25/05/2015 mondialisation.ca  7min #98218

 L'Occident facilite la montée de l'État Islamique « afin d'isoler le régime syrien »

Une escalade militaire massive menace alors que l'Etat islamique progresse en Irak

Par  Niles Williamson

Le Pentagone a annoncé jeudi qu'il allait rapidement livrer 2000 roquettes antichars AT-4 à l'armée irakienne après la capture par l'Etat islamique (EI) de la capitale de la province d'Anbar, Ramadi, dans l'ouest de l'Irak. Les combattants de l'EI ont fait main basse sur les chars, l'artillerie et de grandes caches de munitions abandonnés par l'armée irakienne dans sa fuite. Plus de 40.000 civils ont été forcés de quitter leurs maisons.

Le président américain Barack Obama a qualifié la perte de Ramadi de « revers tactique » dans une interview avec Atlantic, publiée jeudi, mais dit qu'il ne pensait pas que les Etats-Unis étaient en train de perdre la lutte contre l'EI. « Il ne fait aucun doute que, dans les zones sunnites, il faudra qu'on accélère non seulement l'entrainement, mais qu'on améliore aussi l'engagement, et nous devons rendre les tribus sunnites plus actives qu'elles ne l'ont été jusque-là », a dit Obama.

La chute de Ramadi à seulement 85 km à l'ouest de Bagdad, le week-end dernier, est une défaite majeure dans la campagne contre l'EI. Environ 7.000 soldats irakiens y ont été mis en déroute. L'EI a déployé au moins 30 voitures piégées lors de son offensive réussie, dont 10 auraient eu la taille du camion piégé utilisé dans l'attentat d'Oklahoma City en 1995, et ont anéanti des pâtés de maisons entiers.

Le colonel Steve Warren, un porte-parole de l'armée, a dit aux journalistes que les roquettes devaient être utilisées par l'armée irakienne pour détruire les voitures piégées à une distance plus grande qu'il était possible avec des armes automatiques. « Ceci est une bonne riposte [aux voitures piégées] », a déclaré Warren.

Warren a nié des informations disant que les États-Unis envisageaient de former des soldats irakiens à diriger des frappes aériennes américaines contre l'EI. « Si le JTAC [Contrôleur des attaques terminales conjointes] dit, 'Jetez une bombe là', cela ne pose aucun problème » a-t-il dit. « Ce n'est pas quelque chose que nous allons déléguer à d'autres que des Américains. Point à la ligne ». Par contre, Warren a dit que les États-Unis formeraient les forces irakiennes à mieux diriger un appui aérien par le formatage de leurs appels radio et l'identification de leurs positions pour éviter d'être touchés par les bombes américaines.

L'annonce des livraisons accélérées de roquettes est tombée au moment où l'EI continuait d'avancer vers Habbaniyah, à 40 km à l'est de Ramadi. Un major de la police irakienne, Khalid al-Fahdawi, a déclaré à Reuters jeudi que les forces de l'EI avaient percé des positions défensives dans la ville de Husaibah, à 10 km de Ramadi.

Loin d'activer les tribus sunnites, comme le suggérait Obama, le gouvernement irakien, avec le soutien des États-Unis, est en train de déplacer 4.000 miliciens chiites vers une base militaire à l'extérieur de Habbaniyah, en préparation à une éventuelle contre-attaque contre l'EI.

A la suite de l'effondrement de l'armée irakienne dans la province d'Anbar, le premier ministre irakien Haidar Al-Abadi a envoyé des milices chiites soutenues par l'Iran pour diriger une reprise de cette province à majorité sunnite. Les milices ont reçu l'ordre de se coordonner avec ce qui reste des unités militaires irakiennes en déroute et au moins 2.000 agents de police.

Le déploiement des milices chiites pour reprendre Ramadi, ville majoritairement sunnite, ne servira qu'à attiser les tensions sectaires. Les milices chiites soutenues par les Américains et les forces spéciales irakiennes déployées dans les régions sunnites au cours d'offensives précédentes contre l'EI ont opéré en escadrons de la mort, torturant et exécutant des prisonniers sunnites.

Selon Human Rights Watch, les milices chiites avaient tout détruit sur leur passage en représailles, pillant et brûlant au moins 3.200 bâtiments, dont les maisons de civils, après avoir repoussé l'EI hors de la ville d'Amerli en septembre 2014. Des photos et vidéos sont apparues montrant des hommes en uniforme des Forces spéciales irakiennes posant avec des têtes coupées et traînant des cadavres derrière leurs véhicules Humvees (voir: «sales brigades »de l'Amérique en Irak»).

La conséquence logique de l'évolution sur le terrain en Irak est la réintroduction de milliers de soldats américains et une escalade de la campagne aérienne.Washington a déjà déployé environ 3.000 soldats en Irak pour former et conseiller l'armée irakienne.

Le sénateur républicain John McCain, président du Comité sénatorial des forces armées, a critiqué la Maison Blanche lundi et a déclaré que plus de troupes américaines seraient nécessaires à la suite de la dernière débâcle en Irak. « Nous devrons avoir plus de gens sur le terrain et la chute de Ramadi, c'est vraiment grave », a déclaré McCain dans une interview sur MSNBC.

Témoignant devant le Comité sénatorial des forces armées jeudi, Frederick Kagan, l'un des architectes de la « poussée » militaire de 2007 en Irak, a demandé l'envoi d'au moins 20.000 soldats américains pour aider l'armée irakienne dans toute campagne pour reprendre Ramadi.

Kagan a indiqué que la chute de Ramadi avait « complètement fait dérailler » les plans annoncés au début de l'année pour reprendre la ville de Mossoul à l'EI. « Je pense que la lutte pour Ramadi sera assez difficile », a déclaré Kagan. « Je pense que ces opérations dans et autour de Ramadi démontrent que les forces de sécurité irakiennes ne sont pas, au niveau actuel du soutien américain, capables de défendre leur territoire contre les attaques déterminées de l'EI, sans même parler de dégager une des zones refuges majeures de l'EI ».

Le général de marines Gregory Newbold, qui a pris sa retraite en 2002 en opposition aux plans de guerre avec l'Irak et a conseillé la campagne présidentielle d'Obama en 2008, a déclaré à NPR jeudi qu'il désapprouvait la stratégie de la Maison Blanche contre l'EI en Irak.

Il a appelé à une escalade de la campagne aérienne et à l'usage massif de la force par les troupes terrestres américaines. « Ce que nous devons faire c'est devenir l'option la plus efficace et la meilleure venue pour les collectivités locales », a-t-il déclaré. « Et en faisant cela, notre engagement ne peut pas être timide. Il doit être si décisif dans son emploi et avoir un effet tellement écrasant que l'EI soit humilié, en tant qu'idée comme en tant que force».

Pendant que les États-Unis et le gouvernement irakien préparaient une contre-attaque, l'EI a fait une deuxième avancée stratégique et pris le contrôle de la ville syrienne de Palmyre jeudi, à quelque 640 km au nord-ouest de Ramadi. En même temps que les États-Unis ont lancé un nouveau programme de formation et d'équipement de soi-disant rebelles modérés, l'EI a fait des avancées significatives en Syrie.

Bien que faisant officiellement partie de la lutte contre l'EI, lui-même une retombée de la politique américaine de fomentation d'une guerre civile en Syrie, les opérations menées par la CIA et des pays satellites des États-Unis comme l'Arabie saoudite et le Qatar, visent finalement à renverser le président Bachar al Assad, un allié clé de l'Iran et de la Russie. Malgré les frappes aériennes continues des forces américaines et alliées depuis juin l'an dernier, l'EI contrôle au moins 50 pour cent du territoire syrien et un tiers du territoire irakien.

Même s'ils larguent des bombes sur l'EI et si leurs Forces spéciales lancent des raids contre les membres de l'EI en Syrie, les Etats-Unis sont dans une alliance de fait avec al-Nosra, la filiale d'Al-Qaïda, contre Assad. Les combattants islamistes se sont avérés bien plus efficaces pour une promotion des objectifs américains et pour l'éviction d'Assad que les soi-disant modérés. Les armes acheminées en Syrie par les États-Unis, y compris des missiles antichars, ont souvent fini entre les mains de combattants d'al-Nosra et de l'EI.

Niles Williamson

Article original, WSWS, publié le 22 mai 2015

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