A peine trois jours après la tuerie de "Charlie", on voit déjà des "représentants" tirer à eux les couvertures de l'injustice et de la défense de la liberté d'expression. Avant d'aller plus loin, je souhaiterais dire que pour ma part, ce qui m'a boulevesée c'est l'exécution de sang froid de douze personnes. Nous oublions, au-delà des idéologies foisonnant sur la toile, que nous parlons ici d'êtres humains. Il n'est parfois pas très sain d'y aller chercher maints symboles qui seront détournés à des fins plus ou moins viles.
Parmi ces symboles on retrouve la liberté d'expression, ce que j'ai toujours défendu. Mais il n'aura fallu que quelques jours pour que l'on voit déjà des "vices cachés" dégouliner sur la toile au sujet des victimes, pas l'agent d'entretien ni la psychologue mais bien évidemment des plus connus. Que l'on a aimé ou pas, que l'on continue d'aimer ou pas, Charlie Hebdo, on s'en fout, là n'est pas la question. Hara-Kiri était un journal bête et méchant, le professeur Choron était un sale con oui et alors ? Que dire des grands classiques de la littérature d'aujourd'hui qui en leur temps ont été interdits parce que subversifs, dérangeants, blasphématoires ? Si on écartait tous les écrivains qui n'étaient pas conformes aux codes moraux de l'époque on ne lirait plus rien.
Quelques exemples pour que chacun puisse prendre un peu de recul :
Alice au Pays des Merveilles de Lewis carroll a été interdit en Chine en 1931 parce qu'il est "indécent de faire parler des animaux comme des humains. Il est d'ailleurs désastreux de mettre des animaux au même niveau que des humains."
Sherlock Holmes (le premier tome) de Sir Arthur Conan Doyle a été interdit en Union Soviétique en 1929 parce que le livre était considéré par les autorités comme faisant l'apologie du spiritisme et de l'occultisme.
Le nouveau Testament : les traductions de la Bible ont été interdites dans le monde entier jusqu'à la Renaissance, afin que l'interprétation officielle des Saintes Écritures demeure dans les mains de l'Eglise, dans l'espoir d'éviter les hérésies. La Bible est donc imprimée dans une langue morte, le latin, uniquement connue du clergé. Les quelques personnes qui tentent de traduire l'ouvrage sont persécutées voire exécutées. Le changement n'intervient qu'au XVIe siècle avec la Réforme et la propagation de la Bible en langues vernaculaires.
Le meilleur des mondes de Aldous Huxley : le livre a été interdit en Irlande en 1932, en Inde en 1967 et dans quelques écoles des Etats-Unis depuis les années 1980. Les raisons de la censure sont différentes selon les pays : En Irlande parce que le livre s'attaque de manière indécente à la famille et à la religion. En Inde, le livre a été interdit car son auteur, Aldous Huxley, est accusé d'être un "pornographe". Aux Etats-Unis, c'est le thème de la libre sexualité qui fait débat et qui heurte les sensibilités puritaines.
Le Seigneur des Anneaux, tome 1 : La Communauté de l'Anneau de J.R.R. Tolkien : il n'a pas fait objet de censure officielle mais un grand autodafé a été organisé par un groupe de fanatiques catholiques à Alamagordo au Nouveau Mexique, en 2001. Des centaines d'exemplaires ont été brûlés. L'oeuvre de Tolkien est jugée par quelques extrémistes catholiques comme satanique.
L'Encyclopédie Diderot & D'Alembert : la très célèbre Encyclopédie de Diderot et D'Alembert a été interdite en France en 1752. Louis XV interdit l'impression et la diffusion des deux premiers volumes. L'œuvre collective dirigée par Diderot et d'Alembert est jugée subversive par les Jésuites qui la considèrent "affreusement athée et matérialiste". C'est bien entendu la partie philosophique, plus que les parties techniques et scientifiques, qui est décriée, le clergé y voit une "contamination de l'esprit voltairien".
Les fleurs du mal de Charles Baudelaire : en 1857, le recueil de poèmes est mal reçu par la presse -notamment par Le Figaro- et une part du public qui jugent l'oeuvre immorale. Très vite après la parution des Fleurs du Mal, la direction de la Sûreté publique saisit le parquet : Baudelaire et son éditeur sont condamnés pour "outrage à la morale publique". L'auteur et son éditeur sont alors tenus de retirer six poèmes du recueil, qui ne seront réintégrés à l'oeuvre qu'en 1949.
J'irai cracher sur vos tombes de Boris Vian : lorsque le livre est publié en 1946, il fait immédiatement scandale. Trop de violence, trop de sexe. Après un long procès, Boris Vian, qui a écrit le livre sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, est condamné pour "outrage aux bonnes moeurs" mais la censure n'est pas administrativement validée.
Candide de Voltaire : comme de nombreux textes de son siècle, Candide a été publié à Genève pour contourner la censure. Les textes de Voltaire sont incontestablement trop subversifs pour le régime et l'Eglise catholique qui inscrit "Candide", "livre pernicieux", sur la liste de l'Index. Lorsqu'il meurt en 1778, on interdira à Voltaire des obsèques religieuses. Il sera finalement transféré au Panthéon en 1791.
La Ferme des Animaux de George Orwell : Les Alliés estimant que le livre étaient une critique trop abrupte de l'URSS, en ont interdit la publication entre 1943 et 1945. En 1991, une pièce adaptée du roman est interdite au Kenya, sous prétexte qu'elle critiquait les chefs corrompus. En 2002, le roman est interdit aux Emirats Arabes Unis, parce qu'il contiendrait des images ou des textes en désaccord avec les valeurs de l'Islam. Le roman est aussi interdit à Cuba et en Corée du Nord.
Madame Bovary de Gustave Flaubert : Le roman de Flaubert a été interdit et poursuivi pour attente aux moeurs et la morale publique.
et que dire de Céline ou de Sade et de biens d'autres encore ?
Vous avez lu un de ces livres ? Vous méritez certainement d'être exécuté froidement ou d'être écarté de la société...
Je refuse que l'on me dise ce que je dois lire ou ne doit pas lire, voir ou ne pas voir, dire ou ne pas dire. Censurer ou diaboliser une oeuvre c'est attiser l'envie, je pousserai plus loin en disant "pour ceux qui prennent la peine de réfléchir, pour les curieux et les rebelles, pour ceux qui veulent aller au-delà des préjugés".
Depuis plusieurs mois l'état censure mais cela ne pose question à personne, il aura fallu des morts pour qu'on y réfléchisse. On ne peut pas interdire des spectacles, diaboliser des livres et après crier au scandale et à la barbarie sur les mêmes sujets. La liberté (d'expression) ne s'attribue pas en fonction de bons points, elle se gagne dans le coeur du peuple, bien au-delà de la société et de ses moeurs.
Ne vous trompez-pas de combat et soyez éclairés sur vos propos et surtout défendez vos convictions, non pas avec des flingues mais avec le peu de liberté que l'on vous laisse aujourd'hui : lire, regarder et surtout réfléchir. Comment peut-on critiquer violemment une oeuvre sans l'avoir lue, visionnée, regardée ? Aimez ou détestez mais faites-le parce que vous savez de quoi vous parlez.
A vous de choisir pourquoi vous vous "battez" mais pas seulement quand cela vous arrange.