À peine pensait-on que les « fake news » (fausses informations) avaient donné tout leur jus, que BuzzFeed surgit pour en rajouter une couche. La publication, par ce site, d'un dossier bidon - non vérifié et bourré d'allégations gratuites - sur Donald Trump et ses prétendus liens avec la Russie marque un nouveau palier dans la descente sans fin du niveau journalistique.
Cela montre à quel point de désespoir en sont arrivés ceux qui essaient à toute force de saboter des relations meilleures entre les États-Unis et la Russie.
Le document - comme BuzzFeed lui-même le reconnaît - a été concocté par des « opposants politiques » à Donald Trump et remis au FBI par le fauteur de guerres en série et anti-russe obsessionnel John McCain.
Des « sources très bien informées » ont aussi prétendu que le document en question était l'œuvre d'un ancien agent du MI6, dont on nous dit qu'il aurait « plongé dans la clandestinité ».
Si tout cela est vrai, l'entrée en jeu de James Bond ne serait pas une surprise absolue. Car lorsqu'il est question de subvertir la démocratie en jouant la carte du « péril russe », les services secrets britanniques peuvent se targuer d'une assez grande expérience. De fait, le dossier « Douches dorées », et la manière dont il a été porté à l'attention du public, présente des ressemblances troublantes avec une autre révélation bidon qui a circulé en 1924 et dont le but, justement, avait été de mettre un terme au rapprochement du Royaume Uni avec la Russie.
En janvier de cette année-là, le tout premier gouvernement travailliste de l'histoire d'Angleterre est arrivé au pouvoir. Le programme économique du Labour était timide, mais ce qui alarma surtout l'establishment, ce fut le désir exprimé par ce parti d'améliorer les relations avec l'Union soviétique. Le Premier ministre Ramsay MacDonald reconnut officiellement le gouvernement soviétique au mois de février, proposa de nouveaux accords avec Moscou et ouvrit des négociations pour un prêt du Royaume Uni à l'URSS.
Mais cela n'allait tout simplement pas être autorisé à se produire. Après que le Procureur général travailliste eût abandonné les charges contre un écrivain communiste qui avait incité les soldats à ne pas tirer sur « leurs frères ouvriers » lors d'une grève, les Libéraux et les Conservateurs s'unirent pour réclamer une enquête, dont la motion fut rédigée par Sir John Simon, qui devait plus tard qualifier l'incident de « Trumpery » (oripeau).
De nouvelles élections furent convoquées pour la fin d'octobre. Quatre jours tout juste avant qu'elles aient lieu : sensation ! Sous les titres « Plan de guerre civile des maîtres des socialistes : les ordres de Moscou à nos Rouges » - « Découverte d'un grand complot », une lettre fut publiée par le Daily Mail, provenant, prétendit-on, d'un dirigeant bolchevique : Grigory Zinoviev.
Cette lettre était marquée « top secret » et transmettait des instructions quant à la manière de provoquer une révolution en Grande Bretagne. Elle ajoutait que la reconnaissance de l'URSS par le gouvernement travailliste aiderait beaucoup la cause communiste.
Le Kremlin contesta avec véhémence l'authenticité du document. « Hé, que voulez-vous qu'ils disent d'autre ? », firent les anti-russes avec un clin d'œil entendu.
« La lettre rouge provoqua un grand émoi » a écrit l'historien A.J.P. Taylor. « Le parti travailliste fut accusé de complicité avec les Russes, ou alors d'être leur dupe ».
Les Tories auraient peut-être gagné les élections de toute façon, mais le coup avait porté grand tort au Labour qui perdit 40 sièges. Les Conservateurs revinrent au pouvoir après en avoir été éloignés moins d'un an et ne signèrent pas de traités avec Moscou. L'establishment anti-russe put se rendormir sur ses deux oreilles : l'isolement de l'Union soviétique allait pouvoir se poursuivre.
C'est aujourd'hui un fait universellement admis que la lettre de Zinoviev était un faux grossier. En 1999, un nouveau rapport réclamé par le ministre des Affaires étrangères travailliste Robin Cook a révélé que la lettre avait été fabriquée par la source d'un agent du MI6 et « probablement transmise par quelqu'un du SIS (les services d'espionnage connus sous l'appellation de MI6) au Bureau Central du parti Conservateur. »
En 1924, c'est donc le Kremlin qui disait la vérité. Et c'étaient ceux qui ne voulaient surtout pas de meilleures relations avec Moscou, les barbouzes, les politicards anti-russes et leurs hommes à tout faire des médias qui avaient répandu des « informations fausses ». Quelqu'un d'autre que moi fait-il le parallèle avec aujourd'hui ?
La lettre de Zinoviev de 1924 n'est pas le seul exemple d'intervention des service secrets britanniques dans le but de saboter les relations du pays avec Moscou. Dans son livre de 1987, Spycatcher [inédit en français ndt] Peter Wright révèle des complots du MI5 (et de la CIA) pour déstabiliser le Premier ministre travailliste Harold Wilson, dans les années 1960 et 70. On sait que le MI5 a conservé un dossier secret sur Wilson pendant toutes ses années au parlement (de 1945 à 1983).
Les opposants à Wilson l'ont accusé d'être « paranoïaque », mais, comme l'a fait remarquer Joseph Heller dans Catch 22, ce n'est pas parce que vous êtes parano qu'ils n'en ont pas après vous. À présent, en 2017, la cible n'est plus Ramsay MacDonald ou Harold Wilson, c'est Donald Trump.
« Les douches dorées », document aussi louche que la lettre de Zinoviev, poursuit exactement le même but : anéantir tous les espoirs de meilleures relations avec la Russie et forcer à la poursuite de la guerre froide.
Si Le Donald persiste à vouloir établir un nouveau partenariat avec la Russie, soyez sûrs qu'on nous dira que c'est parce que Poutine le fait chanter, qu'il n'y a pas d'autre explication possible. Bien sûr, ce sont en réalité les services secrets occidentaux et leurs féaux serviteurs de la politique et des médias qui pratiquent le chantage. Le message qu'ils envoient à tout dirigeant éventuel des États-Unis ou de Grande Bretagne est clair : si vous ne vous alignez pas sur les diktats de l'establishment à propos de la Russie, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour vous détruire. Les pressions qui s'exercent sur Donald Trump pour le forcer à se coucher sont effarantes. C'est cette tentative d'intimider brutalement les « dissidents » de la politique étrangère pour qu'ils s'alignent sur la volonté de l'État Profond et l'ardeur complice des médias à diffuser leurs «fausses informations» pour imposer leur programme qui font les sujets importants. Quand il s'est agi du PizzaGate, tout le monde s'est contenté d'en rire, mais dès lors qu'il a été question de « douches dorées », cela a aussitôt été « Vrai ou pas vraie, cette histoire est importante et il faut qu'elle soit mise sur le tapis ».
Et tout ça, c'est la faute à la géopolitique.
Pour mettre à jour la citation d'A.J.P. Taylor à propos des travaillistes et de la lettre de Zinoviev : Trump a été dénoncé comme complice des Russes ou au moins comme leur dupe. Et il en ira de même pour toute personnalité publique qui voudra changer la politique étrangère du camp occidental.
Si on veut comprendre pourquoi la perspective de meilleures relations avec la Russie terrifie à ce point l'État Profond, tout ce qu'il y a besoin de faire - comme je l'ai déjà noté ici - c'est suivre la piste de l'argent. Ainsi qu'aurait pu le dire le grand Upton Sinclair, c'est dur de faire comprendre à quelqu'un qu'il n'y a pas de « péril russe », si son (très haut) salaire dépend de l'existence d'un « péril russe » et de sa promotion agressive.
Pour justifier son énorme budget - particulièrement en temps d'« austérité » - le MI6 a, tout comme l'OTAN, besoin d'un épouvantail russe. Pas plus tard qu'en décembre dernier, le chef de ce service, Alex Younger, s'en est pris à la Russie pour ses opérations en Syrie qui ont, c'est vrai, mis en échec aux plans des Anglais, des Américains et de leurs alliés pour provoquer un changement de régime dans ce pays. Il n'est pas inintéressant de noter que ce ne sont pas seulement les « douches dorées » mais aussi les accusations de « hacking » par la Russie qui trouvent leur origine dans les services secrets anglais.
Ensuite, bien sûr, vous avez tous les grands pontes « experts » et « consultants », dont les salaires sont payés par des think tanks « non partisans », néanmoins financés par des « sociétés de défense » US. Et les belliqueux politiciens appâteurs d'ours dont les campagnes sont financées par l'establishment militaro-industriel.
L'hyper-faucon de la guerre froide Henry « Scoop » Jackson, dont le nom survit dans le think tank Henry Jackson Society, avait été surnommé « le sénateur de chez Boeing » à cause de ses liens avec l'industrie de l'armement.
Les populations des États-Unis et de Grande Bretagne pourraient souhaiter que leurs pays respectifs entretiennent de meilleures relations avec la Russie et oeuvrent avec elle à l'éradication des périls véritables tels qu'ISIS (État Islamique, ex-ISIL). Le problème hélas, c'est qu'il y a trop de monde, dans les cercles du pouvoir, qui ne le veulent absolument pas.
Gens de gauche anglais qui trouvez drôle ce qui arrive à Trump, méfiez-vous. Car la même stratégie sera déployée contre le dirigeant de votre Labour Party Jeremy Corbyn, s'il continue à défier les barbouzes et les gardiens de but néocons en appelant à une fin de la guerre froide bis. Qui sait ? Un dossier douteux sur « Corbyn le Collabo » pourrait bien être déjà prêt à circuler grâce à quelques journalistes « sympathiques » et sites web anti-russes dont l'opposition de principe aux « informations fausses » et à la propagation d'affirmations sans fondement s'évanouira comme par enchantement. [Ç'est fait : informationclearinghouse.info ! ndt]
Neil Clark - RT - 14 janvier 2017
Original : rt.com
Traduction : c.l. pour Les Grosses Orchades