25/04/2016  7 min #111794

Rupture avec le paradigme de la valeur (introduction)

Miracle

On avait entendu parler d'une ville, dans un pays lointain dont on ne connaît plus le nom, et auquel on n'en n'a pas encore donné de nouveau. On avait réussi, après des années difficiles, à retrouver un semblant d'équilibre dans notre ferme isolée. Avec les années les compagnons ont augmenté en nombre et en âge, et nous sommes devenus une de ces rares petites communauté où, parfois, il faisait presque bon vivre.

Puis on a entendu de parler de cette ville, ça ne pouvait être qu'une légende, autrement dit encore une arnaque, pour nous faire lever le camp et s'approprier nos terres que des années de labeur avaient rendues fertiles, pour en faire d'autres terrains vagues que piétinent la haine et la sauvagerie.

Mais la rumeur se faisait insistante, et ce qui rendait crédible cette histoire nous faisait rêver. Nous ne sommes que des hommes, nous devons évoluer, nous sommes prêts à tout abandonner pour partir à l'aventure, car c'est notre destinée.

Un éclaireur nous avait succinctement confirmé la réalité, et nous nous préparâmes pour une première expédition, armés de ceux qui voulurent bien nous suivre, de quelques rations de survie, et bien sûr de quelques armes pour abattre les bandits de grands chemins. Mais notre plus grande arme était de pouvoir tenter de convaincre ceux qui voulaient nous dépouiller de nous suivre, en leur racontant où nous allions. Peu d'entre eux seraient prêts à le croire, mais nous devions essayer.

Nous rêvions de les convertir à une autre foi, autre que celle qui consiste à détruire et consommer pour survivre, au détriment des autres et de soi. On leur parlait d'un monde d'abondance et de partage, qui en quelques années était devenu une grande cité, avec des buildings neufs et brillants comme à la grande époque. Une ville puissante et organisée, rationnelle, où l'argent n'avait pas court, où les décisions étaient collectives, les gens cultivés, où il y avait des jardins partout, et des maladies nulle part.

Peut-être que cette vision était romancée, on ne savait pas vraiment ce qu'on allait trouver, mais l'idée même de que ce monde existe faisait vibrer notre cœur. Même si ce n'était qu'un rêve, il méritait qu'on essaie de le poursuivre, en traversant le néant, des lieux sans noms, des villes abandonnées pleines de pièges mortels et de racines qui les fait se déclencher en poussant.

On décidait de passer par les montagnes pour diminuer les mauvaises rencontres, et pour gérer au mieux l'énergie qu'il nous resterait pour arriver à destination. Nous passâmes une nuit dans un bivouac sous la neige, nous n'avions pas mangé depuis des jours, mais au moins ici nous avions de l'eau potable, une denrée si rare qu'à elle seule elle nous sert de repas.

Au matin, nous avons préparé le bivouac le plus scrupuleusement de monde, en veillant à ne rien perdre dans la neige, veillant aux femmes et aux enfants, avec un sens de la méthode que nous avait enseignée la simple survie en milieu hostile. C'était ça, ce qu'était devenu notre monde, et seuls les plus vieux gardaient la mémoire d'un monde de bruit de et fureur, où les apparences de la civilisation masquaient un esclavage larvé et une souffrance contenue. Mais les apparences sont toujours rapides à disparaître quand la vérité gronde derrière. Un monde hostile, dangereux, où on ne peut faire confiance qu'à Dieu.

Avec le recul, c'était peut-être aussi le laboratoire de notre expérience de la vie, mais quel chemin poursuivions-nous ? Comment croire que cette souffrance aura au moins servi à nous apprendre à nous écouter nous-mêmes, alors que dans le vieux monde bruyant et muselant, tout était fait pour nous faire taire, nous diminuer, nous humilier. De quel grotte sortons-nous, et qu'y a-t-il dehors ?

A peine nous fîmes quelques centaines de mètres, les bébés commençaient déjà à pleurer, le pas était long et nous étions déjà en retard sur notre horaire, qu'une lueur perça le brouillard matinal.
Devant nous il y avait une grande vallée, et les hommes arrivèrent à cet inflexion en se demandant pourquoi on s'était arrêtés.

Il y eu comme une sorte de musique enchanteresse dans nos têtes. Ce silence rimait avec celui d'une paix. On se pris à croire un instant que toutes nos souffrances étaient finies, nos hivers difficiles, nos conflits intestinaux, et toute cette lutte permanente pour retrouver la raison.

C'était bien une lumière, et très vite le brouillard tombait dans la vallée pour laisser place à une vue dégagée, encore partiellement dans l'ombre de la montagne, et au loin une sorte de phare, ou de reflet du soleil. Ce que nous vîmes ensuite, ne laissa échapper aucun mot.

C'était bien un building flambant neuf, aux formes rondes, aux terrasses pleines de verdure, et aux milles fenêtres. En se dissipant avec pudeur, la brume laissa entrevoir des maisons, des arbres verts, des chemins en terre blanche, des cultures, et encore des cultures, d'autres arbres, des maisons, encore et encore, tout autour. Toute une branche de notre espèce animale, qu'on ne connaissait pas, vivait ici. Cela ne pouvait être qu'Humain !

On sentait l'air frais entrer dans nos poumons et les abreuver d'un oxygène pur et dynamisant. On sentait notre sang circuler de plus en plus vite, comme une bouffée de chaleur, et en y mettant la main, on sentait notre cœur palpiter.

Après tout ce que nous avions traversé, tous ceux qui sont tombés, qu'on a vu mourir en laissant expirer un dernier désarroi, on se rend compte soudain qu'on a vécu dans l'ombre d'un fatalisme psychotique, et on ne s'en rendait pas compte. Vaillants, on luttait, on ramais à contre courant, mais on était dans le mauvais bateau. Que dire, que penser à ce moment-là ?

Il y avait là devant nous la démonstration flamboyante de ce qu'est l'Humanité.
Ces gens isolés, oubliés, se sont entendus presque sans avoir à parler, d'après la légende. On dit qu'un jour ils se sont regardés, et se sont mis à agir, donnant à ceux qui avaient besoin, montrant l'exemple à leurs enfants, sans jamais dire un mot. C'est comme ça que cette population avait surmonté son état de choc. Et avec les années, le cercle vertueux n'avait jamais cessé. Et années après années on entendait parler de cette cité de la paix, cette ville de lumière, dont on racontait les histoires à nos enfants pour les faire rêver d'un monde meilleur, sans trop y croire nous-mêmes.

Et ce monde existait ! Il existait forcément, car il était possible, mais il existait réellement !
L'émotion couvrait le moindre mot, nos gorges étaient gonflées et les larmes mouillaient nos yeux. On ne ressentait que de la joie, du bonheur. Nos pensées étaient purement généreuses, c'était la première fois de notre vie que nous pleurions pour autre chose que nous-mêmes ! Et en pensant à cela, on se mirent tous à chialer.

On pleurait pour le monde qui avait été perdu, pour le gâchis, pour la souffrance qu'il avait dû subir, que Nous lui avions fait subir. Nous pleurâmes pour tous ceux qui eurent à souffrir sans fin d'une histoire si terrible qu'on ose à peine la raconter, à leur place, en leur nom, et aussi finalement, on pleurait comme jamais on avant pleuré avant, alors que c'était Avant qu'on aurait dû le faire ! On pleurait à leur place, à la place de ceux qui avaient cédé leur monde à des bandits.

Toute cette souffrance pourquoi, et comment ? Nous avions bâti une civilisation, et elle nous avait échappé des mains, nous en avions perdu le contrôle, et elle est devenue notre ennemie. Nous y étions presque, nous aussi on avait des immeubles luisants, comme ceux-là ! Mais quelle sorte de jalousie peut-on avoir ? Eux ils en sont les bâtisseurs, non les locataires. Ce monde qui est là sous nous yeux, est celui d'une humanité qui a gagné le pari le plus impossible de l'histoire du monde. Jamais auparavant, et plus jamais ensuite, l'histoire de l'humanité n'aura été aussi proche de sa propre extermination.

Les dangers que nous vivons, viennent de nous-mêmes, et ils peuvent être mortels. Ils nous poussent à nos retranchements. La vie, l'évolution, l'existence, sont périlleux et magnifiques ! Tout autour de nos, et notre biologie qui est en nous, nous le crient chaque jour, rien n'est gagné, tout est dans un fragile équilibre, et pourtant si ça marche, si la vie existe, c'est toujours en procédant du miracle le plus grandiose qui soit !

Nous, humains, êtres complexes et métaphysiques, n'échappons à cette règle qu'à la condition de s'offrir le luxe de ne pas en être conscients.
Et là nous avons devant nous la solution, la façon dont tout cela se termine, et également le seul et unique chemin possible parmi les milliards d'autres qui mènent tous à la destruction.

On se dit, devant la splendeur et l'énergie vitale qui se dégage de ce simple faisceau de lumière dont le reflet s'éloigne maintenant, on espère, on prie pour que l'humanité se souvienne toujours, tout au long des périples qu'elle aura à rencontrer, tout au long de son histoire future, que jamais elle ne devra oublier la splendeur de cet instant, celui du miracle de sa naissance.
 dav

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