Sergueï Kiritchouk
Serguei Kiritchouk / Youtube
On en parle très peu, mais il y a parmi les Ukrainiens qui s'opposent à Kiev et au mouvement de Maïdan, à côté des populations pro-russes de l'Est du pays, beaucoup de militants de gauche issus de toutes les régions. Les socialistes ukrainiens dénoncent la toute-puissance des oligarques récemment désignés gouverneurs par Kiev, et témoignent de persécutions organisées contre eux. À Odessa, les activistes de gauche étaient également très présents dans le mouvement de protestation Antimaïdan, dont les membres ont été victimes de l'incendie meurtrier du 2 mai. La revue en ligne Svobodnaïa Pressa a interviewé Sergueï Kiritchouk, leader du mouvement socialiste ukrainien Borotba, sur la situation de la gauche dans l'Ukraine d'aujourd'hui.
Svobodnaïa Pressa : Cet hiver, les chaînes télévisées du monde entier ont montré les milliers de participants aux manifestations de Kiev. C'était très inspirant. Pourquoi Borotba n'a pas rejoint le mouvement de protestation à ce moment-là ?
Sergueï Kiritchouk : Dès le départ, nous n'avions aucune illusion sur le caractère politique de ce mouvement. Même si des milliers de gens sont alors descendus dans la rue, Borotba n'a jamais oublié que les manifestations de masse peuvent aussi se rassembler sous des drapeaux réactionnaires. À l'époque, nous avons largement expliqué, et notamment aux camarades européens, que les néonazis constituaient une part importante de ce mouvement. Beaucoup de gens disaient qu'il ne s'agissait pas d'un problème si grave, parce que les nazis n'étaient pas si nombreux, qu'ils ne constituaient qu'une minorité. Mais c'était une minorité active et organisée. Une minorité qui a imposé son ordre du jour à l'ensemble du mouvement.
Et ceux des militants de gauche qui ont tenté de participer à ce mouvement ont immédiatement, dès le premier jour, subi des attaques et des agressions sur Maïdan. Quand les membres de l'organisation trotskiste Opposition de gauche sont descendus dans la rue avec des exigences sociales (pas socialistes, sociales), ils ont sur-le-champ été attaqués. Ils ont été insultés, accusés d'être pour le Goulag, pour le totalitarisme, etc..
Maïdan, en tant que mouvement, n'a jamais formulé d'exigences sociales. Il n'a jamais réclamé la redistribution des richesses nationales au profit de la classe moyenne ou des couches les plus pauvres.
Certains de nos camarades ont pourtant tenté de participer à Maïdan. Les frères Levine, par exemple, sont allés dans une rue voisine de la place Maïdan, la rue Krechtchatik, pour distribuer des tracts syndicaux et appeler au développement de la classe ouvrière. Sans afficher le moindre drapeau rouge ni l'ombre d'une tentative de propagande socialiste. Au final, Anatoly Levine a eu la hanche brisée, et on a aspergé Denis de gaz. Ce qui fait que pour nous, la nature de ce mouvement était très claire dès le départ.
Svobodnaïa Pressa : Dis-moi, quelle est ta langue maternelle ? Tu es originaire de quelle partie du pays - orientale ou occidentale ?
S.K. : Beaucoup le savent : je viens de l'Ouest du pays, mes parents sont de Volhynie, ma langue maternelle est l'ukrainien. Et je peux dire avec certitude que de très nombreux Ukrainiens, même dans l'Ouest du pays, sympathisent avec le combat du Sud-Est. Dans l'Ouest aussi, il y a beaucoup de mécontents du régime de Kiev, mais il y règne une telle atmosphère de terreur que les gens ont tout simplement peur d'exprimer leur opinion, ils se taisent. Dans le même temps, ils regardent avec espoir ce qui se passe dans le Sud-Est, ce combat. Et dans le Sud-Est, les citoyens de langue ukrainienne ont aussi participé au mouvement de protestation. Il serait parfaitement erroné de réduire ce mouvement à un facteur ethnique, culturel ou national.
S.P. : Et que penses-tu de l'ancien président Ianoukovitch ? Est-il votre allié ?
S.K. : Tout le monde sait que nous étions extrêmement critiques à l'égard de Ianoukovitch et que nous avons toujours combattu son régime. Mais évidemment, nous le combattions depuis des positions totalement différentes de celles que formule Maïdan aujourd'hui. Nous étions pour un tournant socialiste en Ukraine, contre le régime monstrueux de l'oligarchie qu'avait bâti Ianoukovitch.
Il faut aussi se rappeler que Ianoukovitch était un politicien très pro-occidental. Il essayait de plaire à l'Occident en tout. Sa seule « erreur », du point de vue de l'Occident, a été de demander un report de six mois pour la signature de la zone de libre-échange avec l'UE. Et c'est immédiatement après ça qu'a commencé le mouvement de protestation que l'on connaît sous le nom de Maïdan.
S.P. : Qu'est-ce qui ne va pas avec le pouvoir actuel de Kiev ? Pourquoi n'essayez-vous pas d'établir le dialogue avec eux ?
S.K. : Il se trouve que le gouvernement autoproclamé n'est absolument pas prêt au dialogue. Le seul argument qu'ils utilisent, c'est la force et les armes. Et aujourd'hui, on peut voir que le mouvement dans le Sud-Est a répété le chemin de Maïdan du début à la fin. Il a commencé, au départ, par de petites manifestations, puis ces manifestations ont grandi, sont devenues massives. Mais le pouvoir est resté sourd aux exigences du Sud-Est. Alors que ces exigences étaient simples et compréhensibles pour n'importe qui. Il s'agit d'une large autonomie pour la région, de la reconnaissance de ses droits sociaux, linguistiques, culturels. Il s'agit du retrait de l'oligarchie depuis le pouvoir. Mais Kiev a désigné les hommes les plus riches du pays en tant que gouverneurs des régions du Sud-Est. Alors les gens du Sud-Est, exactement de la même façon que sur Maïdan, ont commencé d'occuper des bâtiments administratifs pour exprimer leur protestation. Et quand on a commencé de lancer contre eux les bataillons des forces spéciales, ils sont entrés peu à peu dans la clandestinité - et c'est précisément ainsi qu'a commencé cette guerre de partisans.
S.P. : Quelle doit être la réaction de l'Europe démocratique, de la société civile, des partis démocratiques face à ce qui se passe en Ukraine ?
S.K. : J'ai dit il y a deux jours au Bundestag qu'ils devaient faire pression sur leurs gouvernements pour raisonner Kiev. Il faut mettre fin à cette terreur sanguinaire, à cette « opération anti-terroriste ». Parce qu'ils sont tout simplement en train de tirer sur des gens sans armes. Nos collègues occidentaux des partis de gauche ne peuvent pas faire pression sur les médias mais, au moins, ils sont en mesure d'informer la société sur ce qui se passe en réalité aujourd'hui en Ukraine, de fournir une analyse indépendante des événements et d'exiger le respect des droits et libertés humains élémentaires en Ukraine.
S.P. : Les médias occidentaux décrivent majoritairement les protestations dans le Sud-Est du pays comme un mouvement inspiré et soutenu par la Russie. À quel point cela correspond-il à la réalité ?
S.K. : Cette hystérie forcenée ne correspond évidemment pas à la réalité. Les gens ici, dans le Sud-Est, se soulèvent pour leurs droits sociaux et économiques. Il y a une composante anti-oligarchique, anticapitaliste très forte dans ces protestations. Toutes les activités d'opposition, toutes les protestations sont décrites par les médias de Kiev comme étant le fait des agents de Poutine. Sachant qu'à les en croire, absolument tout le monde est un agent de Poutine. Si tu critiques le pouvoir de Kiev, tu es un agent de Poutine. Si tu participes à des manifestations de masse pour les droits socio-économiques, tu es un agent de Poutine. Si un quelconque politicien au parlement européen ou dans un des parlements nationaux de l'Europe se permet des remarques critiques à l'encontre du nouveau pouvoir de Kiev, il est sur-le-champ accusé d'être un agent de Poutine. De plus, même si des néonazis, à Kiev, font un hold-up armé ou attaquent des civils, ils sont aussi désignés comme étant des agents de Poutine, cherchant à créer des images négatives pour la télévision russe. Ainsi, quoiqu'il puisse se produire de négatif ou de gênant pour le gouvernement de Kiev, ce sont toujours les « agents de Poutine » qui sont coupables. Parce que pour Kiev, Poutine contrôle absolument tout et tous - et en Ukraine, et en Europe, et partout.
S.P. : Y a-t-il un financement en provenance de Moscou ?
S.K. : Non. Le mouvement dans le Sud-Est, en termes d'équipement, de soutien technique et financier, est incomparable à Maïdan. Victoria Nuland a dit que les USA avaient consacré 5 milliards de dollars à la promotion de la démocratie en Ukraine. Mais dans l'Est de l'Ukraine, il est visible que le mouvement de protestation ne dispose pas de soutien financier. Du moins dans les villes où nous avons été actifs - à Kharkiv et Odessa -, je n'ai vu aucun financement de la part de la Russie ou de l'administration de Poutine.
S.P. : On vous qualifie souvent de séparatistes ou d'« activistes pro-russes ». Que pensez-vous de l'idée d'un rattachement des régions sud-est du pays à la Russie ?
S.K. : Le mouvement Borotba s'est toujours prononcé pour l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Mais pour une intégrité territoriale impliquant le respect des droits du peuple du Sud-Est. Nous parlons d'autonomie budgétaire, sociale, culturelle. Mais malheureusement, le pouvoir de Kiev fait tout pour diviser le pays. Ils prennent en permanence une quelconque décision scandaleuse, accusent tous ceux qui ne sont pas d'accord avec eux d'être des séparatistes. Pour nous, le véritable séparatiste, c'est le gouvernement de Kiev. Ils ont déclenché une lutte contre le peuple.
Tout en ne reconnaissant pas l'idée de la fédéralisation du pays, les oligarques, par exemple, créent des armées privées. De cette façon, ils empruntent la voie féodale, quand chaque suzerain possédait son propre détachement. Ils créent ces formations armées avec des sources de financement obscures, et sans le moindre contrôle citoyen. C'est-à-dire qu'en se positionnant contre la fédéralisation, ils se positionnent pour la féodalisation du pays.
Si la Russie n'était pas sous un régime dirigé par les oligarques, si des réformes étaient conduites en Russie, même pas socialistes, mais sociales, qui iraient dans l'intérêt de larges couches de travailleurs, alors beaucoup de gens en Ukraine seraient intéressés à une alliance très étroite avec la Russie. Et tout de même, de nombreux citoyens ukrainiens regardent aujourd'hui avec espoir vers la Russie. Mais il ne s'agit même pas ici de « tendances pro-russes » - simplement de protéger leur vie, la stabilité, la paix sur le territoire des régions sud-est.
S.P. : Qu'est-ce que toi et tes camarades pensez du président Vladimir Poutine ? Le considérez-vous comme un allié ? Que pensez-vous de l'opposition russe ?
S.K. : Nous avons toujours été des opposants de Poutine. Vous savez que nous avons des liens étroits avec l'organisation russe Front de gauche, qui se trouve dans l'opposition radicale au président Poutine. Et nous avons toujours soutenu nos camarades quand ils subissaient des répressions. Nous avons fait le piquet devant l'ambassade de Russie et organisé d'autres actions de solidarité. Nous avons soutenu les prisonniers de l'affaire Bolotnaïa, aidé les activistes russes à se cacher en Ukraine pour fuir les répressions politiques. Personne ne peut nous accuser d'être des alliés de Poutine.
S.P. : Peux-tu nous dire à quoi ressemble, de l'intérieur, le mouvement de protestation de masse dans le Sud-Est ? Qu'est-ce qui le rapproche de Maïdan et qu'est-ce qui l'en distingue ?
S.K. : Les actions de masse sont déjà du passé. Le gouvernement de Kiev a créé une telle atmosphère de peur et de terreur que beaucoup ne se décident même plus à descendre dans la rue. Mais quand ils le faisaient, on pouvait observer deux grandes composantes. La première - ce sont des citoyens qui voulaient une collaboration et une union maximales avec la Russie. La seconde, c'était un mouvement de tendance anticapitaliste, anti-oligarchique. Des gens qui étaient révoltés par le fait que le gouvernement de Kiev n'a pas la moindre intention de conduire des réformes dans l'intérêt du peuple.
Mais même parmi ce qu'on appelle la composante « pro-russe », il y avait des gens très divers. Il y en avait qui insistaient sur notre communauté historique et culturelle avec le peuple de Russie. Mais il y en avait d'autres qui défendaient une vision très pragmatique. Ce sont de jeunes ouvriers, des ingénieurs, qui veulent travailler dans les entreprises de pointe, aujourd'hui orientées vers le marché russe. Des gens qui ne veulent pas devenir des « travailleurs migrants », contraints de parcourir le monde à la recherche de malheureux gains.
S.P. : Début mai, le monde entier a été ébranlé par la tragédie à Odessa...
S.K. : Il me semble que le massacre d'Odessa est une question qui doit se tenir au centre de la politique européenne et mondiale. La tragédie d'Odessa est la quintessence de ce qui se passe en Ukraine. Beaucoup de politiciens européens se bornent à dire : « C'est une question très complexe et très embrouillée ». Mais ce n'est pas une réponse. De la même façon qu'il ne suffit pas de dire que les deux côtés sont coupables, comme l'assurent certains médias ukrainiens.
Pour commencer, il faut comprendre que le conflit ne se limitait pas à l'affrontement de deux camps. Il y avait sur place des néonazis et des supporters de football, et des gens qui protestaient contre le régime de Kiev. Mais il y avait encore la police, qui est contrôlée par le gouvernement. C'est-à-dire que trois parties au moins participaient au conflit.
Le 2 mai, des supporters de football et des détachements des forces d'autodéfense de Maïdan ont commencé d'arriver à Odessa. Ils voulaient organiser ce qu'on appelle la Marche pour l'unité de l'Ukraine, qui s'est déjà terminée, dans d'autres villes, par des bagarres sanglantes. D'où une première question très sérieuse au gouvernement de Kiev : pourquoi, dans des conditions de guerre civile, n'ont-ils pas interdit aux nationalistes de défiler ?
Deux mille personnes ont été amenées à Odessa depuis différentes villes d'Ukraine. Certaines étaient armées. Autre question au gouvernement : pourquoi ont-ils laissé passer une telle concentration de gens armés dans la ville ?
Ensuite, il y a eu l'attaque contre les activistes de la Marche pour l'unité de l'Ukraine. Ils ont été agressés par des inconnus, masqués et portant des rubans de scotch rouge au bras. Ces hommes ont agi avec le concours de la police, qui est sous le contrôle de Kiev. Conséquemment, nouvelle question : et qui dirige la police ? Évidemment pas les activistes du mouvement antigouvernemental...
Dans le campement de l'opposition, sur Koulikovo pole, il y avait principalement des gens âgés, des femmes, des protestataires pacifiques qui n'avaient pas d'armes. Ils se sont réfugiés dans la Maison des syndicats. Les néonazis ont mis le feu à ce bâtiment, beaucoup ont brûlé vifs, beaucoup sont morts en sautant par les fenêtres, et beaucoup ont été achevés par des coups quand ils étaient déjà à terre.
À la Maison des syndicats, nous avons perdu un camarade, Andreï Brajevsky. Il a sauté du deuxième étage du bâtiment en feu et il était encore vivant, mais les fascistes l'ont frappé à mort avec des bâtons. Sa mère se trouvait sur place à ce moment-là. Elle a vu un autre des gars se jeter de la fenêtre, puis les fascistes le frapper à terre. Alors, elle s'est jetée sur lui et l'a couvert de son corps - et elle l'a sauvé. Elle ne savait pas qu'à cette minute même, son fils aussi était roué de coups par les fascistes, et qu'il n'en réchapperait pas.
Il ne suffit pas de constater qu'une « tragédie » a eu lieu. Ce dont il s'agit, c'est d'un massacre planifié, très bien pensé et organisé, en plein centre d'une des plus grandes villes d'Ukraine.
S.P. : Le 7 mai, à Moscou, le président suisse et Vladimir Poutine ont annoncé un nouveau plan de pacification de la situation en Ukraine. A-t-il un avenir ?
S.K. : Avant ça, il y avait eu les accords de Genève, au contenu semblable. Mais il était évident que le pouvoir de Kiev n'avait pas l'intention de les respecter, et même s'ils en avaient eu l'intention, ils n'en avaient absolument pas la force. Parce qu'il faut savoir une chose : quand on parle de la nécessité de désarmer toutes ces bandes néonazies, on doit comprendre que le gouvernement de Kiev n'a aucun contrôle sur la plupart d'entre elles, et ne dispose pas de troupes fidèles qui pourraient s'en charger. Le gouvernement de Kiev est lui-même otage de ces bandes, et il ne peut rien en faire.
S.P. : Que penses-tu de l'élection présidentielle du 25 mai ?
S.K. : Nous ne reconnaissons pas cette élection, vu qu'elle est organisée par un gouvernement autoproclamé, qui foule totalement aux pieds les droits et les procédures. Ce gouvernement a initié et introduit des corrections à la législation, selon lesquelles cette élection pourra être considérée comme ayant bien eu lieu même si elle ne se déroule que dans un seul bureau de vote ! Peut-on considérer une telle approche comme démocratique ? Nous avons à de nombreuses reprises appelé les candidats à se retirer de l'élection. Malheureusement, le Parti communiste d'Ukraine considère qu'il doit y participer, leur candidat se présente. Mais nous, nous ne voulons pas prendre part à cette farce.
S.P. : Et que penses-tu des référendums de Donetsk et de Lougansk ?
S.K. : Au départ, nous étions assez critiques envers ces référendums, nous estimions qu'il fallait, avant de les organiser, attendre une certaine stabilisation de la situation. Mais dans les conditions actuelles de violence et de terreur, nous comprenons ceux qui ont organisé et participé à ces référendums. La proclamation d'une république dans le Donbass, ce n'est pas le résultat d'une quelconque action de Poutine - mais la conséquence directe des agissements du gouvernement de Kiev qui, par ses mensonges et son cynisme, surpasse tous les pires spécimens de propagande fasciste.
S.P. : Quelles erreurs avez-vous commises dans la lutte politique ?
S.K. : Le mouvement Borotba, qui s'est toujours orienté vers la mobilisation massive de la classe ouvrière et de la jeunesse, supposait que nous avions encore, à venir, quelques années de démocratie relative, que nous nous trouverions dans des conditions où, d'une façon ou d'une autre, les droits au rassemblement pacifique, à la liberté de la presse seraient respectés. Malheureusement, ce calcul s'est avéré être une erreur. Nous n'étions pas préparés à la terreur directe. Et notre erreur est probablement de nous être retrouvés, dans ces conditions, sans armes. En pratique, notre organisation est aujourd'hui défaite dans tout le pays. Ces derniers jours, des répressions ouvertes ont commencé contre les forces de gauche. Notre bureau de Kharkiv a été attaqué par des inconnus en uniformes noirs, qui ont emporté tout ce qui s'y trouvait : drapeaux rouges, amplis, projecteur, tout notre équipement d'agitation. Le travail de l'organisation dans la ville est bloqué. À Odessa, nous avons été informés de l'arrestation imminente du leader local de Borotba, Alekseï Albou, qui se présente à la mairie. Il a été contraint de quitter la ville. À Kiev, une perquisition a été menée dans l'appartement d'Andreï Mantchouk, qui est le plus célèbre journaliste de gauche en Ukraine. Des hommes armés de fusils automatiques ont fait irruption chez lui. Généralement, nous nous trouvons tous, aujourd'hui, en situation illégale. Une partie de nos camarades ont quitté temporairement l'Ukraine. Ceux qui sont restés vivent dans l'illégalité, et nous leur avons demandé de se garder de toute activité publique et de se concentrer sur le travail illégal.
Je suis moi-même actuellement à Athènes, où j'ai participé à une conférence sur les « Menaces du fascisme en Europe ». Je ne prévoyais pas de quitter l'Ukraine pour longtemps. Mais le 9 mai, j'ai atterri à Berlin pour prendre part à une conférence en Allemagne. Et là-bas, j'ai été informé de ma possible arrestation, et j'ai donc décidé de rester ici un moment.
Les nazis ont déjà établi des listes des « ennemis de la nation ukrainienne », et s'apprêtent à faire subir des répressions à tous ceux qui y figurent. Et ces listes mentionnent quasiment tous les militants de Borotba, même un peu actifs et repérés. Mais elles mentionnent aussi des gens qui y figurent par hasard. C'est-à-dire que des centaines et des centaines de gens sont menacés, en danger... Aujourd'hui, les autorités aussi sont en train d'établir leurs listes de suspects, et je pense donc qu'au cours des prochains mois, l'Ukraine va vivre dans une atmosphère de terreur de droite. Mais nous devons en passer par-là et y faire face. Nous n'avons pas d'autre choix.
SOURCE ORIGINALE : svpressa.ru