Par Badia Benjelloun
Le choc et l'effroi, technique théorisée et appliquée dans les guerres préventives menées par les Us(a) depuis l'arrivée au pouvoir des néo-conservateurs, et étendue maintenant à la contre-insurrection et à la lutte contre l'ennemi intérieur sont bien opérants.
Pour éviter de se laisser ensevelir sous l'émotion provoquée par les tueries de la semaine dernière, il faut tenter de s'en tenir fermement aux éléments divulgués par le détenteur de la violence légale qui délivre ses éléments de discours.
François Asselineau, trop peu cité dans la presse, avait souligné dans un communiqué l'impérieuse nécessité que soient saisis vivants les coupables afin que toute la lumière puisse être faite sur les commanditaires de la tuerie et que justice soit rendue, comme il se doit dans un État de droit.
La France est l'un des pays belligérants en Syrie. Elle assure le transfert, le financement et la formation de mercenaires pour en combattre le gouvernement et y créer le chaos. Fabius, l'inventeur de l'Irresponsabilité en politique, "responsable mais pas coupable", apprécie la contribution du front Al Nosra qui fait du "bon boulot" ! Un choc en retour de cette ingérence contraire aux lois du respect des souverainetés nationales n'est alors plus une éventualité loufoque mais bien une hypothèse de travail sérieuse pour un État de l'envergure de la sixième puissance économique du monde.
L'exécution d'un tel projet n'aurait pas dû échapper à un appareil de surveillance aussi hypertrophié qu'est devenue la machinerie répressive sous Sarközy puis Valls, augmenté de la surface réalisée par l'immense marché confié aux entreprises privées de sécurité.
Les auteurs des crimes du 7 janvier 2015 étaient connus des Services de Renseignement. Qu'ils aient été répertoriés impliquent qu'ils ont été surveillés selon la doctrine sécuritaire mille fois annoncée par les différents ministres de l'Intérieur qui se sont succédé depuis au moins 2002 en France.
La seule fonction régalienne encore exercée par les gouvernements nationaux est celle de l'exercice de la répression policière et son pendant, la surveillance des citoyens. On excepte la latitude qui lui est laissée pour légiférer à son aise en faveur du mariage entre personnes du même sexe. L'interdiction faite aux musulmanes de recouvrir leurs cheveux dans les lieux publics a été une manière d'occuper l'espace médiatique en désignant le « barbare », le « non intégrable », le « dangereux », le rebelle potentiel » « l'empêcheur de réaliser la société parfaite et harmonieuse et sans conflit ».
Ce thème de l'Islamisme qui nous a déclaré une guerre mondiale est venu dans les années 80 diffusé depuis de nombreux relais de la gauche libérale anti-communiste pour redoubler celui du danger de l'immigration développé dans les milieux d'extrême droite au cours de la décennie précédente.
Le colleur d'affiche à la faculté de Tolbiac en 1980 étudiant en histoire, Manuel Valls, a été chargé pour le compte la section rocardienne du PS d'affaiblir l'extrême gauche dans les universités. Dès 1987, il gagne un poste au comité directeur du PS et entre dans la franc-maçonnerie en 1988. Il s'est toujours intéressé, avec son ami de longue date Alain Bauer, rencontré à Tolbiac, aux problèmes liés à la sécurité en tant que source de profits pour un futur capitalisme construit autour de la peur. Bauer, nommé par Rocard chargé de mission en 1988 auprès du chef de son cabinet, est recruté peu après par le SAIC (Science Application International Corporation), émanation secrète du Pentagone et de la CIA. Il obtient la vice-présidence de SAIC-France et commence à appliquer les méthodes répressives de ses maîtres, fichage de la population et centralisation des instituts de sécurité et de défense. Alain Bauer a été le conseiller en « sécurité » de Sarközy au ministère de l'Intérieur. Il a été l'artisan majeur de l'unification des polices politiques (RG) et des services de renseignements militaires et de contre-espionnage au sein de la DCRI en 2008, renommée DGRI en 2014 tout en en conservant le même directeur général. Pour une plus grande efficacité contre le terrorisme.
L'essai de Manuel Valls publié en 2011 a été une sorte de candidature spontanée pour le poste qu'il convoitait si Sarközy ne se faisait pas réélire. Son titre : "Sécurité, la gauche peut tout changer" et son contenu constituent une publicité mensongère. La continuité est parfaite entre les deux administrations en matière de gestion de la police.
Dés 2012, le ministre de l'Intérieur déclarait vouloir accroître la chasse aux réseaux islamistes « implantés » dans les cités. Cette notion de « terrorisme implanté » a été récemment introduite dans l'arsenal discursif des marchands privés de la sécurité et parmi eux, un certain Yves Roucaute, ancien communiste ayant rejoint les cénacles atlantistes dans les années 80 où il y a été accueilli et pris comme filleul par Norman Podhoretz. L'idéologue de la bande à Bauer développe une doctrine de guerre préventive à l'intérieur, quotidienne et permanente, locale et globale.
Un peu plus tard, Manuel Valls estimait que "nous faisons face à un ennemi extérieur au Mali mais aussi à un ennemi intérieur qui est le fruit d'un processus de radicalisation". Il a appelé à combattre le "fascisme islamiste" qui monte un peu partout. En d'autres termes, le Mali est une terre française à l'extérieur, ses gisements ne doivent pas lui échapper, la protection des minerais d'uranium dans le Niger contigu est un impératif absolu. Le désordre dans toute la région sahélienne suscité par l'intervention militaire en Libye ordonnée par l'OTAN, le reflux des travailleurs maliens, la dissémination des armes doivent être corrigés par une nouvelle guerre « contre l'ennemi extérieur ».
L'imprégnation d'une société par une idéologie pour conduire au consentement se fait selon deux vecteurs, selon Gramsci.
La répétition des éléments du dogme doit se faire inlassablement. La meilleure méthode didactique reste encore le rabâchage. Leur expression doit être très simple, leur forme peut varier.
Une partie des clercs qui prêcheront cette idéologie proviendra de la masse à convertir et à maintenir dans la bonne croyance. Ainsi, elle semblera émaner naturellement du terreau commun.
Yves Roucaute (1) a justement été directeur de l'Institut Gramsci dans sa jeunesse.
L'assimilation des Musulmans à des terroristes s'est faite ces vingt dernières années à une échelle transnationale. Le responsable de la rédaction du supplément littéraire du journal d'extrême droite Jillands Posten, Rose Flemmeing, avait pris conseil auprès de Daniel Pipes, néoconservateur défenseur de la théorie du choc des civilisations avant d'entamer l'aventure de ses caricatures. Le dessin principal figurait un personnage censé représenter le Prophète Mohammed, il portait une bombe sur la tête. Il ne visait pas une religion mais des peuples dominés et spoliés dans le contexte de la guerre contre la Palestine, l'Afghanistan et l'Irak, et ses millions de morts et de blessés.
Une fois ces dessins commis, il a fallu beaucoup d'efforts pour le faire savoir au reste du monde que l'on voulait humilier.
Il en est des instruments de la propagation de ce qu'il est convenu d'appeler islamophobie -pour laquelle il faudra trouver décidément un autre nom- comme des familles régnantes en Europe. Leurs réseaux se croisent et s'entrelacent à la jonction du sionisme, du capitalisme ultra-libéral et sans règles et des fomenteurs de guerres.
Une nouvelle fonctionnalité prônée par les idéologues sécuritaires français mais aussi praticiens car dirigeants des firmes de conseils privées est celle du "décèlement précoce dans une dynamique pro-active et préventive".
Exactement celle mise en œuvre par la police départementale de New York qui a fiché systématiquement et surveillé tous les citoyens des grandes villes du New Jersey ayant fréquenté une mosquée ou seulement demandé un repas sans porc dans une cantine.
Mieux, à défaut d'avoir sous la main de vrais terroristes, le FBI s'ingénie à en inciter.
Toutes les stratégies lourdement révisées du monde occidental destinées à lutter contre le terrorisme international ont été donc mises en échec avec une aisance déconcertante ce 7 janvier 2015.
Trois anciens détenus de droit commun sans envergure ont réalisé un exploit. En exécutant dix-sept personnes de sang froid avec un professionnalisme méthodique, ils ont obtenu que quatre millions de Français flanqués de quatre-vingt chefs d'États et de gouvernements aillent manifester dans la rue.
Ce Système est-il donc si vulnérable et si fragile ?
Tous les Charlie qui ont obstrué les alentours de la place de la République ne faisaient pas le contresens de réclamer la protection de la libre expression qui ne peut être menacée par une censure pratiquée par l'État. À deux occasions, l'État l'a pratiquée récemment. En convoquant le Conseil Constitutionnel qui a interdit que ne se produise un humoriste et une deuxième fois en prohibant des manifestations de soutien au peuple de Palestine enfermé à Gaza et essuyant le feu de l'occupant. L'autre forme de censure, la plus sournoise et la plus efficace s'exerce quasi-naturellement par l'attribution ou non d'enveloppes financières à partir des deniers publics.
On peut douter que les Charlie aient subitement développé une telle empathie pour leurs semblables assassinés, eux qui sont incapables de secourir une femme en train de se faire violer sous leurs yeux dans un couloir de RER.
Ces Charlie sont plus sûrement aller réclamer plus de sécurité et plus de police, eux qui n'ont pas bougé quand l'aviation de leur pays pilonnait la Libye et faisait 100.000 morts. Les 577 députés de l'Assemblée Nationale ont voté unanimement pour exécuter Kadhafi, comme ils sont unanimes aujourd'hui pour poursuivre des "frappes" en Irak et relancer des attaques aériennes en Libye.
La politique est globale et planétarisée. Les tortionnaires et assassins comme Netanyahu et Porochenko sont venus l'affirmer à Paris lors de cette messe clôturée en apothéose dans sa séquence finale dans une synagogue, où les rapports de force et de servilité s'expriment.
Ainsi, un apartheid plus étanche isolera les classes dangereuses, les confinera dans des zones de plus en plus grises où parmi la masse des laissés pour compte surgiront inévitablement quelques fous qui s'empareront d'un discours préparé à leur intention. Les officines qui distribueront les rôles aux candidats terroristes sont déjà actives, elles reçoivent des fonds d'origines les plus diverses, privées et étatiques. Leur public ira en s'élargissant, la crise économique aidant.
La Charlisme est certes une piètre réponse au terrorisme.
Dans quelques cas d'anémie hémolytique, les globules rouges se font détruire car ils portent passivement sur leur membrane une petite molécule reconnue comme étrangère par le système immunitaire. La cible est innocente. Un Cabu, un Wolinski, un Charb et les autres victimes ont été des cibles innocentes.
Paix aux âmes des défunts.
Allons-nous demeurer, après cela, des innocents ?
(1) Yves Roucaute, juriste, a été un dirigeant de l'Institut Gramsci. Grâce à ses amitiés avec Norman Podhoretz, éminent néo-conservateur sioniste, conseiller de l'Hudson Institute fondé grâce aux deniers de la Rand Corporation, Roucaute devient membre de l'Institut Turgot, réplique de l'Hudson Institute en France pour consolider l'atlantisme en Europe et contre l'islamisation. Devenu un proche de Sarközy dès les années 90, il crée sa propre revue en 2006, Éclair Mag, où il dénonce l'anti-américanisme, l'insécurité, les menaces intégristes contre la laïcité, l'islamisme qui nous a déclaré une guerre mondiale, l'antisémitisme mondain de la gauche intellectuelle déguisée derrière l'antisionisme, les racisme anti-blanc, les quartiers mis en coupe par la racaille, les impôts, les charges sociales.