Pourriez-vous vous présenter Messieurs ?
Je m'appelle Igor Vladimirovitch Samodruk.
Je suis le lieutenant-colonel Iouri Maratovitch Trofimov.
Si j'ai bien compris vous vous trouviez à Odessa le 2 mai 2014 lorsqu'il y a eu le terrible massacre de la Maison des Syndicats ?
Je représente l'association des officiers en retraite d'Odessa, nous étions installés sur la place Champ Koulikovo, nous étions dans cet endroit dans un village de tentes depuis le 1 er mai. Nous avons participé directement à tous les événements.
Comment les choses se sont passées le 2 mai ?
Depuis une dizaine de jours déjà, la Junte de Kiev, ce gouvernement criminel s'était donné pour objectif d'écraser le noyau d'activistes des manifestants de la place Koulikovo. Ce qui s'est passé au centre d'Odessa c'était une mise en scène hollywoodienne puisqu'il y avait des gens qui étaient soudoyés pour être là. Il y avait des provocateurs payés pour exciter la foule et disperser les manifestants avec pour but d'éliminer ce village de tentes qui était le cœur de la résistance et de la contestation. Ce village, le porte-voix de la résistance appelait la population à ne pas suivre la nazification d'Etat qui se mettait en place partout dans le pays.
Quel était le but, celui de faire peur et de terroriser les activistes ?
Non, il s'agissait d'éliminer physiquement les manifestants. Il y avait des représentants du parti des ultra-nationalistes du Secteur Droit (Pravy Sektor). Ils ont été convoyés par train jusqu'à Odessa de Kiev. Il y a eu des gens qui les ont entendu parler durant leur voyage de comment ils allaient tuer les manifestants. Ils avaient un plan précis de tuer les gens qui manifestaient. Ces Sotnicks (NDT : commandant d'une Sotnia de Cosaques, terme ancien désignant une unité de 100 cavaliers commandés par le Sotnick) avaient déjà des photos et des listes des gens à éliminer. C'était pas du tout spontané ce qui s'est passé, il s'agissait d'un plan pour assassiner les manifestants.
Les médias occidentaux ont présenté les choses de façon qu'il y aurait eu une provocation des activistes de la place de Koulikovo qui aurait aggravé la situation.
Nous sommes restés sur la place Koulikovo jusqu'à la dernière minute et déjà dans les conversations téléphoniques nous avons appris qu'ils commençaient à tuer les gens dans le centre-ville d'Odessa. Nous avons délibéré entre nous pour savoir ce que nous allions faire et nous avons décidé qu'en aucun cas nous n'abandonnerions et nous ne partirions. Nous avons décidé de rester, il y avait aussi des femmes, d'âges différents, il y avait des personnes âgées, il y avait des enfants parmi nous. Et donc nous avons essayé de les persuader de partir, mais ils ont tous refusé et nous avons compris qu'ils n'allaient pas partir. Pour les protéger spontanément nous avons pensé que si cela devenait grave nous allions nous réfugier dans la Maison des Syndicats. Nous n'avions pas comme projet de nous emparer du bâtiment, nous voulions juste l'utiliser comme un refuge. Nous espérions que la Police allait nous libérer. Trente minutes avant, nous savions que les ultras s'avançaient en colonne de marche du centre-ville et se dirigeaient vers nous. Nous avons donné la consigne de se réfugier dans la Maison des Syndicats, Igor et ses camarades ont ouvert la porte, nous avons commencé à faire entrer en priorité les femmes et les enfants à l'intérieur.
Est-ce que les ultras s'étaient cachés à l'intérieur du bâtiment ?
Je ne peux pas l'affirmer, mais il y a différentes sources qui disent qu'il y avait déjà un groupe à l'intérieur qui était planqué dans des bureaux et qui attendait le moment opportun. Ensuite ils auraient commencé à mettre le feu de l'intérieur. Il y a eu également un gaz toxique qui a été répandu. Dans la rue, ils ont commencé à tirer, ils avaient des armes à feu. Ils tuaient tout simplement les gens. Moi je me suis rendu sur le toit et au 4 e étage et j'y suis resté jusqu'à une heure du matin, j'ai pu compter environ 70 coups de feu. J'ai entendu des cris, « Là il y a encore des séparatistes ! » et j'ai entendu également enfoncer les portes. Ils achevaient les gens.
La partie ukrainienne a beaucoup insisté pour dire qu'ils avaient amené une échelle pour permettre aux gens de se sauver de l'immeuble.
Tout d'abord, deux jours avant les événements, il y eut une caméra vidéo qui fut installée sur le bâtiment d'en face. Ils avaient prévu de tout filmer (ce qui fut fait), il était programmé de faire une émission télévisée (NDT : émission Schuster.life présentée par le présentateur Shuster bien connu en Ukraine) et ils voulaient montrer les images en direct. Lors de cette émission, ils ont tout filmé, regardé comment la Maison des Syndicats brûlait. Après, il y a aussi eu des gens qui sont venus et qui fouillaient les poches des cadavres et des blessés. Ils cherchaient des citoyens russes. Ils ont pris les clefs de sa voiture à un camarade qui était blessé ce qui lui a sauvé la vie, elles étaient sur un porte-clefs de valeur. Un des ultras du Pravy Sektor s'est emparé de cet objet en parlant avec un fort accent géorgien, en disant « c'est mon trophée ! », puis l'a tiré dans la rue pour qu'il lui montre où se trouvait la voiture. Plus loin, il y avait sa femme et son fils adulte qui étaient dans la rue ce qui lui a permis de s'échapper. Il a pu sauter dans une ambulance et il est parti. Il avait été intoxiqué par les fumées des gaz, il a donc demandé de s'arrêter devant une ambulance pour respirer de l'oxygène pour reprendre son souffle, c'est à cette occasion qu'il a pu s'enfuir en sautant dans l'ambulance.
Il fut plus tard dit que les activistes avaient tiré les premiers sur les contre-manifestants dans le centre-ville, mais ceci est un mensonge éhonté et il y aurait matière à une enquête (le gouvernement ukrainien refuse de faire une enquête pour punir les assassins). Par exemple ont été montrées des séquences vidéo où se trouvait un type surnommé Bossman qui tirait à la kalachnikov de longues rafales sur les activistes pro-maïdan. Par la suite ayant été arrêté par le SBU, j'ai partagé ma cellule avec un homme qui m'a dit que c'était lui qui apportait les munitions à Bossman et les cartouches étaient en fait des balles à blanc, c'était une mise en scène. Normalement avec des cartouches à blanc, il n'est pas possible de faire des rafales, mais il avait certainement un dispositif pour pouvoir le faire.
Vous avez été dans une cellule de prison ?
J'ai été incarcéré pendant six mois pour avoir mené une activité séparatiste. Le SBU m'a arrêté et j'ai été emprisonné jusqu'au 25 décembre 2014. Nous avons été ensuite échangés contre des prisonniers de l'armée ukrainienne au Donbass, c'est ainsi que je suis arrivé à Donetsk. Je voudrais revenir à ce Bossman, ceux qui connaissent bien la ville d'Odessa savent que de l'endroit où il a tiré les rafales, les enquêteurs devraient pouvoir retrouver les cartouches, c'est près d'une salle de cinéma, elles doivent forcément se trouver ficher dans les murs ou dans les alentours, on devrait pouvoir les retrouver. S'il y avait eu des balles réelles, les enquêteurs auraient pu facilement les présenter comme pièces à conviction. Mais cela n'a jamais été fait bien sûr. A propos des événements dans le centre-ville directement on parle d'une vingtaine de tués (déjà), mais les cadavres ont partiellement disparu. Pour ce qui concerne les victimes à la Maison des Syndicats, je pense qu'il y a eu au moins deux cents victimes. Ils sortaient les corps au fur et à mesure. Il y a des gens qui ont sauté par les fenêtres, ils étaient achevés au sol. Quand le feu a été maîtrisé ils ont été en possession du bâtiment.
Il y a une vidéo d'une femme qui criait.
Oui, elle a été étranglée. On ne saura sans doute jamais comment se sont déroulés les combats qui ont eu lieu à l'intérieur des bâtiments. Car les gens ne se sont pas rendus sans résister. Ils se sont débattus, je suis persuadé qu'il y a eu des tués du côté des ultras nationalistes. Il y a 47 civils et quatre officiers qui s'étaient réfugiés sur les toits et avaient condamné les échelles de secours. Comme cela était assez haut, les ultras de Pravy Sektor avaient peur de monter et n'arrivaient pas à accéder aux toits. Nous n'avons pas pu suivre ce qui se passait à l'intérieur mais par contre nous entendions des cris, des coups de feu, des gens sautaient qui étaient des torches vivantes.
J'ai entendu dire que du phosphore blanc avait été utilisé ?
Quand je descendais, je suis passé à côté des cadavres, c'était le lendemain le 3 environ à 10 h 45, j'étais le dernier, j'avais quatre personnes avec moi, dont une femme avec un adolescent d'une quinzaine d'années et deux autres hommes. On nous a fait descendre l'escalier principal, nous pouvions voir les corps qui gisaient au sol, les vêtements étaient intacts, ils n'avaient même pas de traces de brûlures. Par contre les mains étaient carbonisées (caractéristique des brûlures au phosphore blanc). J'ai trouvé des analyses sur internet et nous supposons qu'ils avaient utilisés des grenades FG-15. Ce sont des grenades américaines au phosphore.
Comment vous avez réussi à sortir du bâtiment ?
La grande majorité des ultras sont partis vers 10 heures du soir. Ils ont pris le train pour repartir. Les gens qui restaient étaient environ 200 à 300 personnes, des « coupe-jarrets », les plus acharnés. C'étaient eux qui étaient chargés d'achever les personnes qui restaient dans le bâtiment. Mais ils ne pouvaient pas accéder au toit, nous les aurions repoussé, en fait ce genre de personnages se sentent forts lorsqu'ils sont nombreux, lorsqu'il n'y a pas d'opposition et il aurait fallu qu'il soit dans un lieu où il n'y avait pas de témoins. Ils avaient vraiment peur de la résistance que nous aurions pu leur opposer. Lorsqu'une partie des personnes est descendue vers trois heures du matin, les tueurs ont cru que tout le monde était parti. Ils avaient peur de monter jusqu'au toit parce qu'il faisait nuit. Le matin, il y avait aussi des gens qui se rassemblaient sur la place devant le bâtiment. Vers deux heures du matin, il y avait environ près de 2 000 personnes. En plus, il y avait la Police qui encerclait le bâtiment et tous les ultras de Pravy Sektor se sont enfuis parce que de toute façon la foule les aurait lynchés.
Moi je me suis sauvé d'une autre manière, je me trouvais dans l'aile droite du bâtiment. Du côté de cet escalier, il y avait trente personnes. Nous étions bloqués là. Après nous sommes descendus dans une petite cour intérieure. Là aussi il y avait des tirs, nous nous sommes faits tabasser, ils nous tuaient, la Police nous attrapait et nous mettait dans les paniers à salade. Ils nous ont emmenés au poste du quartier. Après, il y avait des ambulances qui arrivaient, ils nous emmenaient à l'hôpital pour des soins et j'en suis parti.
Nous avions aussi avec nous des femmes de 70 ans, parmi les tentes, il y en avait une réservée pour les prières. Deux heures avant les événements, je leur ai demandé d'enlever les icônes, je leur ai donné une couverture, nous avons placé ces icônes devant les portes de la Maison des Syndicats pensant que si cela dégénérait nous pouvions les mettre à l'abri à l'intérieur du bâtiment. Toutes ses grands-mères sont entrées dans l'immeuble mais aucune n'a pu en sortir vivante. Et elles ne se trouvent sur aucune liste de victimes. J'ai vu de mes propres yeux, les gens sauter par les fenêtres et tomber dans cette petite cour intérieure. Les ultras de Pravy Sektor venaient vers eux et leur explosaient la tête en criant « Gloire à l'Ukraine ».
Il y a un autre fait qui montre que la foule n'était pas du tout dans un élan spontané mais bien dirigé, parce qu'il y avait une clôture qui sépare cette cour intérieure du parc attenant qui n'est pas très haute, moi j'ai pu observer de la fenêtre, qu'il y avait une énorme foule derrière cette palissade qui se déchaînait, mais que dans la cour même il n'y avait qu'une petite dizaine de personnes. Il y avait une personne qui leur donnait des ordres. Cette même personne je l'ai vu en vidéo avec André Paroubiy (NDT : Secrétaire du Conseil de la Sécurité d'Etat et de la Défense de l'Ukraine jusqu'à l'été 2014, intendant du Maïdan et chef du Mouvement (néonazi) de Défense du Maïdan. La veille ce dernier était venu à Odessa, ce qui démontre que Paroubiy connaissait cette personne. S'il y avait eu une enquête, si le secrétaire du Conseil de Sécurité de l'Etat connaissait personnellement les acteurs de cet événement, l'enquête pourrait être faite très facilement... Mais dans ses conditions, il faudrait exiger une enquête juste de la part de la Junte de Kiev. Comme si nous pouvions leur demander d'enquêter contre eux-mêmes !
C'est comme si nous demandions à Hitler et Himmler d'enquêter sur Auschwitz en 1944 ! Moi quand je suis sorti de la Maison des Syndicats, devant l'entrée, il y avait des affaires qui gisaient éparpillées sur le sol. Quelqu'un avait enlevé sa veste, j'ai aussi vu quatre sacs appartenant à des vieilles femmes, j'en ai ouvert un et j'ai vu à l'intérieur une carte de retraitée mais je ne l'ai pas pris car à ce moment je pensais qu'il y aurait une enquête mais en fait le gouvernement n'avait nullement l'intention d'ouvrir une procédure judiciaire. Ils voulaient plutôt détruire les pièces à conviction. Deux jours après ils ont commencé à remplacer les fenêtres où il y avait des balles fichées. Ils ont nettoyé les murs, les preuves étaient éliminées.
Et vous m'avez dit que vous vous êtes fait arrêter ?
J'ai été arrêté le 9 juin, j'ai été obligé de me cacher, de me planquer dans un autre appartement.
Est-ce que vous avez été malmenés ?
Le premier jour j'ai reçu quelques coups, mais en fait ils avaient un autre objectif, ils voulaient nous mettre sur le dos une accusation de haute trahison, ils nous incriminaient avec l'article 111, 1 er alinéa qui englobe la trahison d'Etat, le terrorisme, le port d'armes etc. Bien sûr en nous accusant d'être des agents de la Russie, mais progressivement ils ont abandonné, car ils ont compris qu'ils n'allaient pas y arriver. Et en fait, ils étaient occupés à autre chose, car au même moment la guerre a commencé dans le Donbass, ils avaient pour objectif de gagner le plus vite possible cette guerre.
Et donc vous avez été échangé contre des prisonniers de guerre ?
Oui on m'a échangé le 25 décembre.
Vous êtes restés ici ?
Moi je suis parti d'abord à Lougansk où j'ai rejoint une unité combattante et maintenant je me trouve ici (Donetsk). Le reste je vous le raconterai après la victoire. Je voulais ajouter une chose, je suis convaincu qu'il y aura un procès, un tribunal et je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'intime conviction que cela sera le Tribunal d'Odessa. Il y a eu celui de Nuremberg, il y aura celui d'Odessa ! Moi je dirais à ceux qui sont au pouvoir, Porochenko, Iatseniouk et Tourchinov (NDT : surnommé le pasteur de Maïdan, Président du Parlement (Rada) jusqu'en novembre 2014 et faisant fonction jusqu'au 7 juin avant l'investiture de Porochenko de Président par intérim et chef des Armées, Secrétaire du Conseil de Sécurité de l'Etat) et bien d'autres, ces centaines d'avortons, je voudrais leur dire, il faudrait qu'ils tremblent, il faudrait qu'ils aient peur, il y a actuellement sur le sol ukrainien des personnes qui feront en sorte qu'ils soient traduits devant ce tribunal. Il faut qu'ils regardent les visages des gens qu'ils croisent, parce qu'il y aura parmi eux la personne qui fera basculer le tabouret sous leur pied au jour du jugement dernier. L'année passée, les gens ont resserré les rangs, se sont ralliés à notre cause, 2014 leur a ouvert les yeux sur de nombreuses choses, les gens ont commencé à mieux les comprendre.
Moi j'ai amené plusieurs volontaires russes ici, tout le monde m'a dit que c'est à partir du 2 mai, après les événements d'Odessa, je ne pouvais plus dormir tranquille, jusqu'à ce que je vienne dans le Donbass. L'essence même du fascisme, du nationalisme ukrainien est bestial, ce sont des bêtes sauvages, les événements d'Odessa les ont démasqué. Nous, avant ce massacre nous étions bien naïfs, nous pensions que tout cela aurait pu se résoudre de manière civilisée, nos contradictions, nos conflits politiques.
Cela mérite de dire quelques mots, pourquoi étiez-vous là sur la place Koulikovo ?
Nous nous étions là pour réunir des signatures pour organiser un référendum pour la fédéralisation de l'Ukraine. Après la Révolution du Maïdan, les gens qui sont arrivés au pouvoir voulaient imposer leur vision des choses, leurs valeurs ( !), mais tout cela nous était étranger. C'était des gens qui cherchaient à nous apprendre comment il fallait aimer l'Ukraine et cela nous énervait. Nous pensions que la fédéralisation pouvait être une solution, nous n'avions pas l'intention de sortir de l'Ukraine, en aucun cas. Nous pensions que la fédéralisation pouvait résoudre les problèmes, il y avait des gens de la région d'Odessa, de la région Sud-Est, nous, nous avions nos propres valeurs, l'Ukraine de l'Ouest avait ses valeurs, à l'Est aussi, mais nous pensions que nous aurions pu nous entendre et trouver des compromis pour continuer à cohabiter ensemble.
Nous pensions qu'il ne fallait pas intervenir dans les affaires des autres.
Et maintenant quel est votre état d'esprit ?
De sortir de l'Ukraine !
Est-ce qu'il y aura la Novorossia ?
Oui sans aucun doute ! Ce qui a été mis en place en Ukraine n'est pas viable, la politique est suicidaire. Si vous regardez le programme, il n'y a rien de constructif, partout vous trouverez la guerre, les tueries, la lutte, éliminer les séparatistes, ils n'ont aucun projet créatif, il n'y a pas même une étincelle de vie, l'Ukraine inévitablement éclatera en morceau et sur les débris quelque chose de bien sera construit.
Propos recueillis par Svetlana Kissileva et Laurent Brayard
Tags: génocide Maison des Syndicats