Par Patrick Martin
Une énorme mobilisation militaro-policière dans et autour de Paris s'est terminée vendredi par deux fusillades au cours desquelles trois assaillants islamistes et quatre otages ont trouvé la mort.
Cherif et Said Kouachi, les deux frères qui avaient tué douze personnes à la réaction de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, sont morts dans un échange de tirs avec des gendarmes lourdement armés qui ont pris d'assaut une petite imprimerie dans une ville située au nord-est de Paris.
Quand les médias français ont rapporté vendredi matin que la police avait cerné les frères Kouachi dans la ville de Dammartin-en-Goële, un troisième islamiste, Amedy Coulibaly, a attaqué une épicerie casher à Vincennes, prenant la clientèle et les employés en otage et menaçant de les tuer si la police attaquait l'imprimerie.
Les frères Kouachi et Coulibaly ont tous parlé par téléphone à des représentants des médias, pour se vanter de leurs liens avec des groupes terroristes au Moyen-Orient, malgré le fait que seul Said Kouachi ait voyagé dans cette région.
Les frères Kouachi ont affirmé agir sur les ordre d'Al Qaeda dans la péninsule arabique (AQPA), une force basée au Yémen. Coulibaly a dit lui, agir pour le compte de l'Etat islamique en Irak et en Syrie (EI), bien qu'il n'existe aucune preuve de ce lien, et qu'il avait eu auparavant des contacts avec les deux frères.
Dans une interview téléphonique avec BFM-TV, Coulibaly a dit avoir tué une policière dans la banlieue parisienne de Montrouge, quelques heures après le massacre à Charlie Hebdo. Il a dit que lui et les frères Kouachi s'étaient mis d'accord pour « synchroniser » leur action : « Eux Charlie Hebdo, moi les policiers ».
Plusieurs informations non-concordantes ont émergé peu après les deux confrontations armées. Certains policiers témoins ont prétendu que les frères Kouachi avaient quitté l'imprimerie, faisant feu sur les policiers, dans une attaque-suicide. D'autres policiers ont dit qu'ils avaient pénétré dans l'imprimerie et y avaient surpris les deux islamistes.
Selon des informations en milieu de journée, les frères Kouachi auraient pris un otage, mais la police a dit plus tard qu'il n'y avait aucun otage, mais un employé qui se cachait dans l'imprimerie pour leur donner des informations.
La police a pris d'assaut l'épicerie cacher, Hyper Cacher, presque simultanément. A la fin de l'intervention, Coulibaly et quatre otages étaient morts et cinq otages blessés. La police a démenti des informations selon lesquelles Coulibaly avait tué deux personnes au début de la prise d'otages. Ce qui suggère que la majorité voir la totalité des victimes ont été touchées lors de la dernière fusillade.
Des explosifs ont été retrouvés à deux endroits, mais les islamistes ne les ont pas fait détoner ; Coulibaly ne savait peut-être pas comment le faire.
Après les fusillades, la police française a annoncé que Hayat Boumeddiene, la femme de Coulibaly, âgée de 26 ans, était recherchée. Selon certaines informations encore une fois non-concordantes, elle aurait pris part soit au meurtre de la policière à Montrouge, soit à l'attaque contre l'épicerie d'où elle se serait échappée en se faisant passer pour un otage, soit à aucune de ces deux actions.
Si certaines de ces informations contradictoires semblent avoir été le résultat du chaos provoqué par les multiples attentats et la mobilisation de dizaines de milliers de policiers et de troupes, d'autres semblent avoir été liées à une tentative des responsables français pour cacher la nature véritable de la relation existant entre les islamistes et les services français de sécurité.
Un article du New York Times de vendredi soulève de nombreuses questions sur l'apparente incapacité des agences de renseignement et du contre-terrorisme français à identifier Charlie Hebdo comme une cible probable de violences islamistes, et les frères Kouachi et Coulibaly comme des auteurs potentiels de telles violences. Tous trois étaient connus de la police, et deux d'entre eux, Cherif Kouachi et Ahmed Coulibaly, avaient écopé de peines de prison pour leurs liens avec des activités terroristes.
Le cas de Coulibaly est même plus étrange. Il avait rejoint les cercles islamistes à Paris après un séjour en prison suite à une condamnation en 2002 pour le braquage d'une banque. Mais en juillet 2009, il était l'un de dix jeunes travailleurs envoyés à l'Elysée pour une réunion avec le président Nicolas Sarkozy en personne, un coup de com' qui tentait de donner à celui-ci une image moins raciste et moins anti-ouvrière. On peut se demander comment Coulibaly a pu franchir le filtrage de sécurité.
Quelques mois plus tard, Coulibaly a été arrêté puis mis en accusation pour le projet d'évasion d'un autre djihadiste présumé, Smain Ait Ali Belkacem, un membre du Groupe islamique armé (GIA) algérien. Condamné et emprisonné, il n'avait été relâché qu'en mars 2014. Cherif Kouachi avait été interrogé dans le cadre de la même affaire.
Les derniers événements de Paris sont donc conformes au modèle plus large des attentats de la « guerre contre la terreur ». Il s'avère que presque tous les individus liés aux attentats terroristes ayant eu lieu dans les grands pays impérialistes - depuis le 11 septembre, les attentats du métro de Londres et des gares de Madrid, jusqu'à ceux de Paris - ont eu des liens fréquents et inexplicables avec les services de sécurité de ces pays.
Ces attaques atroces se sont produites avec du moins une complicité passive des mêmes agences qui citent la menace du terrorisme pour justifier des attaques drastiques contre les droits démocratiques, des augmentations massives des crédits pour les forces de l'ordre, et la concentration d'énormes pouvoirs aux mains de l'appareil militaro-policier.
Le même processus est en cours à la suite du massacre à Charlie Hebdo et son dénouement sanglant. Andrew Parker, le directeur général du service de renseignement britannique MI5, a tenu jeudi dernier un discours étonnant au quartier général de MI5, avertissant de ce que des attaques semblables à celles de Paris se produiraient probablement aussi en Grande-Bretagne.
Il fit la mise en garde que les révélations faites par l'ancien employé de la NSA Edward Snowden et d'autres critiques de la surveillance d'Etat avaient créé une atmosphère dans laquelle la sphère privée était si « absolue et sacro sainte que les terroristes et d'autres qui veulent nous nuire peuvent opérer en toute confiance de derrière ce rempart sans crainte d'être découverts. »
« Si nous devons faire notre travail, MI5 va continuer à avoir besoin de pénétrer dans leurs communications, comme nous l'avons déjà fait » a-t-il dit. « Cela veut dire que nous devons avoir les outils appropriés et l'assistance des sociétés qui détiennent les données d'importance. »
« Pour le moment » a-t-il ajouté « cette image est incomplète ».
Cet argument est de toute évidence absurde, étant donné que ce que Snowden a révélé était l'espionnage généralisé d'Internet et des communications de toute la population. Le gouvernement britannique s'est néanmoins précipité pour rassurer les services de renseignement et leur dire qu'il continuerait d'augmenter les ressources disponibles pour financer leur espionnage.
En réponse au discours de Parker, le ministre des Finances George Osborne a dit à la BBC « C'est là la priorité nationale. Nous y allouerons les ressources nécessaires. Quoique veuillent les services de sécurité, ils l'obtiendront. »
Patrick Martin