11/03/2012 info-palestine.net  7min #64662

 Ziad Medoukh : Trois ans après, qu'est ce qui a changé à Gaza ?

13 janvier 2009 : Hibba al-Najjar

PCHR Gaza

« J'avais réussi, au cours des deux premières années à palier la perte de ma mère, mais plus maintenant. Je ressens de plus en plus son absence et j'en souffre énormément. Quand je vois les filles de mon école accompagnées de leurs mères ou parler d'elles, le souvenir de ma mère se ravive. Plus que jamais, j'ai besoin de sa présence à mes côtés. »

Hibba al-Najjar, 17 ans, assise en face de sa maison dans le village de Khuza'a

Après deux jours passés à détruire les maisons, l'armée israélienne a commencé, tôt dans la matinée du 13 janvier 2009, à bombarder le village de Khuza'a et ses environs. L'armée avait à cet effet usé d'obus d'artillerie hautement explosifs et au phosphore blanc et avait placé ses bulldozers, ses chars et ses snipers aux abords du village.

A peine 7h00, les soldats ont donné l'ordre aux résidents de l'Est de Khuza'a d'évacuer les lieux et avancer vers le centre du village. Les habitants se sont exécutés, parmi eux, Rawhhiya al-Najjar (47ans) qui était à la tête d'un groupe d'une vingtaine de femmes. Elle marchait brandissant un drapeau blanc, mais à peine le groupe a-t-il dépassé le 1er coin qu'un soldat israélien a tiré, tuant Rawhiya. Yasmin al-Najjar (23 ans) qui était aussi dans le groupe avait tenté d'éloigner Rawhiya de la route ; elle avait été blessée par deux balles.

Le même sort a été réservé à l'équipe médicale qui tentait d'évacuer le corps de Rawhiya. Quand les tirs ont commencé, le personnel a dû se réfugier dans une maison voisine et c'est seulement après plus de dix heures qu'ils ont réussi à évacuer le corps inanimé dans la rue. Hiba, la fille de Rawhiya et âgée de 17 ans retrace la scène de l'assassinant de sa mère et se pose beaucoup de questions dans une tentative de donner un sens à ce qui s'était passé par cette sinistre matinée de janvier. Elle raconte en s'aidant de ses mais pour mieux illustrer les faits : « Le bruit de la balle tiré dans la tête de ma mère raisonne toujours dans mes oreilles. J'étais à ses côtés lorsque le soldat a fait un pas sur le seuil de la maison et lui avait tiré dessus. L'image du soldat ne s'effacera jamais de ma tête. Je n'arrête pas de chercher à comprendre pourquoi ont-ils tué ma mère alors qu'elle tenait un tissu blanc dans la rue, et pourquoi je n'ai pas été assassinée au moment où je me trouvais sur le toit de notre maison, tôt dans la matinée » Hiba est l'enfant unique de Rawhiya. Aujourd'hui, elle vit avec son père Naser, sa seconde épouse, Nuha et leurs trois enfants. En effet, Naser avait épousé Nuha parce que Rawhiya ne pouvait plus enfanter. Et c'est d'ailleurs Rawhiya qui l'en avait convaincu. Le père de famille s'est retrouvé sans emploi à la suite de la fermeture complète imposée à la Bande de Gaza. A présent, la vie de la famille dépend des aides et des partages agraires avec des proches dont les terres ne se trouvent pas loin du village, soit près de la frontière avec Israël. Après l'incident, la famille de Hiba est restée deux semaines loin de la maison qui, selon eux, était désormais un lieu périlleux. Ils ont regagné leur maison après deux mois mais n'y passaient que la journée. Dès qu'il fait noir, ils partent passer la nuit chez des proches qui habitent une zone plus sécurisée.

La perte de la maman hante l'esprit et le quotidien de Hiba. De cette triste journée, la jeune fille vit avec les cauchemars, les insomnies, le stress et l'incontinence urinaire nocturne. Elle avoue : « Avant, je dormais dès que je posais ma tête sur l'oreiller. Maintenant, je ne peux tout simplement plus dormir la nuit » Son père l'a même surprise en train de marcher en dormant et parler de sa mère. Plus tard, Hiba a commencé à souffrir de troubles de la vision et des vertiges. Il y a quelques mois, la jeune fille a eu une chute de cheveux sévère et son père l'a conduite à l'hôpital où le médecin lui a conseillé de s'éloigner de la Bande de Gaza. Naser envisage de la prendre en Egypte, l'été prochain pour quelques jours de repos, cependant, le blocus et les coûts élevés du déplacement n'arrangent pas les choses. A l'idée de sortir de Gaza, Hiba répond qu'elle le voudrait bien mais « s'éloigner ne m'aidera sans doute pas à oublier » précise-t-elle. Et à l'instar de tous les enfants de Gaza, le rendement scolaire de Hiba a été affecté par le traumatisme ayant suivi la perte de sa mère. Elle explique : « J'ai été très brillante car ma mère m'aidait à faire mes devoirs. Je sais qu'à présent, mes notes ont chuté et je ne peux plus me concentrer en classe. Quand j'ouvre un livre, je suis prise de fatigue et je me rappelle ma mère »

Elle poursuit : « Même si je me prépare bien pour les examens, j'oublie tout le jour J ». Hiba est aujourd'hui triste lorsqu'elle constate sa régression à l'école, elle qui aimait tant les matières de la religion Islamique et la géographie. Elle est en classe finale mais n'ose pas penser à ce qu'adviendra après l'examen final en été car, avoue-t-elle : « Je ne veux pas réfléchir sur le long terme ». Les séquelles de la guerre sur Gaza sont multiples, comme les traumatismes qui affectent grands et petits. Le mois de janvier étant maudit, Hiba ne supporte pas le mois au cours duquel sa maman lui a été arrachée. Toutefois, elle précise que le 13 janvier ressemble aux autres jours car « Tous les jours sont pareils, et les souvenirs de ma mères ne sont pas liés à une date précise ».

Quand elle se sent triste, Hiba prend une chaise et s'assoit à l'extérieur de la maison pendant un moment. Des fois, elle discute avec des proches ou avec sa meilleure amie qui est aussi sa voisine et qui réussit à lui apporter soulagement et apaisement. Pour cela, Hiba est contente d'avoir une confidente qui la soutient « Je peux tout lui raconter. Heureusement qu'elle est là, autrement, je me serais complètement effondrée du fait du poids de ma perte ». Et c'est justement cette perte qui empêche Hiba de se projeter vers l'avenir et la maintient prisonnière de ses souvenirs douloureux et de ce 13 janvier 2009. Elle confie dans des mots interrompus à chaque fois par des pauses : « Je revois depuis ce matin l'image du corps de ma mère gisant dans la rue » En effet, chaque petit détail quotidien lui rappelle Rawhiya, sa vie avec elle et son avenir sans elle « A chaque fois que je croise une dame âgée dans la rue, je me demande si en vieillissant, je réussirai à garder une image et un souvenir net de mère ». Informée sur la plainte du PCHR auprès des autorités israéliennes pour l'assassinat de sa mère, Hiba n'y attache pas une grande importance et explique : « Rien ne pourra compenser la perte et l'absence de ma mère. Ceci étant, je souhaite seulement que le soldat qui lui a tiré dessus soit poursuivi en justice ». Pour rappel, le PCHR avait en date du 23 juin 2009, soumis une plainte pénale auprès des autorités israéliennes pour le compte de la famille al-Najjar. A ce jour, aucune réponse n'a été reçue.

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