatham House et à l'Institut royal des Affaires internationales.
Le « modèle Kosovo » impliquait la construction de l'Armée de libération du Kosovo (Kosovo Liberation Army, KLA) en un mandataire militaire américain utilisé pour déstabiliser la situation au moyen d'une campagne terroriste en fournissant ensuite un véhicule pour une intervention ouverte. Le CNS et l'ASL servent conjointement la même fonction, tout comme l'avait fait le Conseil national de Transition en Libye.
Ceci requiert de grands efforts pour adapter l'ASL au but recherché. Jeffrey White, un spécialiste à l'Institut pour la politique au Proche-Orient à Washington, a dit au magazine Foreign Policy, que le nombre des forces de l'ASL se situait entre 4.000 et 7.000, nettement moins que les 40.000 qu'elle revendique. Son commandement en Turquie n'a qu'un contrôle opérationnel restreint et il existe une lutte perpétuelle quant à qui le dirige - le colonel Riad al Assad qui est soutenu par la Turquie ou le transfuge de haut rang du régime, le général Moustapha al-Cheikh.
Lors d'une conférence de presse vendredi à Paris, le président Nicolas Sarkozy et le premier ministre britannique, David Cameron, ont insisté pour exiger l'unité de l'opposition syrienne. Sarkozy a dit qu'ils ne pouvaient pas faire la révolution en Syrie sans que l'opposition syrienne fasse maintenant l'effort de s'unir. Il a poursuivi en disant qu'en Libye il aurait été impossible d'avoir la révolution sans les Libyens et qu'il ne sera pas possible d'avoir une révolution syrienne sans que l'opposition syrienne fasse un effort de s'unir afin qu'ils puissent l'aider plus.
Une réunion a à présent été organisée du Groupe des amis de la Syrie, dirigée par Juppé et le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, dans le but de lutter contre les divisions qui existent au sein de l'ASL en la plaçant fermement, grâce au CNS, sous la direction de l'Occident.
Malgré ses divisions internes, l'ASL et les agents de diverses puissances régionales opérant sous sa tutelle sont depuis des mois en train de monter une opération de déstabilisation de type KLA. Le journaliste Nir Rosen, qui a récemment passé un certain temps avec des combattants de l'opposition, a accordé une interview révélatrice à Al Jazeera qui est propriété du Qatar et qui soutient farouchement le soulèvement anti-Assad. Lors de l'interview, il a clairement fait savoir que l'opposition avait pris les armes « très tôt. » Il a remarqué que « dès l'été il y avait régulièrement des embuscades contre des agents de sécurité » alors que le mouvement « se transformait en une insurrection classique. »
L'opposition reçoit des fonds de la « diaspora syrienne qui est liée à des mouvements islamistes tels les Frères musulmans ou à des religieux conservateurs dans le Golfe [qui] envoient également de l'argent à certains groupes, » a-t-il dit.
Dans un commentaire allant à l'encontre d'une grande partie de la propagande utilisée pour justifier l'intervention, il a ajouté, « Tous les jours l'opposition publie un bilan des victimes, généralement sans préciser les raisons des décès. Nombre de ceux qui auraient été tués sont en fait des combattants de l'opposition mais la cause de leur décès est cachée et ils sont décrits dans les rapports comme étant d'innocents civils tués par les forces de sécurité, comme s'ils n'étaient que de simples manifestants ou de gens se trouvant à leur domicile. »
(Article original paru le 18 février 2012)