Yann FIEVET
La période qui s'est ouverte en France avec l'élection d'Emmanuel Macron à la tête du pays va plus que bousculer ce qu'il reste de démocratie et de droits sociaux.
Reste encore à définir dans ses détails puisque nous n'en sommes qu'au début de l'expérience mais les historiens demain verront probablement dans cet autoritarisme patelin qui se met doucement en place un terrible recul des valeurs démocratiques et de la justice sociale. Ce recul sera marqué par l'extraordinaire approfondissement d'un hiatus déjà ancien : impitoyable fermeté envers les faibles, grande mansuétude à l'égards des forts. On reconnaîtra le droit à l'erreur pour les seconds quand on le refusera aux premiers. La réforme du droit du travail, suivi bientôt par celles de l'assurance chômage et de la protection sociale, en donneront maints exemples.
Le capitalisme est désormais si englué dans sa crise multiforme et inextricable qu'il semble n'avoir d'autre recours que dans l'instauration de la fraude comme mode de gestion permanent de la société. La fraude et l'évasion fiscales sont depuis longtemps déjà le quotidien frénétique des banques, des firmes transnationales et des individus les plus fortunés. L'imbrication du capital international et des ressources occultes des mafias tentaculaires est de plus en plus étroite, ce qui accroît l'opacité du monde des affaires. La fraude à la TVA au centre du marché européen du carbone, révélé cet été, en est un édifiant exemple. C'est sur cette désastreuse toile de fond qu'Emmanuel Macron invente, dans les ordonnances qu'il a signé le 22 septembre, une nouvelle fraude. En instaurant un barème maximum pour sanctionner les licenciements illégaux, c'est-à-dire « sans cause réelle et sérieuse », au contraire de ce qu'exigeait jusqu'ici le Code du travail,
On va ainsi fortement encourager les employeurs à licencier sans qu'ils aient à se préoccuper vraiment de la légalité de leur décision, puisque la sanction éventuelle qu'ils encourront devant les prud'hommes sera par avance prévue et plafonnée. Le capitalisme était exploiteur, il va bien sûr le rester, mais il ajoute là à son lugubre visage la fraude organisée. Cette véritable prime à la fraude nous édifie à elle seule sur l'esprit et la lettre des ordonnances du Président de la République, lui qui qualifie de fainéants tous les opposants à ses funestes réformes. En cet automne 2017, le bouleversement du Code du travail est général. Il porte atteinte aux droits des salariés et enchante au contraire les patrons, grands ou petits. La hiérarchie des normes est inversée : fin du « principe de faveur » accordé aux salariés par la création d'un nouveau principe de faveur à l'avantage des employeurs. C'est tout bonnement le principe même de fondation du code du travail qui est piétiné.
Le droit des patrons à transgresser les règles va donc être légalisé. Les salariés ne se voient évidemment pas reconnaître le même droit. Comment imaginer que les employeurs ne vont pas profiter de cette nouvelle aubaine ? Comment croire que dans l'entreprise dont la structure hiérarchique - tellement forte en France - reste intacte le patron pourrait avoir tort face à ses subordonnés de divers échelons ? Il est excessivement rare que l'on mette en cause les compétences des dirigeants d'entreprises. Ce sera encore moins le cas demain. Quand une entreprise va mal c'est toujours les salariés qui en pâtissent par leur licenciement. Ce processus mortifère va s'accélérer maintenant que les freins qui le contenait encore quelque peu vont volontairement être desserrer. Il sera plus difficile qu'hier de mettre en accusation la responsabilité des patrons s'agissant de leurs divers comportements. Comment ne pas penser ici à la récente décision de justice déclarant non recevables les plaintes des salariés - et de leurs familles - victimes de l'exposition à l'amiante sur leur lieu de travail ? Trois mille morts par an en France cela ne pèse pas lourd face aux intérêts du patronat !
Le gouvernement d'Édouard Philippe envisage même de reconnaître le « droit à l'erreur » aux entreprises. Elles seraient trop souvent en butte à des complexités, voire des persécutions administratives, parce qu'elles auraient oublié, sans intention frauduleuse, de déclarer tel ou tel aspect de leur bilan. Le défenseur des droits, Jacques Toubon, estime que le même droit doit être accordé au citoyen ordinaire dans ses rapports avec les organismes sociaux. Il réclame cette forme d'égalité dans son récent rapport sur les abus de la lutte contre « la fraude aux prestations sociales », lutte qui montre une chasse arbitraire à l'usager. Le rapport offre une plongée dans un monde où l'arbitraire impose sa loi. Des citoyens, le plus souvent démunis, sont accusés d'avoir fraudé, parfois sans comprendre, et condamnés à payer des sommes qui les dépassent, sans pouvoir se défendre. Pour ces hommes et ces femmes anonymes, les règles administratives ne sont plus une protection, mais un rouleau compresseur, Une toile d'araignée dans laquelle ils tentent de se débattre. Hélas, dans le contexte de renversement général des droits à l'œuvre aujourd'hui, il est permis de douter que la demande du défenseur des droits soit entendue. L'usager de base, comme chacun sait, est toujours de mauvaise foi tandis que les « responsables » d'entreprise ne sont que de simples étourdis. Mépris et hypocrisie ne seraient-ils pas les deux mamelles du macronisme ?
Yann FIEVET