Par Seymour Hersh
Seymour Hersh., 2004 Image Flicker
Un nouveau documentaire fait la chronique des destructions et des abus
Par Seymour Hersh
La semaine dernière Al Jazeera a publié "Investigating War Crimes in Gaza" (Enquête sur les crimes de guerre à Gaza ». Ce documentaire de 81 minutes est un réquisitoire sévère contre le traitement réservé à ceux qui souffrent toujours le plus en guerre - les femmes et les enfants - lors des représailles israéliennes aux attaques du Hamas en Israël il y a un an cette semaine.
L'attaque terrestre initiale d'Israël n'a pas permis de sauver tous les otages israéliens ni de détruire les centaines de kilomètres du système de tunnels du Hamas. Les attaques aériennes qui se poursuivent ont entraîné le massacre aveugle d'hommes, de femmes et d'enfants, jour et nuit, dans leurs maisons, leurs appartements et leurs immeubles de bureaux. Gaza, qui abrite plus de deux millions de Palestiniens, a été dévastée par les bombardements qui n'ont laissé que peu de traces de civilisation : plus d'hôpitaux, d'universités, de marchés, de restaurants ou de vie citoyenne.
La guerre à Gaza s'est étendue à la Cisjordanie, et maintenant au Liban. Les dirigeants israéliens, sous la direction du Premier ministre Benjamin Netanyahu et de fanatiques religieux à la tête des principaux ministères, ont plongé la nation dans la misère économique et poursuivent une campagne d'assassinats et d'attentats à la bombe. Les sirènes ont retenti dans tout Israël hier matin - un anniversaire tragique - lorsque quelques missiles facilement interceptés ont été tirés d'un tunnel encore opérationnel par le Hamas. L'arsenal de missiles du Hezbollah, bien plus redoutable, reste opérationnel et capable de frapper Israël en profondeur. L'armée de l'air israélienne a bombardé ce qui a été qualifié de cibles du Hamas le week-end dernier à Gaza, et l'armée israélienne poursuit sa guerre aérienne et terrestre contre le Hezbollah au Liban. On craint une attaque israélienne contre l'Iran en représailles à l'attaque de missiles iraniens contre Israël, après l'assassinat par Israël du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le mois dernier au Liban, et d'un haut responsable du Hamas, l'été dernier à Téhéran. Le meurtre est dans l'air au Moyen-Orient, et aucun dirigeant de la communauté internationale - et certainement pas l'administration Biden - n'a la capacité et la volonté d'empêcher que cela ne se produise.
L'administration de Netanyahu a été constamment soutenue par le gouvernement Biden, qui aurait fourni à Israël 18 milliards de dollars d'aide militaire depuis le 7 octobre dernier. Biden reste publiquement déterminé dans son soutien à Israël, tout comme la vice-présidente Kamala Harris. Ses collaborateurs en matière de politique étrangère, avec en tête le secrétaire d'État Antony Blinken, se font désormais plus discrets. M. Blinken et ses collègues ont passé les derniers mois à dire aux Américains qu'un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas serait conclu et que tout ou partie des otages restants seraient récupérés. Mais Netanyahu avait d'autres projets, et ce dès le départ.
La destruction de Gaza, suivie en ligne au jour le jour et à la télévision par le monde entier, sert de toile de fond à l'un des principaux thèmes du documentaire : l'impitoyable indifférence des soldats israéliens opérant au milieu de la dévastation. Il y a peu de contacts avec le Hamas, malmené par les bombardements israéliens sans pour autant représenter une menace significative sur le terrain. Rien n'indique non plus que les Israéliens poursuivent avec acharnement leur traque des 250 otages capturés par le Hamas et d'autres groupes. Les manifestations habituelles d'une guerre urbaine intense au Moyen-Orient - embuscades, combats de porte à porte et de maison à maison - n'apparaissent pas dans le documentaire d'Al Jazeera, car la guerre terrestre intense prévue avec le Hamas n'a jamais eu lieu.
Au lieu de cela, nous avons des vidéos prises par des soldats israéliens et transmises à la famille et aux amis, de soldats israéliens ennuyés qui saccagent les appartements et les maisons de familles gazaouies qui ont fui dans la panique, peut-être à cause d'un avertissement israélien selon lequel leur quartier allait être pris pour cible. De tels avertissements ont bien eu lieu, mais ils n'ont certainement pas été perçus comme un geste humanitaire par les habitants de Gaza qui ont fui à travers les rues alors qu'ils étaient terrifiés à l'idée de s'aventurer dehors.
Le documentaire montre que certains appartements, une fois libérés, ont été mis à sac par des combattants israéliens, sans gilet pare-balles, armes à terre, et filmant à l'aide de leurs téléphones portables. Sous le regard et avec la participation de leurs commandants, les soldats israéliens se sont filmés en train de piller les appartements, détruire les appareils électroménagers, briser les meubles et se moquer de la nourriture arabe. On assiste à une chasse à l'argent et, comme le font les jeunes hommes en temps de guerre, au vol de vêtements et à la fascination habituelle pour les sous-vêtements féminins, souvent portés par un soldat de Tsahal qui se pavane pendant que ses collègues le filment.
Les vidéos, transmises via les réseaux sociaux à des amis et à des familles restés au pays, dégoulinent de mépris des Palestiniens, comme si tous les hommes de Gaza, leurs femmes et leurs enfants étaient des membres purs et durs du Hamas. Le documentaire nous montre que ces vidéos ont connu un franc succès lors des nombreuses soirées dansantes organisées par les partisans de la guerre. Aujourd'hui, on ne danse plus beaucoup dans un Israël financièrement sinistré. D'autres scènes du film montrent des groupes de soldats israéliens, en uniforme et en service à Gaza, se tenant groupés au sommet d'immeubles vidés de leurs occupants et applaudissant lorsqu'un groupe d'immeubles d'habitation d'une dizaine d'étages, à quelques centaines de mètres de là, se met à vibrer, manifestement sous l'effet de bombes cachées dans le sous-sol, avant de s'écrouler peu à peu.
En tant que journaliste ayant révélé le massacre de My Lai au Sud-Vietnam et les photos d'abus sexuels commis sur des prisonniers dans la tristement célèbre prison irakienne d'Abu Ghraib par des gardiens de prison réservistes de l'armée américaine, je suis conscient que les soldats au combat commettent des actes horribles, y compris des viols et des meurtres, sur des non-combattants. Mais les photos d'Abou Ghraib n'ont été diffusées qu'entre les membres de l'unité en service ; elles n'étaient pas destinées aux tiers, y compris à la chaîne de commandement de l'armée. Il était entendu que leurs actes, s'ils étaient portés à la connaissance des hauts responsables du quartier général, donneraient lieu à des poursuites.
Ce n'est pas le cas des images prises à Gaza et diffusées à grande échelle, y compris auprès du commandement militaire. Une telle preuve de corruption au sein de la classe des officiers risque d'être ingérable à court terme, compte tenu du degré de délabrement de la direction politique et militaire d'Israël aujourd'hui.
D'autres images du documentaire m'ont paru beaucoup plus troublantes, notamment les scènes d'une marche forcée vers le sud, sous la surveillance de soldats israéliens, de familles qui avaient trouvé refuge dans un hôpital de la ville de Gaza. Cette marche a fait l'objet d'une large couverture médiatique à l'époque, mais le documentaire a ajouté des faits qui n'étaient pas connus. Les marcheurs - dont de jeunes enfants et des personnes âgées, certains se déplaçant avec des béquilles en pleine chaleur - ont reçu l'ordre d'agiter un drapeau blanc d'une main et de tenir leur carte d'identité dans une autre main tout en marchant. Ceux qui faisaient tomber l'un ou l'autre de ces objets n'étaient pas autorisés à s'arrêter de marcher pour les récupérer. Une forme de punition collective gratuite rarement observée au cours de la guerre. Un spectacle révoltant.
Netanyahu et les fanatiques religieux qui contrôlent aujourd'hui Israël ont manifestement les yeux rivés sur Gaza et la Cisjordanie, qu'ils considèrent comme des biens fonciers bientôt accessibles à une future domination des colons. On ne sait pas qui gouvernera les quelque deux millions de résidents survivants de Gaza, mais ces dirigeants devront être approuvés par Israël. Les Palestiniens survivants désespérés, s'ils sont autorisés à rester à Gaza, ne parviendront pas à s'autogouverner. Il n'est pas encore possible d'établir un bilan précis des morts au cours de la dernière année de la guerre : les estimations varient aujourd'hui entre le décompte officiel du ministère de la Santé de Gaza, qui fait état de plus de 41 000 morts, et les rapports de chercheurs, quatre fois plus élevées.
Netanyahu a été catégorique dans sa vision de l'avenir des Palestiniens. Le 28 octobre dernier, il a déclaré aux troupes israéliennes sur le point de partir au combat : "Souvenez-vous de ce qu'Amalek vous a fait, dit notre Sainte Bible". Il s'agissait d'une référence à un commandement biblique dans lequel Dieu autorise les Israélites à détruire entièrement un ennemi connu sous le nom d'Amalécites. "Et nous ne l'oublions pas", a déclaré Netanyahu.
Au chapitre 15.3 du premier livre de Samuel, Dieu ordonne à Samuel :
"Va frapper Amalek, détruis tout ce qu'il possède, sans l'épargner, et tue homme et femme, enfant et nourrisson, bœuf et brebis, chameau et âne. »
Netanyahu n'est pas le seul à faire preuve d'un fanatisme des temps modernes. Le 30 avril dernier, Bezalel Smotrich, le ministre israélien extrémiste des Finances et membre du cabinet de Sécurité, proche collaborateur d'Itamar Ben-Gvir, le tout aussi fanatique ministre de la Sécurité nationale, a repris la Bible en appelant publiquement à "l'anéantissement total" des ennemis d'Israël. Il a notamment cité trois villes de Gaza à détruire. "Il n'y a pas de demi-mesure", a-t-il déclaré avant de citer le Deutéronome [cinquième livre de la Bible hébraïque ou Ancien Testament] :
"Tu effaceras la mémoire d'Amalek de dessous les cieux: ne l'oublie point". Smotrich a ajouté qu'après la destruction du Hamas, Israël devra "éliminer, avec l'aide de Dieu, d'un seul coup, le méchant Hezbollah au nord, et envoyer un message clair : ceux qui font du mal au peuple juif subiront le même sort que ceux qui ont essayé de nous nuire dans le passé - ils seront détruits, détruits, détruits. Et ce pendant des décennies".
Netanyahu a commencé à bombarder le "méchant" Hezbollah au Liban. Peut-on avoir le moindre doute sur le sort de Gaza et de la Cisjordanie? Je ne le pense pas. Ce n'est plus l'Israël civilisé que j'ai parcouru et dont j'ai rendu compte pendant de nombreuses décennies.
Quelqu'un à la Maison Blanche de Biden prête-t-il attention aux paroles de Netanyahu, Smotrich et Ben-Gvir alors que l'Amérique envoie toujours plus de bombes et autres armes à un Israël terriblement ébranlé et sous emprise ?
Source: Seymour Hersh - 08 octobre 2024