26/04/2024 arretsurinfo.ch  9min #247510

 Des preuves glaçantes de crimes de guerre israéliens mises à jour dans les charniers de Gaza

« J'ai cru arracher mon cœur à la terre »: Témoignages de la fosse commune de l'hôpital Nasser

Par  Tareq S. Hajjaj

Alors que les équipes de la protection civile continuent de déterrer des centaines de corps des fosses communes découvertes à l'hôpital Nasser, les Palestiniens affluent vers le complexe médical à la recherche de leurs proches disparus.

Une équipe de travailleurs médicaux déterre des corps de la fosse commune de l'hôpital Nasser à Khan Younis, le 21 avril 2024 (Photo ©Omar Ashtawy)

Avertissement: cet article contient des images et des descriptions dérangeantes du carnage.

Par Tareq S. Hajjaj, le 25 avril 2024

Des bulldozers fouillent de leurs mâchoires d'acier les strates de sable et de terre. Les équipes de secours creusent le sol de l'autre côté de la grande cour avec de simples pelles. D'autres creusent avec leurs mains à la recherche de leurs familles. L'endroit est surpeuplé.

Le complexe médical Nasser est devenu un vaste charnier, où l'armée israélienne a enterré les preuves d'un horrible massacre.

Au moins 13 000 personnes sont portées disparues dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre en octobre, et les gens arrivent en quête de leurs proches disparus. Même s'ils sont retrouvés morts, cela mettra au moins un terme à leur disparition.

Entre les corps démembrés, les membres éparpillés et les têtes décapitées, un grand nombre de gens sont à la recherche des membres de leur famille, ou sont simplement là pour observer. Certains n'en peuvent plus et se tiennent à l'écart, incapables de réaliser l'ampleur du carnage.

Le charnier de l'hôpital Nasser est l'un des dizaines de charniers creusés par l'armée israélienne dans toute la bande de Gaza. Les responsables de la protection civile pensent que de nombreux autres restent à découvrir.

Ayman, 51 ans, sa femme Jamila, 44 ans, et leur fils Abdul Karim, 22 ans, ont insisté pour se rendre au complexe médical Nasser après que la protection civile a annoncé que plus de 200 corps avaient été retrouvés en une journée. La famille était à la recherche du jeune frère d'Abdul Karim, disparu à Khan Younis depuis plus de deux mois.

Une fois arrivée aux portes de l'enceinte, Jamila n'a pas supporté la vue et l'odeur de la mort. Elle est donc restée plus loin avec son fils Abdul Karim, tandis qu'Ayman est entré inspecter les corps. "Je ne pouvais pas supporter de faire un seul pas là-dedans", explique Jamila à Mondoweiss, à l'entrée du complexe. "C'est une scène insoutenable : un grand massacre, un grand bassin de sang, une multitude de corps enterrés, déchiquetés".

Les équipes de la protection civile de l'hôpital Nasser affirment que les fosses communes découvertes ici renferment plus de 400 victimes. Les corps ont été enterrés à l'aide de bulldozers, qui ont démembré certains d'entre eux. Les morceaux de corps ont été mélangés aux ordures.

Ayman cherche son fils parmi les débris de corps humains éparpillés. Certains des corps en décomposition sont déjà à l'état de squelettes, alors il cherche des signes d'identification, comme les vêtements que son fils portait la dernière fois qu'il est sorti.

"Il portait un pull de laine bleue. Je l'avais acheté pour lui. Je sais exactement ce qu'il portait et je peux l'identifier grâce à ses vêtements", explique Ayman, décrivant son fils alors qu'il cherche parmi les corps sortis du sable. "Je pourrais le reconnaître même si c'était un squelette."

Ces derniers jours, de nouvelles familles sont arrivées, car les gens continuent d'affluer dans le complexe. Chaque jour, les équipes de la protection civile annoncent la découverte de dizaines de nouveaux corps enterrés à l'intérieur et autour du complexe. Certains arrivent et repartent plusieurs fois, comme Ayman et sa famille, sans savoir ce que leur enfant est devenu. D'autres sont en mesure d'identifier leurs proches et de les emmener à leur dernière demeure.

Alaa al-Arabashli, 43 ans, a identifié le corps de son fils Moaz, 19 ans, à l'hôpital Nasser. Malgré la douleur éprouvée lorsqu'il a dû ramasser le corps de son fils, le sortir de terre et l'enterrer de ses propres mains, il a ainsi mis un terme à sa disparition.

Il dit l'avoir retrouvé après que les équipes de secours ont pu récupérer plus de 40 corps sur le site de la fosse. Les équipes de la protection civile ont permis aux gens de les examiner, et rien ne permettait de les distinguer l'un de l'autre, à l'exception des vêtements. Cela lui a suffi pour identifier son fils.

Certaines familles sont invitées à enterrer leurs enfants après que des proches les aient reconnus, et elles viennent avec des fleurs pour transporter les corps vers d'autres tombes. Les dépouilles sont alignées au milieu des gens dans l'espoir de faire reconnaître certains d'entre eux par ceux qui viendront. Une fois identifiés, ils sont placés dans une nouvelle housse en plastique, recouverts d'un linceul blanc et enterrés à nouveau.

Les Palestiniens qui ont pu identifier leurs proches sont venus avec des fleurs pour transporter les corps jusqu'à leur dernière demeure (Photo © Omar Ashtawy)

Des signes d'exécution

Les équipes de la protection civile présentes sur le site rappellent que l'armée israélienne a commis un massacre à l'intérieur de l'hôpital, qu'elle a voulu dissimuler en creusant cette fosse commune.

Le colonel Yamen Abu Suleiman, directeur de la protection civile à Khan Younis, travaille sur les lieux depuis quatre jours. Il affirme que ses collègues et lui ont retrouvé plus de 300 corps jusqu'à présent, confirmant qu'un grand nombre d'entre eux présentaient des signes de torture et d'exécution.

Abu Suleiman a déclaré à Mondoweiss que les forces israéliennes ont délibérément procédé à des exécutions aveugles à l'hôpital Nasser, et ont tenté de les dissimuler dans des fosses communes après les avoir rassemblés dans des sacs empilés les uns sur les autres. De nombreux corps ont été découpés en morceaux, certains même déchirés en deux, montrant des marques de passage de chars et de bulldozers.

"Aucune éthique n'a été respectée à l'égard des victimes", a déclaré Abu Suleiman.

Les équipes de la protection civile ont rapporté avoir retrouvé des corps aux mains ligotées dans le complexe médical Nasser (Photo réseaux sociaux)

Il confirme également avoir retrouvé des corps dont les  mains étaient attachées avec du ruban adhésif en plastique, celui que les soldats israéliens utilisent pour ligoter leurs prisonniers. Abu Suleiman indique qu'il a également trouvé des corps avec les yeux et la bouche bandés.

Il précise que la collecte des fragments de corps n'est pas encore achevée et que le ministère de la santé organisera une conférence de presse dans les prochains jours pour donner plus de détails.

Il affirme également qu'il existe des dizaines de fosses communes dans toute la bande de Gaza.

"Nous continuons à découvrir et recenser des tombes dans différents lieux et en fonction du nombre de corps qui s'y trouvent, nous entamons des recherches et des fouilles dans les environs jusqu'à ce que nous trouvions les fosses communes et que nous en extrayions les corps par dizaines", explique-t-il au site Mondoweiss.

"Jusqu'à présent, quatre charniers ont été découverts dans le seul hôpital Nasser", poursuit-il. "Le nombre de morts montre bien qu'il s'agit d'un massacre, et nous avons trouvé des marques de torture sur les corps des victimes, l'estomac et la poitrine ouverts et le crâne défoncé".

Les charniers du complexe Nasser ne sont pas les premiers découverts à Gaza. Il y a quelques semaines, des charniers similaires ont été découverts dans le complexe médical al-Shifa, dans la ville de Gaza. En effet, le nombre de corps découverts à cet endroit dépasse celui rapporté jusqu'à présent à Khan Younis. Aujourd'hui encore, des corps sont découverts à la suite du  massacre perpétré par l'armée israélienne  à al-Shifa, au cours d'un siège de deux semaines de l'hôpital. Auparavant, des charniers avaient déjà été découverts dans l'hôpital turc de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza.

Aujourd'hui, l'armée israélienne s'est retirée après la fin de son assaut contre l'hôpital Nasser à Khan Younis, laissant derrière elle un scénario identique.

Euro-Med Human Rights Monitor a déclaré que l'exhumation a révélé "la présence de sondes urinaires ou d'attelles encore fixées au corps de certains patients". (Photo réseaux sociaux)

Euro-Med Human Rights Monitor a  déclaré qu'il avait jusqu'à présent documenté un total cumulé de 140 fosses communes et charniers non signalés à travers la bande de Gaza, contenant les corps de milliers de victimes depuis le 7 octobre. Ces tombes comprennent des cas documentés de personnes exécutées par l'occupant avant d'être enterrées.

"La découverte par les équipes de la protection civile de centaines de corps provenant de fosses communes dans le complexe médical Al-Shifa et l'hôpital Nasser représente un sombre chapitre de l'histoire des violations militaires israéliennes", a déclaré Euro-Med Human Rights Monitor.

En outre, selon Euro-Med Human Rights Monitor, les charniers d'Al-Shifa et de Nasser ont révélé la présence de nombreux corps dont les mains étaient liées dans le dos, ce qui laisse penser que l'armée a procédé à des exécutions extrajudiciaires de personnes arrêtées et détenues par ses soins.

De plus, l'organisation assure que le processus d'exhumation a révélé "la présence de sondes urinaires ou d'attelles encore fixées aux corps de certains patients", indiquant que des malades et des blessés ont été exécutés dans l'hôpital.

Des agents médicaux palestiniens déterrent des corps dans la fosse commune de l'hôpital Nasser à Khan Younis, le 21 avril 2024 (Photo © Omar Ashtawy)

Alaa Al-Arabashli, qui a retrouvé son fils Moaz, a déclaré qu'il n'aurait jamais pu imaginer devoir chercher son fils dans une fosse remplie de fragments de corps humains. Pourtant, il a pu y parvenir et retrouver un peu de paix.

"J'ai recueilli mon fils de mes propres mains et je l'ai emmené dans sa dernière demeure", a-t-il déclaré à Mondoweiss. "J'ai cru arracher mon cœur à la terre".

"Mais je me considère comme chanceux", a-t-il ajouté. "J'ai retrouvé mon fils. Des milliers de personnes ne savent pas où se trouvent ceux qui leur sont chers".

 Tareq S. Hajjaj

Tareq S. Hajjaj est le correspondant de Mondoweiss à Gaza et membre de l'Union des écrivains palestiniens. Suivez-le sur Twitter [X] à  @Tareqshajjaj.

Article original publié le 25 avril 2024 sur  Mondoweiss.net

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