09/01/2015 mondialisation.ca  8min #94390

 Attentat à Charlie Hebdo

Douze morts dans un attentat terroriste contre Charlie Hebdo à Paris : Que s'est-il réellement passé?

Par  Alexandre Lantier et  Bill Van Auken

Douze personnes sont mortes et huit blessées, dont quatre personnes dans un état très grave, après une attaque réactionnaire hier matin par un groupe d'hommes masqués, armés de kalachnikovs, de gilets pare-balles et d'un lance-grenades contre le bureau du journal satirique Charlie Hebdo à Paris. Les dessinateurs Charb, Cabu, Tignous, et Wolinski sont parmis les morts.

Des protestations eurent lieu contre les tueurs à Paris, Toulouse, Strasbourg, et dans d'autres villes de France et d'Europe, y compris Londres, Berlin et Rome.

Hier soir, la police a annoncé qu'ils avaient identifié trois suspects. NBC News a cité des responsables américains qui disaient que l'un d'eux était mort et que les deux autres étaient détenus. La police indiquait qu'ils s'appellaient Said et Cherif Kouachi, deux frères, tous deux Français et trentenaires, et Hamyd Mourad, âgé de 18 ans, de nationalité inconnue.

Cette déclaration soulève plus de questions qu'elle ne résout. Cherif Kouachi avait été condamné en 2008 sur des accusations de terrorisme, écopant d'une peine de trois ans ;il aurait essayé d'envoyer des Français en Irak combattre l'occupation américaine. A l'époque, il a dit à l'Associated Press qu'il avait été poussé à agir par des images de torture à la prison américaine à Abu Ghraib.

Selon les informations de la presse, il aurait été étroitement surveillé par les services secret français. S'il a en fait dirigé l'assaut contre Charlie Hebdo, comme le prétend la police, il reste à voir comment un pareil individu aurait pu obtenir des armes automatiques et organiser une attaque professionnelle et mortelle au milieu de Paris sans se faire détecter.

De plus, les autorités françaises savaient que l'hebdomadaire était une cible. Sa rédaction avait été placé sous la garde de la police quand il fut incendié en 2011 après la publication de caricatures du Prophète Mahomet. Charb était sous protection policière, ayant été répertorié dans une liste d'hommes à abattre établie par Al Qaeda. Néanmoins, les hommes armés ont réussi à accéder aux locaux de l'hebdomadaire peu avant 11h en menaçant un de ses employés.

L'expérience démontre que l'identité des assassins et des forces politiques qui les ont commandités sont inévitablement plus complexes qu'il ne paraît. Cependant, les fins politiques auxquelles servira cette atrocité étaient déjà claires avant même que des suspects soient nommés. Un tel crime sanglant renforcerait les tendances politiques les plus réactionnaires en Europe et à travers le monde.

C'était la conclusion immédiate du New York Times, qui a conclu que le meurtre de masse « accélérerait certainement la montée des sentiments anti-islamiques en Europe, renforçant des partis nationalistes d'extrême-droite comme le Front national (FN) français ».

L'attaque à Paris s'est déroulée dans le contexte d'une agitation droitière et xénophobe grandissante à travers le continent, des manifestations de masse en Allemagne d' « Européens patriotiques contre l'islamisation de l'Occident », à la montée de tendances de droite nationaliste comme l'UKIP en Grande Bretagne. Les commentaires des médias soulignent que le carnage à Paris servira de prétexte pour renforcer ces tendances réactionnaires.

Marine Le Pen, dirigeante du FN, a exploité l'attaque pour légitimer le chauvinisme empoisonné de son parti. « C'est ma responsabilité de dire que la peur doit être surmontée et de dire que cet attentat doit au contraire libérer notre parole face au fondamentalisme islamique, ne pas se taire, et commencer par oser nommer ce qui s'est passé ». C'est-à-dire que maintenant tous les coups seraient permis pour stimuler la haine et l'hystérie contre les immigrés et les musulmans.

Quelle que soit l'identité des auteurs du massacre, de tels attentats feront inévitablement le jeu des forces les plus réactionnaires de l'Etat, et des fractions de la classe dirigeante qui veulent plus d'interventions militaires à l'extérieur et de mesures policières à l'intérieur. Comme l'ont démontré les suites du 11 septembre 2001, ces actions horrifient et désorientent l'opinion, et donnent l'occasion à l'Etat d'imposer des politiques qui, sans ces crimes terroristes, n'auraient obtenu aucun soutien populaire.

Sans surprise, le président profondément impopulaire, François Hollande, est apparu sur les lieux du crime peu après les faits pour annoncer une opération de police de grande envergure et appeler à l'unité nationale. Confrontant l'hostilité massive du peuple français et l'implication croissante de son gouvernement dans des guerres au Moyen-Orient, Hollande-le président le plus impopulaire de la France depuis la Seconde Guerre mondiale- voulu exploiter l'utilité politique de l'attaque.

Toutes les informations sur l'attaque hier suggéraient qu'elle était le fait que tueurs professionels et hautement formés.

Corinne Rey, une dessinatrice de Charlie Hebdo, a dit à L'Humanité : « J'étais allé chercher ma fille à la garderie, en arrivant devant la porte de l'immeuble du journal deux hommes cagoulés et armés nous ont brutalement menacées. Ils voulaient entrer, monter. J'ai tapé le code. Ils ont tirés sur Wolinski, Cabu... Ca à duré cinq minutes. Je mettais réfugiée sous un bureau... Ils parlaient parfaitement le français, ils dirent qu'ils étaient avec Al Qaeda. »

Les assassins semblaient avoir des informations détaillées des opérations de Charlie Hebdo. « Les assaillants furent bien informés et savaient que la réunion hebdomadaire du comité de rédaction se tenait le mercredi à 10h. Sinon, le reste de la semaine, les gens sont peu nombreux à la rédaction », un autre journaliste de Charlie Hebdo a dit au Monde.

Les témoins ont rapporté que les hommes armés agissaient calmement et méthodiquement. Ils crièrent « Allah Akbar » en commençant à tirer. Ils ont identifié les journalistes avant de leur tirer dessus ; ils auraient dit qu'ils ne voulaient pas tuer de femmes. En quittant le bâtiment, ils s'engagèrent dans fusillade avec la police. Déjà, douze personnes étaient mortes, dont dix à l'intérieur du bâtiment et deux à l'extérieur, y compris deux policiers.

Ils tirèrent plusieurs fois sur les voitures de police durant leur évasion, criant « Allah Akbar. » Ils s'arrêtèrent pour exécuter un policier blessé pendant la fusillade d'une balle dans la tête. Profitant des embarras de circulation, ils ont échappé à la police et abandonnèrent leur voiture près de la Porte de Pantin. Ils ont volé un nouveau véhicule, menaçant le conducteur de leurs armes, pour s'échapper dans la banlieue nord de Paris.

Les chroniqueurs sur BFM-TV ont comparé l'attentat à ceux du 11 septembre 2001 à New York, spéculant que l'Etat islamique (EI) en Syrie et en Irak était responsable. Prédisant un changement majeur entre « un avant et un après » l'attaque, ils ont ajouté que « 7 janvier 2015 va marquer malheureusement la France de ce début du 21e siecle ».

Durant la journée, 3.000 policiers furent mobilisés pour une chasse à l'homme dans la banlieue nord de Paris. Des policiers lourdements armés furent aussi déployés dans les stations de trains, les bâtiments publics, et les monuments sur Paris et à travers la France.

Au cours de la journée, cependant, les médias ont commencé à s'éloigner de l'idée que les terroristes islamistes étaient responsables. Soulignant l'absence d'une bombe et le professionalisme des tueurs, ils ont évoqué la possibilité que les assassins étaient des soldats ou des tueurs liés au grand banditisme.

Alain Chouet ancien chef du sécurité pour la Direction Général de la Sécurité Extérieure (DGSE) a dit à Atlantico ; « Ce sont des pros, habillés en noir, avec des cagoules pour ne pas être reconnus. Ils ont agi à la façon de la grande criminalité. »

Interrogé sur la plausibilité d'une éventuelle relation entre l'EI et le banditisme français, Chouet a répondu : « Il reste à déterminer si les assaillants sont liés à quoi que ce soit venant de l'extérieur... Il peut s'agir de deux sortes de professionnels de la violence : des criminels qui pour une raison ou une autre ont mené cette action, ou bien des professionnels formés à l'étranger et mandatés en France à cet effet. Cependant si l'Etat islamique avait maîtrisé de bout en bout l'opération, il y a fort à parier qu'il se serait attaqué à des lieux plus symboliques, davantage représentatifs de l'Etat français ».

A ce stade, toute déclaration des médias et des personnalités politiques sur l'attentat et l'identité des assassins doit etre examinée de manière critique. Des éléments liés aux jihadistes en Syrie et en Irak, qui ont reçu formation et armes de la CIA et des services secrets européens lors de la guerre par procuration menée par l'OTAN contre le président syrien Bachar al-Assad, auraient pu les organiser.

Il est aussi possible que l'attaque est le fait de jeunes Français musulmans profondément désorientés, aigris par les conditions déplorables en France, la discrimination anti-islamique, et les conséquences sanglantes d'années de guerres américaines et européennes au Moyen-Orient. Cependant, ce scénario n'exclut pas la possibilité que leurs actions étaient facilitées ou même suscitées par des forces qu'ignoraient les auteurs du crime.

En tout cas, l'intention et l'effet politiques sont clairs :de polariser la société sur des lignes nationales, ethniques, et religieuses, diviser la classe ouvrière et renforcer la ruée vers la guerre, la réaction sociale, et la répression.

Le principal danger découlant de cette horrible attaque est le but politique dans lequel elle sera exploitée. Dans ce sens, la comparaison initiale des médias entre la fusillade à Charlie Hebdo et les attaques du 11 Septembre est un avertissement pour la classe ouvrière. Cette tragédie-là fut exploitée pour embrigader le peuple américain dans une guerre impopulaire au Moyen Orient, surtout en Irak et en Afghanistan, et développer les services secrets américains en forces paramilitaires opérant un immense réseau mondial de torture et de meurtre par drone.

Les travailleurs politiquement conscients s'opposeront à toute tentative d'exploiter les meurtres à Charlie Hebdo pour justifier une intervention militaire intensifiée en Irak, Syrie et au Moyen Orient, et plus d'attaques contre les droits démocratiques en Europe.

 Alexandre Lantier et Bill Van Auken

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