
Par Vijay Prashad, le 7 novembre 2025
Depuis le début du mois de septembre, les États-Unis n'ont cessé d'envoyer des avertissements indiquant qu'ils envisagent une attaque militaire contre le Venezuela.
En février 2006, le président vénézuélien Hugo Chávez s'est rendu à La Havane pour recevoir le prix José Martí de l'UNESCO des mains de Fidel Castro.
Chávez a prononcé un discours comparant les menaces du gouvernement américain contre le Venezuela à des aboiements de chiens, déclarant :
"Laissons les chiens aboyer, car c'est le signe que nous sommes sur la bonne voie", ajoutant :"Laissons-les aboyer. C'est leur rôle : aboyer. Le nôtre est de lutter pour achever la véritable libération de notre peuple".
Près de deux décennies plus tard, les chiens de l'empire aboient toujours. Mais vont-ils mordre ? Telle est la question.
Les aboiements en question
En février 2025, le département d'État américain a classé le réseau criminel Tren de Aragua "organisation terroriste étrangère". En juillet, le département du Trésor américain a inscrit le Cartel de los Soles sur la liste des sanctions de l'Office of Foreign Assets Control (Bureau de contrôle des avoirs étrangers) en tant que "groupe terroriste transnational".
Aucun rapport gouvernemental américain précédent, qu'il provienne de la Drug Enforcement Administration (DEA) ou du département d'État, n'avait associé ces organisations à une menace, et aucune preuve tangible n'a été rendue publique pour étayer l'ampleur ou la coordination revendiquées de l'un ou l'autre groupe.
De plus, il n'existe aucune preuve que le Tren de Aragua soit une opération internationale d'envergure. Quant au Cartel de los Soles, son nom est apparu pour la première fois en 1993 dans un rapport vénézuélien sur les enquêtes menées sur deux généraux de la garde nationale, en référence à un insigne en forme de soleil sur leurs uniformes, plusieurs années avant la victoire d'Hugo Chávez à l'élection présidentielle de 1998.
L'administration Trump affirme que ces organisations, qui seraient liées au gouvernement du président vénézuélien Nicolás Maduro, seraient les principaux trafiquants de drogue à destination des États-Unis, sans toutefois en apporter la moindre preuve.
Or, les rapports de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et de la DEA elle-même ont toujours conclu que les organisations vénézuéliennes ne jouent qu'un rôle mineur dans le trafic mondial de drogue. Pourtant, le département d'État américain a offert une récompense de 50 millions de dollars pour toute information menant à l'arrestation de Maduro, soit la plus conséquente de l'histoire du programme.
Des enfants jouent sur la plage pendant un déploiement de sécurité à Anzoátegui, au Venezuela, le 19 septembre 2025. (© Rosana Silva R. via TriContinental)
Les États-Unis ont réactivé cette politique répressive de "guerre contre la drogue" pour faire pression sur les pays réfractaires à leurs menaces ou hostiles à l'élection de gouvernements de droite.
Récemment, Trump a notamment pris pour cible le Mexique et la Colombie, invoquant leurs échecs dans la lutte contre le trafic de stupéfiants pour attaquer leurs présidents. Bien que le Venezuela soit épargné par ce fléau, Trump n'a pas hésité à attaquer le gouvernement de Maduro avec une virulence accrue.
Des membres du groupe Método Táctico de Resistencia Revolucionaria (MTRR) après un cours en octobre 2025. (Miguel Ángel García Ojeda, via Tricontinental).
Le Nobel
En octobre 2025, la politicienne vénézuélienne María Corina Machado, du mouvement Vente Venezuela, a obtenu le prix Nobel de la paix.
Elle a été déclarée inéligible à la présidence en 2024, principalement pour avoir fait une série de déclarations jugées déloyales, avoir accepté un poste diplomatique dans un pays étranger pour plaider en faveur d'une intervention au Venezuela (en violation de l'article 149 de la Constitution) et avoir soutenu les guarimbas (agressions violentes dans les rues au cours desquelles des personnes ont été battues, brûlées vives et décapitées).
Elle s'est également montrée favorable aux sanctions unilatérales américaines qui ont dévasté l'économie du pays. C'est grâce aux initiatives de la fondation Inspire America (basée à Miami, en Floride, et dirigée par l'avocat cubano-américain Marcel Felipe), ainsi qu'à l'intervention de quatre politiciens américains, dont trois sont d'origine cubaine (Marco Rubio, María Elvira Salazar et Mario Díaz-Balart), qu'elle a obtenu le prix Nobel.
La connexion cubano-américaine joue un rôle essentiel, révélant comment ce réseau politique, déterminé à renverser la révolution cubaine par tous les moyens, envisage désormais une intervention militaire américaine au Venezuela pour accélérer le changement de régime à Cuba. Il ne s'agit donc pas seulement d'une intervention contre le Venezuela, mais contre tous les gouvernements que les États-Unis souhaitent renverser.
Ils aboient et ils mordent
En août 2025, l'armée américaine a déployé un important dispositif naval dans le sud de la Caraïbe, avec notamment des destroyers de la classe Aegis et des sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire.
En septembre, elle a engagé une campagne de frappes extrajudiciaires contre de petits bateaux de pêche dans les eaux des Caraïbes, bombardant au moins treize navires et tuant au moins cinquante-sept personnes, sans fournir la moindre preuve de leur implication dans le trafic de drogue.
Mi-octobre, les États-Unis ont déployé plus de 4 000 soldats au large des côtes vénézuéliennes, et 5 000 autres sont en stand-by à Porto Rico (y compris des avions de chasse F-35 et des drones MQ-9 Reaper). Washington a également donné son feu vert à des opérations secrètes sur le territoire vénézuélien et des "missions d'intimidation" ont été menées dans le ciel de Caracas par des B-52.
Fin octobre, le groupe aéronaval de l'USS Gerald R. Ford a été déployé dans la zone. Le gouvernement vénézuélien a, quant à lui, mobilisé la population pour défendre le pays.
Les cinq scénarios d'intervention américaine du passé
Une femme tient un fusil lors d'un déploiement de sécurité dans le quartier de Petare, à Caracas, au Venezuela, le 15 octobre 2025. (Rosana Silva R. via Tricontinental)
Scénario 1 : l'option "Brother Sam"
En 1964, les États-Unis ont déployé plusieurs navires de guerre au large des côtes brésiliennes. Leur présence a poussé le général Humberto de Alencar Castelo Branco, chef d'état-major de l'armée, et ses alliés à organiser un coup d'État qui a marqué les débuts d'une dictature féroce de vingt et un ans.
Mais le Venezuela est un cas particulier. Au cours de son premier mandat, Chávez a développé l'éducation politique au sein des académies militaires et intégré la défense de la Constitution de 1999 à la formation des officiers. Il est donc peu probable qu'une personnalité telle que Castelo Branco vienne en aide à Washington.
Scénario 2 : l'option Panama
En 1989, les États-Unis ont bombardé Panama City et envoyé des troupes des forces spéciales pour capturer Manuel Noriega, le chef de l'armée panaméenne, et l'incarcérer dans une prison américaine, tandis que des politiciens soutenus par les États-Unis prenaient le contrôle du pays.
Une telle opération serait toutefois plus complexe à mettre en œuvre au Venezuela, dont l'armée est bien plus puissante et entraînée aux conflits asymétriques prolongés, et qui dispose de systèmes de défense aérienne sophistiqués (notamment les systèmes sol-air russes S-300VM et Buk-M2E).
Toute campagne aérienne américaine se heurterait à une défense efficace, avec un risque élevé de lourdes pertes, un scénario que Washington n'est pas prêt à envisager.
Scénario 3 : l'option irakienne
C'est-à-dire une campagne de bombardements "Shock and Awe" [Choc et effroi] contre Caracas et d'autres villes pour semer la panique parmi la population et désorganiser l'État et l'armée, suivie d'une tentative d'assassinat des hauts dirigeants vénézuéliens et de prise de contrôle des infrastructures clés.
Une telle attaque inciterait probablement la lauréate du prix Nobel de la paix, Machado, à se déclarer prête à prendre les rênes du pouvoir et à aligner le Venezuela sur les États-Unis.
Cette manœuvre présente toutefois une lacune : le leadership bolivarien est profondément implanté et les principes de défense du projet bolivarien sont bien ancrés dans les quartiers populaires. L'armée ne serait donc pas immédiatement déstabilisée, comme en Irak.
Comme l'a récemment souligné le ministre vénézuélien de l'Intérieur, Diosdado Cabello,
"tout le monde se souvient du Vietnam, où un petit peuple uni et déterminé a infligé un revers à l'impérialisme américain".
Une femme de la milice paysanne (Milicia Campesina) pose avec une machette lors de la remise de son diplôme de combattante du cours MTRR, en octobre 2025. (Rosana Silva R. via Transcontinental).
Scénario 4 : l'option golfe du Tonkin
En 1964, les États-Unis ont intensifié leur intervention militaire au Vietnam après un incident présenté comme une attaque non provoquée contre des destroyers américains au large des côtes du pays.
Des révélations ultérieures ont montré que l'Agence de sécurité nationale (NSA) avait créé ex nihilo de prétendues preuves pour justifier son intervention. Actuellement, les États-Unis affirment mener des "exercices militaires" navals et aériens près des eaux territoriales et de l'espace aérien vénézuéliens.
Le 26 octobre, le gouvernement vénézuélien a déclaré avoir reçu des informations sur un plan secret de la CIA concernant une attaque sous faux pavillon contre des navires américains près de Trinité-et-Tobago, afin de provoquer des représailles américaines. Les autorités vénézuéliennes ont mis en garde contre ces manœuvres et ont déclaré qu'elles ne céderont pas aux provocations ou aux intimidations.
Scénario 5 : l'option Qasem Soleimani
En janvier 2020, une frappe de drone américaine ordonnée par Trump a assassiné le général iranien Qasem Soleimani, chef de la Force Qods. Soleimani était l'un des plus hauts responsables iraniens, chargé de la stratégie de défense régionale de l'Iran en Irak, au Liban, à Gaza et en Afghanistan.
Dans une interview accordée à l'émission 60 Minutes, l'ancien chargé d'affaires américain au Venezuela, James Story, a déclaré :
"Tout est envisageable, y compris l'élimination du gouvernement",
une déclaration sans équivoque de l'intention d'assassiner le président.
À la mort du président Hugo Chávez en 2013, les responsables américains ont prédit l'effondrement du chavisme. Douze ans plus tard, le Venezuela poursuit sur la voie tracée par Chávez, faisant progresser son modèle communautaire dont la résilience repose non seulement sur le leadership collectif de la révolution, mais aussi sur une forte implication populaire.
Le projet bolivarien relève de la responsabilité collective.
La Chine et la Russie ne laisseront pas les États-Unis frapper le Venezuela sans exiger des réponses immédiates du Conseil de sécurité de l'ONU. Pékin et Moscou sont d'ailleurs très présents dans la Caraïbe, menant notamment des exercices conjoints avec Cuba, mais aussi des missions internationales comme la Mission Harmony 2025 de la Chine.
Gageons qu'aucune de ces options ne se concrétisera.
Traduit par Spirit of Free Speech
* Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est rédacteur et correspondant en chef chez Globetrotter. Il est éditeur chez LeftWord Books et directeur de Tricontinental : Institute for Social Research. Il est chercheur senior non résident au Chongyang Institute for Financial Studies de l'université Renmin en Chine. Il a écrit plus de 20 livres, dont The Darker Nations et The Poorer Nations. Ses derniers ouvrages sont Struggle Makes Us Human: Learning from Movements for Socialism et, en collaboration avec Noam Chomsky, The Withdrawal: Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of U.S. Power.