L'élection présidentielle américaine a permis une nouvelle fois de constater l'aggravation du fossé entre les médias traditionnels, porte-paroles des élites mondialistes, et les masses populaires.
Comme je le signalais dans un précédent article, la victoire de Donald Trump sur la candidate de l'establishment, Hillary Clinton, a constitué un camouflet retentissant pour le système médiatique américain qui s'était massivement engagé derrière la candidate démocrate.
La couverture des élections de la part des médias traditionnels, CNN, CBS, ABC, ou encore le New York Times, a été particulièrement partisane, comme le montre le temps d'antenne consacré à la « Trumptape », comparé aux révélations de Wikileaks sur Hillary Clinton selon le calcul du Media Research Center pour la période du 07 au 18 octobre :
Cette couverture médiatique particulièrement biaisée fut elle-même le résultat d'un système de collusion organisé par Hillary Clinton et son staff de campagne avec les directeurs de rédaction et les journalistes des principaux organes d'information, dont les révélations de Wikileaks ont donné un aperçu.
Ce système de collusion médiatique apparaît cependant davantage attaché à une communauté d'intérêt et à une idéologie commune qu'à la personnalité ou le programme politique de la candidate démocrate, visible à travers le soutien du milliardaire et promoteur de la mondialisation George Soros. Ce dernier, partisan idéologique et fanatique de « sociétés ouvertes » engagées dans la mondialisation libérale et la destruction des identités et des souverainetés nationales, a ainsi financé le parti démocrate à hauteur de 25 millions de dollars et injecté plus de 100 millions - par l'intermédiaire de son organisation mondiale Open Society - dans divers groupes de presse dans le but de promouvoir son idéologie.
Pourtant, malgré le soutien massif de Wall-Street et du système médiatique, malgré les sondages biaisés annonçant une large victoire de la candidate démocrate, le peuple américain a porté au pouvoir le conservateur et nationaliste économique Donald Trump, candidat largement auto-financé et qui avait justement axé sa campagne sur la dénonciation d'un système corrompu au profit d'élites mondialisées, comme l'illustrait notamment Donald Trump's Argument For America .
Le succès de l'homme d'affaire a ainsi servi de révélateur de la défiance du peuple américain envers ses élites et ses médias institutionnels. La campagne présidentielle a ainsi vu la victoire des sites d'information conservateurs « anti-système » tels qu'Infowars et Breitbartnews. Dans les dernières semaines de la campagne, Infowars et Breitbart ont ainsi dépassé en audience le site Internet de CNN rebaptisé par ces derniers « Clinton Network News ».
Selon l'AFP, Breitbart a égalé le Wall-Street Journal en nombre de visiteurs lors du mois d'octobre et il a suscité davantage de réactions et de partages sur les réseaux sociaux le soir de l'élection que CNN ou Fox news. Steve Bannon, directeur de campagne de Donald Trump et également directeur de Breitbart, a été nommé « conseiller spécial » et chef de la stratégie de la nouvelle équipe constituée par l'homme d'affaire et prévoit d'ouvrir une version française et allemande du site, de quoi donner des sueurs froides aux élites européennes. Au lendemain de sa victoire, le nouveau président américain a également tenu à féliciter le média infowars animé par Alex Jones et les « infowarriors » qui ont joué un rôle essentiel dans la diffusion du message anti-globaliste porté par le milliardaire.
Face à cette désertion massive de la population en faveur de médias ouvertement « anti-mondialisation » sur Internet, le système médiatique traditionnel se trouve ainsi confronté aux limites que pose à son modèle d'audience captive la liberté et la pluralité de l'information en ligne, que ce soit aux États-Unis ou, dans une moindre mesure, en Europe.
Alors que ces mêmes médias ont perdu la majeur partie de leur crédibilité par leur couverture largement fantasmatique des conflits ukrainiens ou syriens, et pour avoir complaisamment relayé les campagnes de propagande gouvernementales visant à instaurer une « nouvelle guerre froide » avec la Russie accusée d'être à l'origine des fuites de Wikileaks ou de manipuler Donald Trump, ils se sont maintenant lancés dans une nouvelle fuite en avant destructrice en accusant les médias indépendants opérant sur Internet d'être à l'origine d'une manipulation de l'opinion publique ayant débouché sur l'élection du « mauvais candidat ».
Le désarroi qui touche les médias traditionnels, est résumé ainsi par Steve Bannon dans une interview au Hollywood Reporter :
« La bulle des médias est le symbole de ce qui va de travers dans ce pays. [..]. C'est juste un groupe de personnes se parlant à elles-mêmes et qui n'ont aucune idée de ce qui se passe en réalité. [..]. C'est un cercle étroit dans lequel Hillary Clinton puise ses informations et sa confiance. C'est ce cercle que nous avons ouvert.»
Les élites politiques et médiatiques font effectivement partie d'un même cercle, d'une bulle très étroite largement détachée du monde réel dans lequel vit la population, et qui œuvre à l'imposition d'une réalité qui corresponde à ses intérêts de classe. Cette bulle comprend également les élites économiques représentées par le système financier et Wall-Street. Il s'agit d'une « classe prédatrice » qui a construit la globalisation pour servir ses intérêts contre ceux des classes moyennes.
Comme l'analyse Paul Craig Roberts et comme l'a montré l'analyse sociologique des résultats électoraux aux USA, Donald Trump a ainsi largement rassemblé les votes de la classe ouvrière et de la partie paupérisée de la classe moyenne victime de la désindustrialisation. Il ne s'est agi en aucun cas, d'un vote ou d'une division « raciale » de l'électorat comme les grands médias se sont plu à le marteler, mais d'un vote et d'une division essentiellement sociale. Donald Trump a ainsi recueilli plus de voix chez les minorités ethniques noires et hispaniques que le précédent candidat républicain Mitt Romney.
A mesure que son pouvoir et que son idéologie est contestée, à mesure que ses intérêts sont menacés, la classe prédatrice réagit par un durcissement de ses positions et le recours à la coercition. Ce furent les manifestations organisées par l'organisation MoveOn.org financée par l'Open Society de Georges Soros aux États-Unis pour contester l'élection de Donald Trump, sur le modèle des révolutions de couleur dans les pays de l'ex Union Soviétique, puis la reprise des accusations traditionnellement portées contre les médias anti-globalistes par les médias mainstream et les élites visant à les disqualifier. CNN a ainsi accusé Breitbartnews d'être une plateforme néo-nazie et suprémaciste, en dépit du fait que le fondateur du média, Andrew Breitbar, est un pro-israélien convaincu converti au judaïsme...
De manière plus générale, la contestation de l'idéologie mondialiste et de son discours est maintenant assimilé par les élites au mensonge et à la « manipulation ». Lors d'une conférence de presse donnée à Lima, au Pérou, le président sortant Barack Obama a ainsi affirmé que « Les bonnes informations sont celles sur lesquelles nous avons un contrôle. » Il a ainsi pointé du doigt le nouveau problème auquel devaient faire face les mondialistes : « Ce qui a changé en politique, c'est les réseaux sociaux et la manière dont les gens reçoivent l'information. »
Tout l'enjeu pour la classe prédatrice consiste donc maintenant à s'assurer le contrôle des médias indépendants et non-alignés sur Internet et la diffusion des informations sur les réseaux sociaux. En visite à Berlin, Barack Obama s'est étendu sur le sujet avec la chancelière allemande Angela Merkel, affirmant « qu'à cause d'Internet », les gens se sentaient moins certains de leur identité et de leur sécurité économique. Et la chancelière de surenchérir sur le caractère « disruptif » des nouvelles technologies induisant des « changements profonds » susceptibles de déstabiliser la société.
Comme lors des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, le pouvoir politique, plutôt que d'assumer sa responsabilité, préfère ériger le réseau Internet en bouc émissaire de ses échecs. Contrairement aux médias « presstitués » qui appartiennent au même cercle du pouvoir et partagent la même idéologie et la même communauté d'intérêt, l'information alternative diffusée via Internet pose aujourd'hui le double problème de s'imposer comme source d'information de référence pour une part de plus en plus grande de la population et, de par son caractère incontrôlable, comme une force d'opposition et un contre-pouvoir menaçant. La diabolisation s'étant révélée contre-productive, face à cette double menace il leur reste la censure.
C'est en ce sens que les géants d'Internet Facebook et Google, sur l'injonction des médias dominants et de la classe politique, ont entamé des réflexions afin, officiellement de « lutter contre les fausses informations ». Mark Zukerberg, dans un post publié sur Facebook, a ainsi affirmé que le réseau social allait « Faire en sorte qu'il soit plus simple [pour les utilisateurs] de signaler les articles faux nous aidera à lutter plus vite contre la désinformation. » Il a également annoncé que les sites identifiés par Facebook comme publiant de « fausses informations » pourraient voir leurs revenus publicitaires coupés. Google a rejoint le réseau social en annonçant la même mesure : « Nous n'intégrons pas ou ne montrons pas de publicités dans des applications ou des sites dont le contenu est illégal, trompeur ou mensonger, ce qui inclut les fausses informations. »
Cette volonté de « traquer les fausses informations » de la part des deux principaux acteurs du web, constituera dans les faits la mise en place d'une censure privée de l'information, qui se substitue aux formes de censures traditionnelles opérées par les régimes autoritaires. Les deux firmes n'ont pour l'instant pas précisé sur quels outils elles allaient s'appuyer ni quelles procédures elles allaient mettre en place afin de censurer les « fausses informations », cependant cela signifie d'ores et déjà la fin de la « neutralité du web » qui fut jusqu'ici le principe fondateur du réseau et permit, justement, l'émergence de contre-pouvoirs grâce à la liberté de l'information.
Alors que les « printemps arabes » qui avaient massivement utilisé les réseaux sociaux dans leurs modalités d'organisation avaient été qualifiés de « révolution 2.0 » les populations occidentales vont-t-elles aujourd'hui connaître un « automne 2.0 » parce qu'elles ont justement réussi à imposer les médias de l'Internet comme des contre-pouvoir à l'establishment politique et médiatique ?
Guillaume Borel | 23 novembre 2016
Guillaume Borel est un analyste politique. Il est l'auteur de l'ouvrage Le travail, histoire d'une idéologie - Éditions Utopia: 2015. Il s'intéresse à la géopolitique, aux questions de macro-économie, de propagande et de manipulations médiatiques.
Source: arretsurinfo.ch