Si tu ne peux ni détruire, ni contrôler ce qui risque de te porter atteinte, il est alors nécessaire de totalement brouiller les cartes, pousser le système à sa tension maximale – en tentant de ne pas perdre le contrôle de la déstabilisation, pour que les repères habituels ne soient plus pertinents. C’est ce qui semble se passer dans la gestion par le Gouvernement de la crise des Gilets Jaunes, mouvement qui remet en question l’efficacité du système politico-idéologique dans lequel nous vivons. Ce Gouvernement utilise dangereusement la violence comme instrument de pouvoir, l’entretient, voire la provoque, jouant au « chaos contrôlable ». Et se retrouve dans cette impasse stratégique pour un pouvoir néolibéral (globaliste et antiétatiste), de devoir utiliser les moyens étatiques pour se maintenir et continuer à déréguler l’Etat. D’où ce besoin de fracture entre les forces de l’ordre et la société. Et la communication étrange qui entoure les dérives brutales de policiers totalement dépassés et instrumentalisés dans un jeu qui les dépasse. A la fois, incités et montrés du doigt.
La question de la violence, policière et du côté des Gilets Jaunes, est maintenue au centre des manifestations des Gilets Jaunes, tentant presque de faire oublier le fond du problème : le rejet d’un système politico-idéologique par trop inéquitable. Des casseurs de tous poils et étiquettes se promènent tranquillement autour des manifestations des Gilets Jaunes, suivis par certains policiers, sans être interpelés alors qu’ils commettent de nombreuses infractions – en flagrant délit. En revanche, la violence latente qui en découle « justifie » le recours devenu normal aux canons à eau (pourtant interdits pendant des années), le gazage systématique comme s’il s’agissait d’insectes nuisibles dont il faut se débarrasser, les grenades de désencerclement qui ne cessent de blesser hommes, femmes, manifestants et journalistes.
Le discours méprisant du pouvoir entretient et fait monter une colère transformée en haine d’une élite qui ne représente quasiment plus qu’elle. Les déclarations sont bien calibrées, distillées un à deux jours avant la traditionnelle manifestation du samedi.
Les policiers reçoivent les ordres, sont envoyés sur place sans avoir une vision totale du tableau. Puis découvrent que les gens n’avaient pas de voie de sortie. Qu’ils avaient lancé des grenades sur un groupe finalement pacifique, alors qu’il avait été dit qu’ils étaient agressifs.
D’autres policiers, shootés aux hormones, voient leur côté cow-boy titillé par une incitation à « mâter » le mouvement. Que les ordres soient directs, que l’ambiance générale le laisse entendre, le recours à la force, bien au-delà des instructions de « défense », est implicitement légitimé et recherché par le pouvoir.
La violence est entretenue de partout. Elle semble nécessaire. Plus de 130 plaintes déposées devant l’IGPN pour abus de pouvoir par les forces de l’ordre.
Et le tout circule très vite, très bien, fait monter la pression, met la tension sociale à un niveau inédit. C’est surprenant, cela semble orchestré. Dans quel but ? Il peut y en avoir plusieurs, qui ne sont pas exclusifs les uns des autres.
Le mouvement des Gilets Jaunes, aussi dangereux soit-il pour le système politico-idéologique dominant, est une parade inespérée. Il permet de faire passer, sans débat national, des prises de positions politiques radicales et anti-nationales (comme le traité avec l’Allemagne ou le Pacte global sur la migration). Il permet aussi de justifier, post factum puisque la tendance existait avant les GJ, l’adoption des lois liberticides (comme sur les manifestations). En plus, les GJ n’ayant aucun leader politique qui pourrait présenter un réel danger pour le pouvoir en place, le mouvement donne une parfaite excuse pour ne pas tenter de réfléchir sur une réforme de fond, à une remise en cause, d’un système qui s’écroule, mais de se focaliser sur certains éléments techniques, qui n’engagent en rien, même si certaines réformes ont réussi à être bloquées par les GJ. Tant qu’ils restent restent à ce niveau de contestation, ils peuvent bloquer ou ralentir une évolution négative, ce qui est déjà un exploit en soi et est inespéré, mais ils ne pourront pas permettre un changement réel du cours politique.
Autrement dit, le Gouvernement arrive à politiquement rentabiliser un mouvement qui le menace, puisque celui-ci n’est pas encore passé au combat politique, ne cherche pas le pouvoir. Mais, pour éviter qu’il ne prenne trop d’ampleur, il faut entretenir une répression systématique, qui paradoxalement le renforce aussi. Pour cela, alors que les derniers gouvernements ne cessent de détricoter les mécanismes étatiques, de les affaiblir, la police redevient utile. Même BHL en appelle au soutien aux forces de l’ordre. C’est parce que le « système BHL » est au pouvoir et que tout pouvoir a besoin de structure.
Pour autant, cela comporte le risque réel de devoir finalement renforcer l’Etat, et donc remettre en cause tant d’année de propagande anti-étatique. Etrangement, la critique contre les forces de l’ordre est ici, dans ce contexte, très utile. La population ne doit pas/plus « aimer » sa police. La police doit détester suffisamment ce peuple, pour lancer sans cas de conscience les canons à eau, les gaz, les grenades. Les provocateurs violents, qui « veulent casser du flic », sont ici très utiles pour les faire craquer. Pour mettre en place ce climat de défiance entre les forces de l’ordre et la population.
Ce ne sont plus des gens qui ont les mêmes problèmes de fins de mois difficiles, d’insécurité, qui en ont marre de ces élites déconnectées. Non, ce n’est plus quelqu’un comme soi, c’est l’autre. Donc, on peut tirer.
La police c’est l’Etat, la renforcer serait une trahison idéologique. Elle doit être servile au politique, elle ne peut plus servir l’Etat. Ce mouvement est global et dépasse largement les frontières de la France. En Europe de l’Est, où les structures étatiques étaient très faibles après la chute de l’URSS, des réformes intéressantes ont été réalisées en ce sens. La caricature vient de l’Ukraine, qui est décidément l’avenir de cette Europe.
Bien avant le Maïdan, les groupes d’experts internationaux ont tenté d’implanter une parodie de FBI dans le système ukrainien. Finalement, cela a été fait, mais contrairement au service américain, la version édulcorée ukrainienne est tournée contre l’Etat. Uniquement. Ces « super-enquêteurs » n’ont pas compétences contre la grande criminalité, ils doivent lutter contre les magistrats, policiers, etc. Dans l’idée que le plus grand danger vient de l’Etat. Et pour contrôler l’Etat, il faut un organe très fort. Qui défende finalement – l’idéologie. Dernier exemple en date, illustrant tout le fossé entre le pouvoir et l’Etat. Ce 9 février, une quarantaine d’extrémistes du groupe S14 entrent en force dans un commissariat de police, avec des ballons de gaz et des couteaux, pour en prendre possession, comme aux plus beaux jours du Maïdan. Les policiers, excédés par ces nostalgiques fanatiques, les interpellent, après un réel combat.
Mais une vidéo tourne sur le net, montrant un des policiers crier « à terre espèce de Bandera » à un de ces nationalistes. Ce qui a provoqué un mouvement de terreur dans cette Ukraine post-Maïdan pour qui Bandera, pseudo nationaliste ukrainien qui travaillait avec les nazis, a été officiellement consacré héros national. Le policier a été interpellé, justement par les enquêteurs de ce nouveau Bureau d’investigation et mis en détention préventive pour deux mois. Les extrémistes ont été immédiatement libérés. Des policiers ont mis en ligne une vidéo déclarant « nous sommes tous des Bandera ».
La police est là pour protéger non pas l’Etat, mais le pouvoir. Même contre l’Etat.
Il serait bien que nos policiers y réfléchissent lors des prochaines manifestations. Est-ce là l’avenir qu’ils voient pour notre pays ?
Karine Bechet-Golovko
source: russiepolitics.blogspot.com