Thierry DERONNE
Au sortir de la deuxième guerre mondiale, l'écrivain Primo Levi parlait de cette « zone grise » où la barbarie ne s'appuyait pas tant sur les plus visibles des chefs sanguinaires que sur le petit fonctionnaire qui se contentait d'ouvrir et fermer la porte d'un camp, de tourner la clef de contact d'un convoi (1).
Lorsqu'on fait le bilan de cent jours d'insurrection de la droite au Venezuela, on voit émerger comme pièce essentielle du dispositif la « zone grise » du pouvoir médiatique : combien de pigistes, de webmasters, de « spécialistes internationaux » qui ne voyagent plus depuis le rachat de leur journal par la Bourse et qui relaient l'AFP ou Reuters, combien de « fonctionnaires gris » de l'« actu » à demi inconscients de ce qui se passe ou simplement conformistes et désireux de faire carrière, auront-ils contribué à donner l'onction de manière permanente et automatique à des assassins ?
En cent jours de violences, huit personnes ont été lynchées et brûlées vives par les « manifestants pacifiques », certaines parce qu'elles tentaient de traverser de barricades montées pour empêcher la circulation, d'autres parce qu'elles ont été confondues avec des « infiltrés chavistes » (2). La plupart des assassins reste en liberté vu les défaillances ou la lenteur de la Justice vénézuélienne, voire à cause de la proximité de certains juges avec le projet politique que les États-Unis baptisent « gouvernement de transition ». Les auteurs ou organisateurs d'exactions deviennent, grâce aux médias, des dissidents politiques (3). Par contraste, en ce qui concerne la minorité de victimes blessées ou assassinées par des membres des forces de l'ordre ayant désobéi aux ordres de ne pas tirer - on observe l'arrestation et le jugement immédiat des responsables.
« Que se passerait-il », interroge le journaliste uruguayen Aram Aharonian, codirecteur de l'Observatorio en Comunicación y Democracia, « si des fondamentalistes religieux qui posent des bombes et mènent des actes terroristes en Europe, étaient présentés par les médias hégémoniques comme des patriotes sensibles et héroïques ? »
Il y a un effet de « commande médiatique » de la violence et du massacre subis par les vénézuéliens. La droite locale s'appuie sur l'uniformisation du champ médiatique et a bien compris la plus-value de chaque mort à venir : il sera automatiquement attribué par les grands médias au gouvernement à abattre.
Thierry DERONNE. Venezuela, 6 juillet 2017.
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Notes
2. Voir notamment : « La rage raciste de l'extrême droite vénézuélienne » ( venezuelainfos.wordpress.com). Et « Peut-on porter des habits rouges quand on est journaliste au Venezuela ? » ( venezuelainfos.wordpress.com).
3. Une des plus respectables ONGs occidentales de droits de l'homme (Amnesty International) se trompe dans ce cas particulier. Contrairement aux gouvernements antérieurs avec leurs cortèges de disparus, de torturés, etc.., il n'y a pas aujourd'hui de « prisonniers politiques » au Venezuela. Le terrorisme, l'organisation de violences ou de massacres, les attentats à l'explosif, la corruption, etc... ne sont pas des délits d'opinion mais de faits de droit commun punissables dans n'importe quelle démocratie et par n'importe quel État de droit. La forte pression du stoyrytelling médiatique, l'image de marque à préserver pour les bailleurs de fond, la confiance accordée aux rapports d'ONGs des droits de l'homme proches de l'opposition - ou mises en place en Amérique Latine là où des gouvernements de gauche on été élus, mènent à ce genre d'erreur. Lire, de Rafael Correa : « L'opposition vénézuélienne est dix mille fois plus putschiste que la nôtre » et « La tactique de la droite nord-américaine en Equateur, au Venezuela et en Bolivie, est de financer des fondations pour déstabiliser les gouvernements progressistes ».