Mohamed EL BACHIR
« Ils sont tellement fascinés par le rendement de l'outil qu'ils ont perdu de vue l'immensité infinie du chantier. » (Cheikh Amidou Khane : L'aventure ambiguë)
Les comédiens
« Depuis le début, ils me font chier les gilets jaunes. Je comprenais les revendications et puis quand on sort de Bordeaux et qu'on voit une file de camions tout ça parce qu'il y a 20 personnes qui bloquent. Comment 20 personnes peuvent emmerder autant de monde ? » (1)
Les propos cités ci-dessus ont été vociférés par le comédien François Berléand. Sans doute, le comédien ne se rend pas compte qu'il joue le rôle de porte-parole de la ''France aisée'' : celle qui ressent sans comprendre.
En effet, tant que celles et ceux, pour qui la transition entre le début du mois et sa fin est toujours formulée par la même opération, ''moins plus moins cela fait encore moins'', (2) expriment leurs plaintes dans le silence, la "France aisée'' rassurée est compatissante. Pour cette ''France'', compatir c'est comprendre !
Maintes déclarations du banquier devenu Président de la République française confirme ce état de fait. Comme par exemple : « si être ''gilet jaune'', c'est vouloir moins de parlementaires et que le travail paie mieux, moi aussi je suis ''gilet jaune''. » (3)
Une véritable réplique au comédien, François Berléand... Sans transition, on passe à l'acte suivant...
Le grand débat et le gilet jaune
Tout d'abord, une scène imaginaire : ''sous une pluie battante et glaciale, une immense foule de gueux trempés jusqu'au os, mécontente de son sort, écoute Jupiter qui, pour la calmer, lui explique pourquoi il pleut.''
Le grand débat ouvert par le chef de l'Etat ressemble à cette scène. Ce dernier croit qu'il suffit de parler et d'expliquer pour se faire comprendre. Ce qui sous-entend que ce qu'il affirme est vrai. Pourtant, il va de soi que pour se faire comprendre, il ne suffit pas de parler et d'expliquer, il faut tout d'abord démontrer !
Démontrer ? Il n'y a rien à démontrer ! Tout est écrit, entre autres, dans le traité de Maastricht. C'est dire que « la crétinisation des mieux éduqués est extraordinaire. » (4).
Mais rentrons dans le vif du sujet.
L'orientation économique que défend le Président Macron et qui se décline en démantèlement des services publics et ouverture des frontières sans contrainte à l'oligarchie financière mondiale s'inscrit dans le dogme néo-libéral, légitimé en France dans les années 80.
Avec Emmanuel Macron, certains tabous ont été levé. C'est à dire, on ose maintenant affirmer sans prendre de gants que vendre le bien commun de la ''tribu'' est un progrès. Et on justifie cette vente en affirmant que cela permettra de lutter contre le chômage. Affirmation qui reste à démontrer ! Car destruction du Code de travail aidant, le travailleur flexible et mobile avec '' l'épée de Damoclès chômage'' suspendue au-dessus de sa tête devient une variable docile pour le patronat. Une variable qui facilite la convergence vers la servitude volontaire. Ceci d'autant plus facilement que les forces de résistance des travailleurs sont de plus en plus affaiblies, voire, collaborent avec l'ordre établi.
C'est dans ce périmètre idéologique tracé par l'oligarchie financière que le ''citoyen'' est invité à ''débattre'' et à ''choisir'' librement le chemin à parcourir. Mais le chemin est toujours le même, seul est modifiable, au gré des circonstances politiques, le rythme de la marche.
D'où la question : dans un tel cadre idéologique que signifient les mots démocratie, citoyen ?
Car les femmes, les hommes réels sont divisés entre ceux qui n'ont que la vente de leur force de travail pour vivre, ou survivre avec tous les degrés intermédiaires propres à chaque société et ceux qui les exploitent. Aussi penser les humains dans leur réalité c'est penser le conflit, les luttes, sans fin, pour l'émancipation, contre ceux qui ne veulent que privilèges et asservissement.
Et donc si débat il faut, il ne peut être enfermé dans les critères imposés par le Fond monétaire internationale (FMI), la Banque Mondiale (BM) et l'Organisation mondial du commerce (OMC). Des critères que la Commission de Bruxelles impose telle une ''Loi naturelle''. Aussi, il ne faut pas s'étonner que, d'une simple revendication sociale, la baisse de la taxe carbone, le mouvement insufflé par les gilets jaunes est passé à un stade politique et idéologique où cette ''Loi naturelle'' est omniprésente bien qu'elle soit hors sujet...
Et la classe bourgeoisie française est consciente que :
1) Le véritable représentant de ses intérêts est à Bruxelles.
2) Tant que l'Etat français obéit à cette ''Loi'', il faut le protéger.
D'où la question : la souveraineté politique et économique de la France est-elle réelle ?
Oui ! A condition que la classe dirigeante obéisse à l'idéologie néo-libérale et sur le plan économique et sur plan le géo-politique.
Le vrai débat
Pour perpétuer cet état de fait, la classe dirigeante est prête à céder sur la forme : dissoudre l'Assemblée nationale, instaurer la proportionnelle...Tenir un référendum d'initiative citoyenne (RIC). En revanche est-elle prête à organiser un référendum : pour ou contre la nationalisation des moyens de productions, y compris les services publics ?
1) Un oui au nationalisations signifie un non à la dissolution de la France dans espace géo-politique dont le Maître est à Washington. Un tel choix imposerait de nouveaux défis au peuple français. Certes, difficiles à assumer mais ouvriront de nouvelles perspectives économiques et politiques auxquelles d'autres peuples de par le monde aspirent. Des défis dont le fruit est l'émancipation individuelle et collective. Mais cette émancipation exige un prix à payer. Et c'est ce prix qui donnera corps au peuple français et non la présence dans des salles de classes de drapeaux bleu, blanc, rouge.
Ce qui nous ramène de nouveau au mouvement des gilets jaunes. Un mouvement à deux visages. L'un visible qui rassure la classe dirigeante parce que social et donc récupérable. L'autre insaisissable parce que politique et idéologique...Un visage qui fait penser vaguement à la pièce de théâtre de Jean Genet, Le balcon (5). Une pièce où le propos du comédien Berléand peut être une réplique. Toujours est-il, ces propos ne méritent nulle menace mais plutôt de l'indulgence. Il est plus judicieux de proposer au comédien le rôle du bourreau dans le balcon.
Le balcon et... La lutte des classes
Le bourreau : Je cogne ? Monsieur le Juge, je cogne ?
Mais qui jouera le rôle du Juge ?
Sans hésitation, le rôle revient à Emmanuel Macron.
Le Juge : J'ai rendez-vous avec plusieurs magistrats. Nous préparons des textes de lois, une révision du Code. (Au Général) Vous ?
Le Général : Oh, moi, vos idées traversent ma pauvre tête comme la fumée traverse une cabane en planches.
Il faut préciser que ces échanges ont eu lieu dans le bordel tenu par Irma.
Irma : Il me semble que la révolte n'a pas pour but la prise du Palais Royal mais le saccage de mes salons. J'ai peur, Carmen. Pourtant, j'ai tout essayé, même la prière.
Rentre dans le bordel, Arthur, l'envoyé de la Reine.
Arthur, s'adressant au Chef de la police : ...Les révoltés sont les maîtres un peu partout...Les femmes sont les plus exaltées. Elles encouragent au pillage et à la tuerie. Mais la plus terrible, c'est une fille qui chantait.
Le Chef de la police : En somme, je suis coincé au bordel. C'est donc du bordel qu'il me faudra agir.
Dans ce bordel où l'Évêque..L'Esclave... Et la Reine ont fini par s'y réfugier.
Mais qui jouera le rôle d'Irma, la tenancière du bordel ?
Pour la distribution des rôles, il faut faire confiance au professionnalisme de François Berléand. Il choisira les personnalités les mieux appropriées.
Et sans lui manquer de respect, il n'est pas inutile de préciser que, pour des raisons que seuls l'Elysée et Matignon connaissent, Alexandre Benalla est dans l'impossibilité de jouer dans cette pièce.. Des raisons qui, par ailleurs, donnent à la République française, une vague allure de République bananière... Mais sans bananes, ce qui est, pour le moins, décevant...
M. El Bachir
(6) Jean Genet : Le balcon. Folio. Page 37, 119, 90,91.