26/04/2016  13 min #111880

Rupture avec le paradigme de la valeur (introduction)

L'exemple du langage comme système obsolète

A la rubrique "le système du commerce, basé sur l'argent, n'est qu'un reliquat culturel sans méthode scientifique", on peut aussi parler du langage.
Avec cet exemple de reliquat sans méthode scientifique on peut voir comme le temps finit par produire des résultats corrects, concrets, fonctionnels, mais seulement jusque dans une certaine limite.

En premier il faut remarquer que la langue ("la langue" qui est dans la bouche) est un langage parlé (pléonasme). On le visualise par écrit, on pratique l'écrit, quand on entend mal, on se réfère à l'écrit, mais à la base la langue est parlée. C'est à dire que la communication se fait au moyen de sons produits par les jeux de mouvements et de souffle produits par l'organe buccal.

On utilise consécutivement la gorge, la langue, le palais et les lèvres pour produire des consonnes qui viennent interrompre ou lancer des voyelles, répertoriées en 5 sonorités, elles aussi se produisant à différentes hauteurs de l'organe buccal, entre la gorge et les lèvres.

Dans le subconscient, ces hauteurs sont associées à des concepts, par exemple la gorge sort des consonnes et des voyelles primitives, au niveau de la langue on a des sons séducteurs, sexués, reproduisibles, et au niveau des lèvres des sons techniques, des précisions, réductions, affinements.

On retrouve la même chose avec les langues des sourds (dommage qu'il n'y en ai pas une internationale), où les positions sont simulées par la main (devant derrière au-dessus) ainsi que les mouvements (d'avant en arrière, de haut en bas, etc..), tout ceci combiné aux codes des mains, qui prennent le sens une fois en mouvement. Le plus souvent un mouvement est associé à un code, (toutes les combinaisons ne sont pas saturées de sens) ce qui laisse de la place à l'interprétation.

Tout cet attirail permet une communication entièrement automatique, sans qu'on n'aie jamais à revenir sur ces associations. Toujours, un son "gaguiguou" paraîtra primitif, un son "lolila" féminin, et un son "bibabo" rythmé et entraînant.

C'est seulement ensuite qu'on a associé ces sons formés par la bouche avec des graphiques. Et pourtant la pensée occidentale est principalement écrite, en référence à la graphie de la phonétique. C'est pour cela que certains on du mal à apprendre de nouvelles langues, parce qu'ils sont coincés dans un système écrit incapable de retransmettre fidèlement un son qui pourtant est très facile à imiter, si on ne pense qu'au son.

En somme, et c'est extrêmement important de le noter, un mauvais système prit pour référence lors de l'usage d'un autre, constitue un blocage psychologique qui empêche des choses simples de se faire.
On utilise le système de l'argent et du commerce pour lier les humains, mais cette façon de les relier entre eux est nocive et contreproductive, en somme, inhumaine.

Ces graphies comme je les nomme, sont les transcriptions de l'oral vers l'écrit. Dans les pays asiatiques on a procédé à l'inverse, on a d'abord créé un langage écrit, idéographique, ensuite de quoi on y a associé le langage verbal, en disant "ceci [ce graphe] se prononce comme cela". En occident on dit "ceci [ce son] s'écrit comme cela".

pictos

Si on devait concevoir une langue internationale il est probable qu'on utilisera en premier la méthode graphique, car c'est la plus légère à envoyer, ensuite de quoi on laisserait l'utilisateur le prononcer comme il le comprend, dans sa langue.

Le meilleur langage idéographique qui puisse être est à mon sens le langage pictographique. Seulement ce n'est encore qu'un balbutiement de langage, qui montre des objets du doigts, mais ne compose pas d'action, de mouvement, de transformation.

Du moins il n'en compose pas intrinsèquement, car l'évolution a apporté son lot de paradigmes, parmi lesquels le fait qu'aujourd'hui on soit capable de concevoir à quel point une signification peut être meuble, voire aller d'un extrême à l'autre sur l'échelle du sens. Ceci, sa signification est conférée par le contexte, c'est à dire qu'on déplace la dynamique de la langue à l'extérieur d'elle-même, dans le contexte dans lequel elle est utilisée. Ainsi on n'a plus des mots isolés ayant la charge d'avoir une signification générale, dogmatique, ce n'est plus possible d'avoir des dictons, car un pictogramme isolé de tout ne signifie plus qu'une vague constellation de possibilités de significations, qui reste indécise hors de son contexte.

La langue ancienne (ah oui elle est déjà ancienne) est imaginative, créative, elle stimule une simulation de la réalité pour lui conférer son sens. Ainsi la plupart de l'information issue d'une communication se situe dans le non-dit, le sous-entendu, l'implicite, voire la déduction logique (quand par exemple on nous donne une fausse excuse, clairement fausse, tout le message est ailleurs).

On s'aperçoit que ce n'est pas tant le système social sur le plan technique (de l'argent et du commerce de biens auxquels on affecte une valeur imaginaire) qui est préhistorique et bancal, qu'également tout le langage utilisé, pratiquement entièrement basé sur la capacité de l'auditeur à reconstruire le contexte dans lequel la proposition sera valide.

En acceptant de répondre, on accepte automatiquement la concordance d'imagerie mentale entre les deux interlocuteurs. Et s'ils doivent revenir sur cette imagerie mentale, ils ne font que procéder aux réglages de sens des mots qu'ils utilisent. Et finalement on observe que 90% de la communication consiste spécifiquement à régler le sens des mots qu'on utilise, de façon à ce que coïncident les imageries mentales auxquelles font référence les mots qu'on utilise.

C'est exactement comme le fait que 90% de l'activité humaine soit consacrée à faire fonctionner un système social dont le but est... indéterminé. Non fixé, impensé. L'humanité ère sans but. Elle patauge pour rembourser son quotidien tout en détruisant tout autour d'elle, jusqu'à son asphyxie, jusqu'à son auto-extermination, sans rien comprendre au pourquoi du comment. Et il en est de même avec ses langues parlées.

En même temps le langage du sous-tendu (on va l'appeler comme cela) laisse une liberté d'interprétation qui permet d'enrichir la conversation avec les vues de chacun. Également, elle permet une forme basique de transmission de pensée, dans la mesure où il s'agit de projeter une image, une sens, une émotion, de la façon la plus fidèle possible, uniquement au moyen de petits stimuli presque anodins et dénués de sens, que sont les mots. C'est aussi comme cela qu'avec certains on peut "s'entendre" presque sans avoir à parler, quand ils sont très proches et partagent leur histoire.

Avoir une histoire commune est la fondation du langage. Quand des gens s'expriment de façon internationale, leur langage devient désuet.
Au final il se produit que les langues courantes d'aujourd'hui sont (elles aussi) dans une grave crise existentielle, car elles ignorent (et sont incapables d'ingérer) d'où elles tiennent le sens, qui dès qu'on s'éloigne de son histoire, se disperse, s'efface, s'évanouïe. En somme elles atteignent leur limites fonctionnelles et deviennent obsolètes dès qu'il s'agit d'aborder des questions qui lui sont étrangères.
Et il n'y en a pas peu. En informatique, les pionniers de cette nouvelle ère passent leur temps à faire des choses indicibles. On est trop dans le détail et la miniaturisation pour pouvoir l'entreprendre avec des mots grossiers ; il ne reste que le langage métaphorique pour expliquer longuement comment assembler ensemble des fonctionnalités afin d'édifier une chose extrêmement petite.

Un autre pan est celui des lois, qui un jour seront algorithmiques, comment pourra-t-on les décrire correctement, sachant que nos vies peuvent en dépendre ? Les lois algorithmiques, écrites dans un langage formel logique, sont pourtant une nécessité structurelle évolutive. Il faut donc pouvoir en parler. A ceci aussi je ne vois qu'une solution, celle des pictogrammes. Ils peuvent constituer des phrases si plusieurs pictos sont égal à un, puis que celui-ci s'imbrique ensuite dans une autre séquence. De cette manière, on pourra, également, commander des logiciels de façon vocale (en associant un son à un picto), et directement programmer, en entrant et navigant dans les détails du logiciel, sans avoir à décrypter le code machine.

délire

Combien de fois a-t-on été les observateurs de mots ayant distordus avec le temps au point d'aller signifier l'exact contraire de ce qu'ils étaient sensés dire, tout en conservant la même robe de vertu qu'avec le sens originel ?
Ce délire est typique de l'espèce humaine, du moins dans le cas d'espèce où l'humain est comme condamné à ne plus évoluer, bloqué par ses propres constructions qui lui bouchent l'horizon.

C'est un peu comme les cuistos de "Cauchemar en cuisine" avec Gordon Ramsay, j'aime bien cette émission, elle montre la dégénérescence d'hommes qui se croient toujours aussi fiers et supérieurs qu'à leurs débuts, et qui n'ont même pas vu qu'avec les années la situation s'est dégradée jusqu'à parvenir à des stades avancés de la folie, de l'irrationnel, voire de l'horreur.

Que faut-il pour procéder à un renouveau, pour repenser l'essentiel, revenir aux fondamentaux, repartir sur de nouvelles bases ? Il faut un paradigme, une idée à laquelle s'accrocher, une raison de vivre, un but, et des méthodes pour atteindre ces buts, et des instruments de mesure pour constater (ou non) si ces buts son atteints.

Il ne s'agit plus, comme dans l'ancien paradigme où se fusionnent le sens et les stimuli, de confondre le constat qu'on veut obtenir avec ces buts eux-mêmes. J'espère être clair avec cette phrase mais je la refais : c'est une question de rapport à la réalité, parfois on se fixe des buts, et on en retire des profits. On nous fait des compliments, et la fois d'après notre action reste focalisée sur un objectif qui a vacillé subrepticement. Cet objectif n'est plus, par exemple, de se faire plaisir, de bien travailler, de créer de belles choses, mais d'obtenir les compliments qui vont avec. Et la folie s'installe quand les compliments ne suivent pas, alors pourtant qu'on réplique toujours les mêmes méthodes que celles qui ont déjà marché. La dictature s'installe quand on veut forcer les gens à déblatérer leur compliment. Au final le compliment est une forme de paiement qui rapporte énormément, et qui agi comme une drogue, dans la mesure où on ne s'en lasse pas, ne coûte aucun effort, et où il perd de son effet au fur et à mesure qu'on est obsédé par lui.

Cette forme de paiement qu'est le compliment, est beaucoup moins onéreux à obtenir en forçant les gens à les faire plutôt qu'en créant benoitement, innocemment, ce qu'on aime produire, c'est à dire en travaillant dur. D'autant plus que de nos jours, les compliments sont une denrée rare, même dans une entreprise quand on réalise un miracle, on n'a que des coups de pieds comme compliments.

Finalement l'argent qu'on utilise est une forme physique du compliment. Un riche est quelqu'un de très complimenté, on lui doit le respect, tandis qu'un pauve n'a jamais reçu de compliment de la part de personne, il n'a qu'à s'en prendre à lui-même. La seule différence entre l'argent et le compliment est qu'on ne peut rien acheter avec des compliments, il est donc futile d'en faire un but, mais ce n'est pas le cas de l'argent.

C'est ainsi que s'installe la crasse de l'enlisement dans la démence, quand un petit malin essaie d'obtenir le plus possible de résultat avec le moins possible d'effort. Il en résulte qu'à grande échelle, une fois ceci répliqué et généralisé, tout le monde produit le maximum possible d'effort avec le moins possible de résultat.

négativité

Je dis cela mais je ne dis rien : un des autres problèmes stupéfiants du langage obsolescent, outre le fait que ses sous-tendus soient glissants et traîtres, est la façon brutale et arbitraire dont s'exprime la négation.
Comme je disais le langage opère une confusion un peu folle entre le sens et le stimuli qui produit le sens. La liaison entre les deux n'est que volontaire ou culturelle, mais quand elle ne se fait pas, la réaction est brutale et sauvage. (Combien de fois ai-je été viré parce que mon code n'était pas "lisible", alors pourtant que le logiciel lui il peut le lire, et alors pourtant que ce qui est lisible pour l'un ne l'est que rarement pour les autres, et alors pourtant que moi je n'ai aucun problème à lire le code des autres.)

Cette confusion dont je parle, entre deux échelles de mesure, est le théâtre de l'opération appelée la "négation".
Quand une proposition est rejetée, on ne peut pas savoir si c'est le choix des mots pour décrire la réalité qui est rejetée ou si c'est la pensée sensée être signifiée qui l'est, auquel cas on admet la fiabilité des mots. Parfois souvent les deux sont erronés, et parfois qui plus est, les deux sont incohérents.

On n'a aucun système complexe permettant d'aller creuser vers la vérité quand on détecte globalement un problème dans une proposition. Normalement, je veux dire pour un cerveau sain, toute proposition est vraie, il suffit pour cela de cerner le cadre dans lequel elle l'est.
Le fait même qu'il y ait communication, même entre deux nucléides, implique que le récepteur va repositionner le message de sorte qu'il soit vrai, et s'enquérir du résultat. Ainsi, plutôt que de reprocher au locuteur de se tromper, en premier on cherche en quoi il dit vrai, partant du principe que ce n'est pas un débile. Mais souvent même, cet effort semble trop important et les gens préfèrent se traiter mutuellement d'imbéciles. Au lieu de chercher le "En quoi" c'est vrai, ils présupposent toujours en premier que le message est une arnaque, un mensonge, une tromperie. En cette ère orwellienne, dans cette société de l'arnaque, procéder de la sorte est un réflex de survie. La communication n'en est que plus confuse et stressante.

Dans la tête des gens, une proposition fausse renvoie systématiquement l'énoncé d'une proposition inverse. Pas seulement en appliquant la négation d'un seul mot à la proposition, mais plus souvent en faisant une contre-proposition renvoyant à une constellation de sous-tendus dont tous les points sont incompatibles avec la proposition. La barbarie mentale s'observe quand les interlocuteurs tentent d'imposer leurs constellations aux autres, et s'offusquent qu'elles ne soient pas déjà partagées, d'office.

Mais pour qu'elle soient partagées, c'est comme la couleur, les odeurs et la culture, non pas comme les goûts individuels, ça procède d'une conscience collective, descriptible par son histoire. On ne va pas entrer dans ce chapitre, simplement s'arrêter à l'observation du fait que ce soit un miracle dépassant allègrement la science, que ce processus évolutif soit capable de propulser dans des cerveaux distants les mêmes imageries mentales, faisant que dans la plupart des cas il est possible de se comprendre facilement. Et que s'offusquer de ce que parfois ça ne marche pas, relève de la plus grande fainéantise intellectuelle qui soit.

A un moment on s'aperçoit qu'il est temps de compléter notre langage courant par un langage technique permettant d'identifier de façon claire et concise des concepts qui sont déterminés de façon mécanique, comme des algorithmes ou en tous cas des fonctions logiques. On a un grand besoin d'un langage logique, où on pourrait trouver la quiétude de la recherche de la vérité. Un tel langage transformerait les interlocuteurs en collaborateurs de cette recherche. Le jour où on aura établi les bases d'un langage logique et fonctionnel, fait d'articulation, utilisant la grammaire de la systémique, et les hommes commenceront à échanger de façon efficace, à propos de choses réelles, sur lesquelles ils pourront commencer à avoir un contrôle.

conclusion

Cette petite étude nous apporte un sens critique sur les moyens qu'on se mets nous-mêmes à disposition pour travailler, et cette critique nous montre les limites que ces moyens imposent au travail lui-même. On a le plus souvent besoin que de communiquer des informations factuelles, concises et logiques, alors que notre langage oblige d'en passer par des approximations, des contournements, et des imageries qui sont souvent fâcheuses.

Pire, les relations interhumaines (professionnelles) sont souvent accompagnées de menaces induites, d'humiliation à peine dissimulée, de certaines formes de complexes de supériorité où on dit quoi faire et comment le faire sans égard pour la liberté individuelle, etc etc... là où le précepte de la liberté a ceci de fonctionnel qu'il permet à chacun d'augmenter la maîtrise de son art, et donc globalement, la puissance d'une civilisation.

Dans ce brouhaha il est difficile d'avancer avec certitude. D'autant plus quand on se trouve au centre d'une guerre infra-civilisationnelle, d'un monde qui se meure, par la faute de son difficile et tortueux rapport à la réalité.
 dav

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