par Marc Godin
Quelques réflexions à propos de mots, de la culture, de Facebook et des journalistes après la marche historique du 11 janvier. En rentrant le 11 janvier, je me suis vautré dans mon canapé et j'ai regardé la télé. Tout d'abord, j'ai été un peu estomaqué de voir que cette marche républicaine se terminait dans un... lieu de culte ! Je ne suis pas vraiment sûr que nos laïcards de Charlie auraient apprécié la blague. Il y a un truc qui cloche, non ?
Sur M6, une enquête sur Daesh et les islamistes français qui partent en Syrie faire le djihad avec leurs mômes sous le bras. On voit que toutes les infos pour passer de Turquie en Syrie sont sur Facebook. On ne peut pas montrer de seins sur FB, mais les mecs posent avec des corps décapités. Il y a un truc qui cloche, non ? Dans Le Monde et quelques autres journaux, on apprend qu'en France, des mômes ont eu un peu de mal avec la minute de silence et lancent des phrases style « ils ont insulté l'islam, et les autres religions aussi. » Des collégiens et des lycéens qui peuvent parler comme cela, penser comme cela, avons-nous donc tout raté ? Il y a un truc qui cloche, non ?
Puis, j'ai continué à écouter jusqu'à pas d'heures les journalistes déblatérer sur cette belle journée. Très satisfaits d'eux-mêmes. Et j'ai repensé aux propos de Jeannette Bougrab, que les journalistes et dessinateurs de Charlie se sentaient bien seuls... Il faut quand même rappeler que Charlie vendait moins de 30 000 exemplaires par semaine, allait déposer le bilan... Et que Charlie se faisait régulièrement traiter d'islamophobes par certains, voire de racistes par des confrères, parce qu'ils étaient « irresponsables », ou qu'ils jetaient quand même « de l'huile sur le feu ». J'ai donc vérifié. En 2012, certaines personnalités comme Daniel Cohn-Bendit, Christine Boutin ou Guy Bedos ont pilonné Charlie, les qualifiaient de « cons », de « masos ». Relisez Charb. Dans l'édition du 20 novembre 2013 du Monde, Charb se fend d'un long texte pour dénoncer « qu'une incroyable calomnie circule dans des cercles de plus en plus larges, qui nous est rapportée chaque jour. Charlie Hebdo serait devenu une feuille raciste. » Il y a un truc qui cloche, non ?
Lors du procès de 2007, Charlie est le seul journal (car le plus fragile ?) poursuivi en justice par plusieurs organisations musulmanes pour avoir publié les dessins sur Mahomet. Dalil Boubakeur a déclaré : « C'est une affaire de caricatures qui incitent au racisme. » « Ce ne sera ni le procès de la liberté d'expression, ni celui de la laïcité », a ajouté Maître Francis Szpiner, son avocat. Et on le voit dans le documentaire, "C'est dur d'être aimé par les cons", les journalistes ont manqué de courage, à part quelques uns dont ceux de Libé ou L'Express, laissant Charlie s'expliquer que non, ils n'étaient pas racistes, pas islamophobes, que la déconne, la laïcité ou la liberté d'expression étaient fondamentales pour notre République. Il y a un truc qui cloche, non ?
Toujours à propos du procès de 2007 : « Je préfère l'excès de caricature à l'absence de caricature. » Pour ce procès, Nicolas Sarkozy, François Hollande et François Bayrou ont essayé de défendre la liberté, au moins celle d'expression. Parmi les plus fervents défenseurs de Charlie, Caroline Fourest ou Elizabeth Badinter - qui je le rappelle - ont été décorées par un « Y'a bon Award ». Candidate pour l'élection présidentielle de 2007, Ségolène Royal s'était quant à elle fendue d'un trop discret SMS de soutien à Philippe Val : « Courage ». Elle était pourtant à la marche. Avec plusieurs dictateurs, et autres politiques français qui ont longtemps dégueulé sur Charlie. Ce qui a fait doucement rigoler le dessinateur Luz. Il y a un truc qui cloche, non ?
Pourtant, lors de la marche, un pigeon a chié sur l'épaule de François Hollande, faisant mourir de rire toute l'équipe de Charlie. Luz a déclaré : « Hollande pourrait intégrer Charlie parce que, malgré lui, il a fait rire toute l'équipe en cinq secondes. » Pour une fois, ça ne clochait plus... Depuis, Charlie Hebdo a sorti son numéro en kiosque et sa belle couverture, avec ces mots très dignes, très forts : « Tout est pardonné ». Des tas de mots ont été alors prononcés à la radio, à la télé, dans les journaux. Des mots simples comme liberté, laïcité, éducation, religion, nation, patrie qui n'ont plus le même sens pour personne. Complètement dingue ! Dans le monde, en Algérie, au Niger, en Turquie, au Yémen ou en Afghanistan, des hommes brûlent des églises, des portraits d'Hollande, des centres culturels français... et tuent d'autres hommes. Le pape François, dans une interview hallucinante, a quasiment justifié la mort des mecs de Charlie : « Chacun a non seulement la liberté, le droit, mais aussi l'obligation de dire ce qu'il pense pour aider au bien commun. Il est légitime d'user de cette liberté mais sans offenser... Si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s'attendre à un coup de poing, et c'est normal. »
On est au-delà des mots, au-delà de la haine. Putain, il y a vraiment un truc qui cloche, non ?