Par Fabrice Nicolino
Mes amis, quelques nouvelles. Déjà presque quinze jours d'hôpital, et ce n'est pas fini, car une autre opération s'impose. Dire que j'en ai assez est bien en-deçà de ce que je ressens, mais il me faut aussitôt tempérer. En effet, les soignants - toutes catégories confondues - se montrent avec moi d'une gentillesse exquise. Quelle chance dans ce malheur !
Quoi de neuf ? Eh bien, j'ai parlé au téléphone avec le président de notre République, François Hollande. Ceux qui me lisent régulièrement savent de quelle manière - et avec quelle fréquence - j'ai étrillé le chef de l'État ici même. Le comble est que je ne regrette rien. Vers 15h45, ce 19 janvier donc, le téléphone sonne dans ma chambre. Je précise que j'avais été prévenu. Une dame inconnue me dit que je vais avoir le Président en ligne et cinq secondes plus tard, François Hollande.
« Vous avez encore une minute ? »
Comment a-t-il été ? Parfait, en vérité. Je n'ai pas de raison de douter de sa sincérité, ni de l'empathie manifestée pour nous autres, les victimes. Mais comment dire ? J'avais la tête ailleurs, car vous savez, vous les fidèles en tout cas, mon obsession : la tragédie écologique planétaire, qui menace tant de formes de vie, dont la nôtre. Avais-je le droit de passer mon tour ? Bien sûr que non. Je lui ai dit : « Vous avez encore une minute ? ». Et j'ai ajouté : « Je crois que vous-même, votre gouvernement, les hauts responsables de l'État et des administrations centrales êtes dramatiquement sous-informés de l'état réel, planétaire, des écosystèmes. Avec tout le respect que je vous dois. » J'ai un petit peu développé, insistant sur les inévitables conséquences de cette crise multiforme sur cette France qu'il préside. Et comme il me fallait être « positif », j'ai indiqué qu'il fallait à mon sens créer un instrument adapté. Modeste, ô combien ! Sous la forme d'un digest - on peut l'appeler abrégé, résumé - qui permettrait, chaque mois par exemple, de hiérarchiser les grandes nouvelles planétaires de cette si stupéfiante destruction de la vie. Ainsi nos gouvernants et leurs proches pourraient-ils savoir sans détour ce qui se passe réellement.
« Vous n'êtes pas obligé, monsieur le Président »
François Hollande n'a pas hésité, et il m'a répondu : « Venez donc me voir quand vous serez sur pied ». Et moi, qui n'avais pas envie de jouer la comédie : « Attendez, monsieur le Président, vous n'êtes pas obligé ! On peut se quitter en se serrant la main par-dessus le combiné, et en rester là ». Lui : « Non, venez me voir, et passez pour cela par mon conseiller Olivier L-C ». Alors j'ai conclu en l'assurant qu'il aurait des nouvelles et que j'irais le voir à l'Élysée. Pour le reste, j'ai besoin de votre point de vue. Je ne crois pas qu'il s'agisse, en cette occurrence, de sous-information. Chacun sait que les choses vont fort mal, et nul n'ignore par exemple la réalité du terrible dérèglement climatique. Pourquoi diable rien n'est seulement tenté ? Parmi d'autres causes sur lesquelles je ne reviens pas, je souhaite insister aujourd'hui sur le déni, au sens psychologique, et même psychiatrique. Dans sa longue histoire, l'Homme a utilisé quantité de stratégies d'évitement qui lui ont permis d'avancer encore, et toujours.
Le besoin vital du déni
Le déni - la négation d'un réel trop angoissant, trop désespérant - a été d'une utilité vitale face aux épidémies, aux guerres, à la famine, in fine à la mort. Sans ce recours, aurions-nous pu tenir ? Je ne suis pas sûr. Mais ce qui a servi pendant des millénaires se retourne contre nous. Il faudrait un sursaut de tous, et c'est au contraire la désertion et la fuite qui règnent en maîtresses. Autrement exprimé, je ne sais pas si l'idée que j'ai soufflée à François Hollande puisse servir notre cause commune, si même elle devait devenir réalité. Mais enfin, ne faut-il pas tout tenter ? Je vous le dis sans hésitation : je suis prêt à la manœuvre. Si par extraordinaire notre Président entrouvrait la porte, j'entrerais. Et j'aiderais à réaliser ce travail d'information pour nos Hautes Sphères. Sans illusion, mais non sans un minuscule espoir.
La morphine est une très étrange compagne. Vivement que je la quitte ! J'espère que ce qui précède tient à peu près debout. Avec mon affection, chers amis d'ici et d'ailleurs.
(Illustration : Cy Twombly - Sans titre)