27/09/2017 cadtm.org  7 min #133443

Ne pas payer pour étudier, mais être payée pour étudier !

Des salaires pour les étudiants est un pamphlet publié anonymement en 1975 durant les grèves étudiantes au Massachusetts et à New York, dont l'angle d'analyse et les revendications font largement écho à la campagne de l'époque, portée par plusieurs collectifs féministes réclamant un salaire ménager et aux luttes opéraïstes 1 en Italie. Les auteurs participaient aussi à la rédaction du journal Zerowork, qui sera une référence intellectuelle importante pour la diffusion de la théorie du salaire étudiant et du refus du travail comme outil central dans la lutte de classes. Ce texte a été réédité dans une édition trilingue et agrémenté d'une retranscription d'une discussion collective tenue en 2013 à New York, portant sur cette revendication, qui demeure d'actualité.

Histoire de faire un modeste pied de nez à des millénaires de domination masculine, qui se manifeste y compris dans les codes du langage, nous utiliserons le féminin dans tout ce texte. 

Au moment où Des salaires pour les étudiants est écrit, ses auteures assistent aux premiers remous du « tournant libéral » qui secouent notamment l'université aux États- Unis et qui remettent en question les acquis sociaux des années 1950 et 1960. La campagne pour le salaire ménager, initiée en 1972, s'attaquait en effet aux coupes aux « aides sociales » proposées par le gouvernement étatsunien. Ces aides étaient perçues par les activistes comme une première forme de salaire domestique. De la même façon, l'introduction des frais de scolarité et la suspension des subventions aux universités - vues comme les prémices d'un salaire étudiant- seront rejetées par le mouvement qui relancera en toute réponse, l'idée d'un salaire pour les étudiantes.

Pourquoi revendiquer un salaire pour les étudiantes ?


Wages for students. Sueldo para estudiantes. Des salaires pour les étudiants, Common Notions avec Vaticanochico et les Éditions de l'Asymétrie (édition trilingue), New York - Santiago - Toulouse, 2016

Tout d'abord il y a un aspect purement économique : les étudiantes n'ont pas de quoi vivre, elles sont pauvres et trop souvent elles dépendent de leur parents et/ou doivent trouver un travail à l'extérieur pendant les périodes de vacances ou leur temps libre. Un salaire leur permettrait de sortir de cet état de nécessité, être indépendantes, et de n'être plus privées de leur temps libre pour « penser, créer et prendre soin les unes des autres ». Toutefois, la contribution idéologique fondamentale apportée par cette lutte est liée à la critique du système éducatif et est théorisée avant même l'introduction des frais universitaires à New York en 1976. Selon les auteures, l'université n'est pas un lieu d'émancipation et d'épanouissement pour les étudiantes mais plutôt un lieu d'exploitation : son seul but aujourd'hui est de les préparer au marché du travail, où leurs connaissances seront exploitées sur l'autel de la croissance économique et du profit de la classe capitaliste. Au-delà de la satisfaction purement matérielle des besoins du capital, le pamphlet pose une critique virulente et radicale de l'éducation -qu'elle soit d'ailleurs celle du foyer ou de l'université - comme processus de discipline et d'autodiscipline des individus. Apprendre à rester assise sans déranger, écouter attentivement, obéir aux professeurs, mémoriser le contenu des cours... sont autant d'exemples de l'apprentissage d'une autodiscipline indispensable à la pérennité du système capitaliste. L'université est donc, en elle-même, un lieu d'exploitation au même rang que le marché du travail pour les travailleuses. Voilà pourquoi les luttes étudiantes sont partie intégrante du mouvement ouvrier.

Il n'y a donc pas de raisons pour que les étudiantes soient exploitées en plus sans être payées : l'absence de rémunération prive les étudiantes du pouvoir que le salaire confère aux travailleuses dans le rapport de force avec le capital. Il est donc crucial de changer les relations de pouvoir et le salaire est le seul moyen pour atteindre cet objectif.

La demande pour un salaire étudiant n'est par contre qu'une première revendication temporaire dans le but de changer radicalement le système éducatif vers une véritable autogestion et émancipation pour les étudiantes.

Du salaire étudiant à la dette étudiante

Quarante ans après, le rouleau compresseur du néolibéralisme a complètement modifié le système universitaire américain : fin de la gratuité, augmentation des frais de scolarité de 500 % entre 1985 et aujourd'hui, endettement moyen de 30 000 dollars par étudiante (ce qui fait plus de 1,1 trillion de dollars au total aux Ėtats-Unis) 2... Aux antipodes d'un salaire pour leur travail scolaire, les étudiantes doivent dorénavant payer et s'endetter pour travailler, d'abord dans le cadre de leurs études, ensuite dans le cadre d'un éventuel emploi : « Nous nous battions dans les années 70 pour des salaires et maintenant, nous essayons d'échapper au sevrage de la dette (...) Désormais on doit payer pour être exploitée » 3.

Bien entendu, avec la dette, outil de contrôle par excellence, la subordination des étudiantes atteint son paroxysme, contraintes à satisfaire encore plus les intérêts du capital. La perspective du remboursement guide désormais leurs choix de filière d'études ou d'emplois. Bref, leurs choix de vie.

Non seulement consommatrices d'une éducation envisagée comme marchandise, les étudiantes deviennent même des entrepreneuses, dans la mesure où elles doivent investir dans leur formation (et si elles n'ont pas de capital, elle l'emprunte) en espérant que cet investissement rapportera via l'obtention d'un bon travail et d'un bon salaire... L'idée d'un salaire pour les étudiantes a au moins le mérite de renverser le paradigme : les étudiantes ne sont pas débitrices, mais plutôt créancières, car les institutions prospèrent sur leur travail plutôt que de garantir leur droit à l'éducation.

Si la lutte actuelle contre la dette étudiante et pour l'éducation gratuite échoue, toute une génération ne sera pas en mesure d'organiser une lutte autonome contre le capital

Gagner en autonomie, être en capacité d'organiser sa vie comme on l'entend, être en mesure d'entamer une véritable lutte contre le capitalisme, pour une autre éducation : voilà la finalité de la proposition d'un salaire étudiant. Une revendication à débattre mais qui, quoi qu'il en soit, ne peut pas faire l'impasse aujourd'hui de cette camisole financière qu'est la dette. Les conséquences néfastes de l'endettement étudiant en termes de mobilisation sont d'ailleurs soulignées à la fin du livre : « Si la lutte actuelle contre la dette étudiante et pour l'éducation gratuite échoue, toute une génération ne sera pas en mesure d'organiser une lutte autonome contre le capital. » 4 Comment s'organiser, lutter quand notre existence est vouée à être ponctuée de prêts en cascade, à être tournée vers le seul horizon des échéances de remboursements, à être menacée par la perspective d'intérêts de retard ou du harcèlement des agences de recouvrement ?

En commençant par se débarrasser, ensemble, des dettes étudiantes ! Nous vous conseillons vivement la lecture de cette brochure, qui apporte encore aujourd'hui une contribution au débat contre la dictature de la dette étudiante et pour l'autonomie et l'émancipation des individus.


Cet article est extrait du magazine du CADTM :  Les Autres Voix de la Planète

Notes
1 L'opéraïsme est un courant marxiste « ouvriériste » qui trouve son origine en Italie au début des années 1960. Il repose sur l'idée que la classe ouvrière est le moteur du développement capitaliste et donc sur le refus du travail. Aux États-Unis il se développe dans la ceinture industrielle de Los Angeles à Detroit.
2 Chiffres tirés du livre, p. 150
3 Ibid. pp. 179 et 180
4 Ibid. p. 202

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