Il n'y a pas d'autre solution que de pousser à plus de débats ouverts pour mieux lutter contre les «fake news» sinon, poussés par la censure, les gens auront encore moins confiance dans les médias mainstream, estime l'essayiste Jean Bricmont.
RT : Quelles sont vos préoccupations quant aux médias qui se chargent de détecter des «fake news» et qui eux-mêmes produisent des fausses informations ?
Jean Bricmont (J. B.) : En effet, les médias mainstream diffusent eux aussi des «fake news», du moins c'est mon opinion. On pourrait parler des armes de destruction massive pour lancer la guerre en Irak en 2003. Mais c'est déjà bien connu. On peut prendre l'exemple de l'attaque à l'arme chimique de l'armée syrienne en août 2013. Il y a eu des rapports très sérieux du MIT démontrant que ce ne pouvait pas être le gouvernement syrien qui l'avait utilisée. Il y a eu aussi le supposé génocide à Alep-Est où aucun des journalistes n'était sur place et dont on ne trouve aucune trace. Où sont les preuves ? Il n'y a que des allégations et des accusations. En ce qui concerne l'Ukraine, qui a violé l'accord de Minsk ? Le gouvernement ukrainien ou les autoproclamés rebelles ? Si le Kosovo a eu le droit de faire sécession avec la Serbie, pourquoi la Crimée ne pouvait-elle pas le faire avec l'Ukraine ? Ce sont des questions que les gens se posent et pour avoir des réponses, ils se tournent vers des médias alternatifs. Parfois vers d'excellents sites, parfois vers de très mauvais. Ils lisent parfois des «fake news». Ils le font parce qu'ils sont en colère contre les médias mainstream, ils ont l'impression que ces médias ne leur disent pas la vérité.
RT : Cela peut-il influencer l'opinion publique ?
J. B. : Je pense que c'est un coup d'épée dans l'eau. Les gens font de moins en moins confiance à leurs médias. C'est ce qui explique le succès de RT. C'est un peu comme ce qui est arrivé avant la chute du mur de Berlin et de celle du rideau de fer. Avant cela, les citoyens écoutaient Radio free Europe, une radio américaine qui diffusait en réalité beaucoup de propagande américaine mais que les gens l'écoutaient car ils ne croyaient plus en leurs médias. Qu'ont fait les autorités soviétiques et de l'Europe de l'Est ? Ils ont essayé de limiter ou d'interdire cette radio, d'empêcher leurs citoyens de l'écouter. Quel a été le résultat ? Cela s'est retourné contre eux. Cela a donné d'autant plus de crédibilité à ce média. Les populations ont continué à l'écouter comme une alternative à leurs propres médias d'Etat. Aujourd'hui, les citoyens ont perdu foi dans les médias occidentaux. Comment répondent ces derniers ? En faisant des listes de sites à bannir ou à éviter, comme l'Eglise catholique l'a fait avec les livres. Cela va pousser les gens à aller sur ces sites. Certains sont très bien et d'autres pas du tout. Mais cela va attirer des lecteurs sur l'ensemble de ces sites décriés. Cela va finir par se retourner contre eux. Ce phénomène ne sera pas forcément immédiat mais à long terme, cela me semble inévitable.
RT : Comment peut-on lutter contre les «fake news» ?
J. B. : Pour tout vous dire, je ne sais pas. Je pense que la seule alternative aux «fake news» reste d'avoir des informations honnêtes et des médias honnêtes. Edward Snowden l'a dit lui-même. Mais les médias occidentaux, en supportant tant d'interventions en Libye, en Syrie ou en Ukraine, se sont enfermés eux-mêmes dans des scénarios. A présent, les Etats-Unis vont peut-être changer de politique ou de stratégie et cela les fait paniquer. On peut voir en France des candidats comme François Fillon, Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon, qui s'interrogent sur la pertinence de l'OTAN. Il y a donc une certaine panique qui s'installe dans les médias français. Ce qui explique peut-être pourquoi ils encouragent cette ligne mainstream qu'incarne Emmanuel Macron. Tout est mis en place pour le mettre en avant. Je n'ai jamais vu de manipulation pareille de toute ma vie venant du côté occidental. Même pas pendant la Seconde Guerre mondiale. Je suis atterré.
RT : Facebook et Google ont tous les deux été accusés de promouvoir des sujets particuliers en dépit d'autres. Est-ce correct qu'ils décident désormais ce que sont les «fake news» ou pas ?
J. B. : Non. Il n'y a jamais qu'une seule réponse à tout cela, c'est le débat ouvert et libre. Il ne peut pas y avoir d'alternative car il reviendra toujours la question de «qui va décider ?». Ce sera forcément une sorte de comité de la censure. Qui pourra alors nous dire quand ces derniers raconteront de fausses histoires ? Puisqu'ils auront le pouvoir de supprimer les vues sur les autres sources et de les censurer, quand ils partageront des «fake news» comme ils l'ont fait par le passé, personne ne pourra les contredire ou même les critiquer. La logique derrière cela est totalitariste. Je ne pense pas que cela ira jusque là, mais cette logique est bien présente dans leurs outils de lutte contre les «fake news». Ils n'iront pas jusque là, car il y aura toujours en France et ailleurs des journaux locaux qui ne seront pas d'accord avec eux et donneront des points de vue alternatifs. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas d'autre solution à mon sens que de pousser à plus de débats ouverts. Dans ce genre de discussions, on n'a pas d'autres choix à terme que de ne dire que la vérité.
RT: 10 févr. 2017
Jean Bricmont est docteur en sciences et essayiste belge. Professeur à l'Université catholique de Louvain, il est auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages dont La république des censeurs, Impostures intellectuelles (avec Alan Sokal).
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Source: francais.rt.com